Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...
Monsieur Nul vit à Nihilopolis. Dans cette capitale du nihilisme, où les politiciens mentent et font assaut de démagogie populiste, on pratique la triple pensée (car la double, ce n'est pas assez), on travaille à la fabrique de breloques ou de babioles ou de bombes ou de consensus ou de canards en plastique, on est exploité et embobiné par les puissants, on sait que l'enfer c'est les autres, on se fait exploser régulièrement pour une cause nihiliste ou une autre.
Surtout, à Nihilopolis, on déconstruit, jour après jour et minute après minute, jusqu'à la déraison. A Nihilopolis, on sait que l'espoir est une illusion hypocrite, comme la loi, la religion, l'amour, la démocratie, les idéologies. On le sait, et on le dit, dans chaque conversation (la tentative de séduction sur un mode Gène égoïste à la Dawkins est hilarante).
Monsieur Nul travaille sur le Derrida, un vaisseau déconstructeur qui va quotidiennement éradiquer croyances, idées, espoir, avant que ces virus puissent se propager. Il a un ennemi intime, Monsieur Sly, et un amour non partagé pour Miss Void. En dépit de sa solitude sexuelle, Monsieur Nul est « heureux » à Nihilopolis. Jusqu'au jour où il est accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis et doit fuir le pays pour tenter de se réfugier en Optima, la pays des optimistes.
Hélas, pour lui, Monsieur Nul n’atteindra jamais Optima. En chemin, il est pris pour le chef d'un mouvement révolutionnaire et finit par se retrouver engagé dans un conflit qui rappelle, par son absurdité criminelle, la Grande Guerre.
En son absence, pendant ce temps, la hiérarchie religieuse de Nihilopolis a décidé d'annihiler toute la population afin d'en finir avec l'hypocrisie essentielle de toute vie humaine.
"Nil" est une sorte d'ovni. Souvent drôle, Turner décrit jusqu'à l'absurde un monde nihiliste dans lequel la déconstruction règne, supprimant non seulement toute possibilité d'espoir ou d'idéal mais également tous ces petits mensonges réciproquement consentis qui rendent possible les relations humaines. Il pointe nombre des absurdités du monde moderne sur un ton qui prête à sourire. Il fait de Monsieur Nul un de ces « premiers dans un concours de circonstances » qui évoque l'Anthony Quinn de La 25ème heure. Et il conclut fort à propos son récit.
Très joliment dessiné (l'album est très beau aussi), dans un noir et blanc stylisé qui exprime la dualité fondamentale du monde de Monsieur Nul, le récit est néanmoins, à mon avis, trop long. Il est difficile d'être ironique sur la longueur en étant toujours au même niveau. Turner n'y parvient pas vraiment. Une fois le principe compris, et en dépit d'une intrigue qui avance régulièrement, le tout devient un peu redondant. Cinquante pages de moins (sur 250) auraient sûrement rendu le récit plus ramassé, plus dense, plus percutant.
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