L'Ombre sur Innsmouth - Lovecraft illustré par Baranger

Comme deux fois déjà , je signale la sortie d'une adaptation de Lovecraft par François Baranger. Il s'agit cette fois de The Shadow over Innsmouth , ici traduit littéralement L'Ombre sur Innsmouth au lieu du plus traditionnel Le Cauchemar d'Innsmouth . Comme pour les deux adaptations précédentes, je ne vais pas chroniquer un texte connu et maintes fois résumé, analysé, décortiqué. Je te renvoie donc pour l'histoire, lecteur, à la fiche Wikipedia de la nouvelle, fort bien faite si ce n'est qu'à l'instant où j'écris ces mots la version de Baranger ne s'y trouve pas encore. Tu prendras plaisir, j'en suis sûr, à lire la belle préface de Sandy Petersen, notre maitre à tous, à parcourir les rues de la très décatie Innsmouth dans les pas de Robert Olmstead, à pénétrer dans la délabrée Pension Gilman, à contempler la façade du bâtiment abritant L'Ordre ésotérique de Dagon , à côtoyer des Marsh, trop de Marsh. Le "masque d'Innsmouth...

Quietus - Tristan Palmgren - Bof


14ème siècle. La peste noire traverse l’Europe dont elle tue en peu d’années entre un tiers et la moitié de la population. Au milieu de la catastrophe, précisément en Italie du Nord, se trouve le monastère chartreux du Sacré Cœur dans lequel s’est réfugié, il y a des années et pour échapper à un scandale de mœurs, celui qui est depuis devenu le frère Niccolucio. Un monastère qui, à l'épicentre de l'épidémie, ne restera pas longtemps un havre.

Non loin de là, à Florence, Habidah est en mission. Venue d’un autre plan de la réalité avec une équipe de scientifiques, Habidah est une exoanthropologue. La mission de son groupe est l’étude des moyens qu’utilise(ra) l’Europe pour survivre au quasi-effondrement. Une connaissance peut-être vitale pour le monde d'origine d’Habidah, un multivers en proie à une forme de peste tout aussi dévastatrice que celle qui touche l’Europe médiévale.
Important. Capital. En immersion secrète, ces universitaires doivent observer, rapporter, et ne surtout JAMAIS intervenir.

Au Sacré Cœur, de malades en décès, Niccolucio voit tous ses frères mourir les uns après les autres dans l’enclave perdue qu’est devenue le monastère. A la fin, quand ne reste plus que lui, Niccolucio, à bout de désespoir, quitte à pied le Sacré Cœur pour chercher, sans vraiment l’espérer, du secours à l’extérieur. Mais le chemin est trop rude et, alors qu’il va mourir dans le froid, il est sauvé in extremis par une Habidah qui ne supporte plus de voir les cadavres s’amonceler sous ses yeux.

Commence entre les deux une étrange relation, entre volonté de non-ingérence et impératif de faire le bien. Compliqué, sans nul doute.
Comme si ça ne suffisait pas, on comprend vite (Habidah un peu moins) qu’un des membres de l'équipe est un agent sous couverture, envoyé pour faire avancer un agenda caché ; les Amalgamates (des IA surpuissantes) qui gouvernent la partie du multivers d’où sont originaires les scientifiques veulent en effet bien plus de la Terre que de simples informations. Et tout se compliquera encore quand un nouvel acteur entrera dans le jeu, une entité – aussi incroyable que ça paraisse – plus puissante que les Amalgamates. De mensonge en trahison et de coup bas en manipulation, de Florence à Avignon, les enjeux montent de plus en plus dans une confrontation qui décidera non seulement de l’avenir de la Terre mais aussi de celui de centaines de milliers de plans (rien que ça !).

Il y avait du potentiel dans le pitch de "Quietus". De fait, de secrets en secrets, on tourne les pages pour savoir le fin mot de l’histoire, et on lit relativement vite ce premier roman. On y trouve même un certain nombre de passages que leur mode de narration rend captivant (tous des passages dans lesquels Niccolucio est confronté à la mort de masse et tente comme il peut d’y réagir avec dignité et courage).

Néanmoins, le bilan est globalement négatif.

D’abord, un style trop souvent trop plat nuit à l’intérêt (à moins d’être une brute insensible de lecteur au kilomètre). Les phrases courtes et simples s’enchaînent comme dans une rédaction de collège, grammaticalement correcte mais sans génie véritable. Ca décrit ; ce n’est pas écrit.
De plus, au fil des nombreuses pages, on finit par trouver que bien des fils sont trop longs ou semblent superflus s’ils sont rapportés aux colossaux enjeux interplanaires en cours.

Ensuite, "Quietus" souffre, hélas, de la comparaison avec tous les autres romans dont il s’inspire peu ou prou.
En vrac, on peut citer Le Grand Livre de Connie Willis pour sa description inoubliable de la peste, Eiffelheim de Flynn pour la rencontre entre extra-terrestres et médiévaux, le cycle de la Culture de Banks pour les IA géantes aux noms amusants, le cycle d’Hyperion de Simmons pour son « Espace qui lie », le Il est difficile d'être un dieu des frères Strougatski pour la question de l'interventionnisme, etc. Et vers la fin, entre résurrection et omnipotence, on se demande même s’il n’y a pas une tentative de métaphore biblique.
Palmgren a le droit, comme auteur, de rendre hommage à d’autres, mais il importe alors d’être différent ou à la hauteur. Ca ne me paraît pas être le cas ici.

Enfin, à vouloir traiter des situations trop énormes, trop extraordinaires, on finit par les rendre aussi banales que décevantes dans la simplicité même de leur résolution finale (un problème récurrent dans ce genre de configuration). De plus, à quoi sert de parler de centaines de milliers de plans si chacun n’est utilisé, comme c’est le cas dans tant de médiocres planet-opera, que comme simple lieu planétaire uniforme réduit à un seul point d’intérêt, que comme simple lieu ponctuel sur une carte du monde (ici du multivers) ?

On peut éviter.

Quietus, Tristan Palmgren

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