The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Revenant Gun - Yoon Ha Lee - Brillant brillant brillant


Que dire d'un tome trois quand on essaie de ne pas trop résumer ? Que dire de "Revenant Gun" donc, le tome conclusif de la très originale série SF militaire (mais pas que) de Yoon Ha Lee ?

Le tome précédent se concluait sur un colossal calendrical spike, à savoir un événement si énorme qu'il allait littéralement bouleverser l’Hexarchie.
Celui-ci commence environ dix ans après.

L'Hexarchie s'est fragmentée. Le plus gros morceau s'appelle Le Protectorat : traditionaliste, largement porté par le pouvoir militaire des Kel, il tente de restaurer l'ordre antérieur, purgé peut-être de ses excès les plus contestables. Ailleurs, dans d'autres parties de l'espace, Le Compact, initié par Kel Brezan après la disparition de Cheris/Jedao, tente d'instaurer un régime de type démocratique. A côté des deux gros morceaux, des systèmes ou groupes de systèmes ont plus ou moins fait sécession et on ne sait que partiellement ce qui s'y passe.

Et puis, il y a un troisième pouvoir : celui d'un homme assez puissant pour pouvoir renverser la table à lui tout seul et provoquer, s'il réussit, une restauration en bonne et due forme de l'Hexarchie. C'est de Nirai Kujen qu'il s'agit, le leader occulte et immensément âgé des Nirai, l'inventeur du Black Cradle qui permet la vie en animation suspendue et le fer de lance des recherches sur une forme plus confortable d'immortalité dont pourrait bénéficier l'élite de l'Hexarchie.

Certes, les plans à très long terme de Kujen ont été sérieusement mis à mal par les actes du trio Mikhodez/Cheris/Jedao, mais qu'importe ? Kujen n'a pas changé, il ne veut toujours pas mourir, il veut toujours le pouvoir et le contrôle – fussent-ils occultes –, il veut toujours être celui qui définit et manipule les calendriers – et les pouvoirs exotiques qui vont avec – à son avantage.
Pour ce faire, il lui faut reconstituer l'Hexarchie originale, quel qu'en soit le prix. Concrètement, cela signifie « éveiller » une version antérieure de Shuos Jedao, l'installer dans un nouveau corps, et l'envoyer exterminer ses ennemis. Mais ici la victoire ne suffit pas. Il faut, en conjuguant morts innombrables et atroces, folie et trahison de masse – le tout perpétré par un avatar de Jedao à la date anniversaire du massacre qui en fit pour toujours un être honni et redouté –, provoquer un nouveau calendrical spike, d'une force suffisante pour réinstaurer ce qui fut brisé, reforger l'épée calendaire en quelque sorte. Face à ces plans se dressent Le Protectorat et le Compact, d'abord désunis, puis alliés face à la menace mortelle.

A la lecture du tome 2, et jusqu'à sa presque fin, on pouvait se demander s'il était juste une suite pour une suite, un moyen de rester encore un peu dans un univers diablement original. La fin du 2 tordait le coup à cette inquiétude, et le volume 3 fait de la trilogie Machineries of Empire une vraie belle œuvre d'une grande cohérence, un gros morceau de SF contemporaine.
Tous les fils se nouent ici. Les zones d'ombre s'éclaircissent. Le tout converge, dans une grande tension, vers une conclusion, sans équivoque pour le lecteur, qui devrait être plus démocratique pour les habitants de la galaxie.

Dans le détail, ici, parallèlement aux tentatives des factions adverses de reconquérir ou de conserver le pouvoir grâce à des plans d'une extrême complexité, on apprend l'histoire secrète de l'Hexarchie.
On voit, tant dans le passé que dans le présent, se nouer des alliances politiques qui doivent tout à la raison et rien à l'émotion, de vraies alliances donc, de celles qui sont solides et efficientes.
On voit comme il est difficile d'instaurer un nouveau régime, plus démocratique, dans un monde qui n'a jamais imaginé ce système et pense que sortir de l'autoritarisme est source de perte de temps et d'efficacité. C'est d'autant plus difficile quand une bonne partie de la  technologie existante dépend de l'existence même de l'ancien régime et de ses systèmes de calendriers.

Le contrôle du calendrier – les origines, les célébrations, les dates historiques – est, dans l'Histoire (la nôtre), une preuve visible de contrôle politique (cf. les calendriers religieux, les fêtes nationales, les journées internationales de..., etc.). Dans les romans, le contrôle du calendrier est le moyen sine qua non de contrôler la fiabilité des technologies. Voilà pourquoi il est si important d'être celui qui le définit. C'est pour ces deux raisons combinées que les calendrical spikes, en troublant le calendrier, favorisent les changements politiques radicaux. C'est pour cela que Cheris/Jedao en ont provoqué un à la fin du tome 2, et c'est pourquoi Kujen veut maintenant le sien, quel qu'en soit le prix.

Retour aux personnages :

On assiste aux troubles identitaires de l'homme-copie Jedao, amputé de ce passé qui est pour lui un futur inconnu (car le « nouveau Jedao », une version très précoce de l'homme emprisonné en animation suspendue, ne sait pas ce qu'on fait ses autres occurrences de réveil dans les siècles qui suivent le dernier moment dont il se souvient).
On compatit au désespoir de ce « nouveau Jedao » qui ne sait pas ce que les autres savent sur « lui », qui cherche ce qu'il est vraiment, qui découvre avec une forme d'horreur qui est ce Jedao qu'il « sera » et quel est ce corps invraisemblable dans lequel il est aujourd’hui incarné.
On le voit englué dans une histoire d'amour/soumission, étendue sur des siècles, qui l'a transformé et brisé.
On comprend qu'il n'est pas le monstre que l'Histoire a fait de lui, et qu'il est prêt au sacrifice suprême pour aller vers un monde plus juste.

On retrouve un Mikhodez, le leader des Shuos, bien plus machiavélien que maléfique. Un leader qui sait faire des choix difficiles et se salir les mains, dans l'intérêt d'un mélange justice/efficacité qu'il sait maintenir dans une délicate situation d'équilibre.

Et puis, on découvre le vrai monstre du récit, Kujen, un homme d'une noirceur impossible à égaler. Un génie mathématique pour qui personne n'est plus que ce à quoi il peut servir. Un maître du mal qui, sous l’apparence d'un paisible esthète discret au point d'utiliser un prête-nom pour diriger sa faction, tire depuis des siècles les ficelles de l'empire galactique qu'il a créé à son propre usage. Un homme qui a technologiquement excisé de son esprit toute pensée compassionnelle pour n'être plus que rationalité et instinct de survie. Un homme qui, littéralement, a saigné l'hexarchie, jusqu'au génocide quand nécessaire, dans l'intérêt d'un seul, le sien ; pas pour la nation, pas pour le peuple ou la race, juste pour lui, Nirai Kujen.
Gilgamesh, après la mort d'Enkidu, chercha passionnément l'immortalité. Il échoua mais devint Juge des enfers. Nirai Kujen façonna ex-nihilo un enfer pour toute la race humaine comme condition nécessaire de sa propre immortalité.

Et puis enfin (faut que j'arrête, là), il y a Cheris/Jedao, maverick brillante et implacablement déterminée, Brezan, un gars simple qui se retrouve au pouvoir et essaie d'en faire bon usage, Inesser, une générale Kel qui essaie honnêtement de restaurer l'ordre nécessaire au fonctionnement social sans sombrer dans le despotisme, Dhanneth, aide de camp ambigu de Jedao et victime véritable de l'inhumanité de Kujen.
Ou encore les serviteurs robotiques, sentients et organisés à l'insu de la plupart des humains, obéissants mais non dépourvus de préférences et d’agendas politiques.
Ou même (là, promis, j'arrête) les Voidmoths – les moteurs supraluminiques – dont on apprend ici la vraie nature, esclaves eux aussi, comme les humains, les robots, et tout ce qui bouge dans l'hexarchie et que Nirai Kujen a créé ou soumis pour son service exclusif.

Le tout est aussi cohérent que passionnant et, ce qui ne gâche rien, non dénué d'une forme plaisante d'humour pince-sans-rire. Sans oublier la grande attention, très rare en SF, portée à l'esthétique, à l'ameublement, aux arts floraux, à ceux de la table, etc. Quitte à propager un cliché, il y a quelque chose de décidément très asiatique dans la SF diaboliquement innovante de Yoon Ha Lee.

C'est beau, diabolique, intelligent, stressant. Must-read.

Revenant Gun, Yoon Ha Lee


Commentaires

FeydRautha a dit…
Et sinon, c'était bien ?
Gromovar a dit…
"C'est beau, diabolique, intelligent, stressant. Must-read."