Jacek Dukaj : Mes Utopiales de B à V

Comme chaque année, vers Samain, se sont tenues les Utopiales à Nantes. 153000 visiteurs cette année, et moi et moi et moi. Ne faisons pas durer le suspense, c'était vraiment bien !!! Genre grave bien !!!! Aux Utopiales il y a surtout des auteurs qu'on va retrouver jour après jour ci-dessous (ou dessus, ça dépend dans quel sens vous lisez) , sur plusieurs posts successifs (survivance d'un temps où on économisait la bande passante – « dis ton âge sans dire ton âge ») . Tous les présents aux Utos n'y sont pas, c'est au fil des rencontres que les photos sont faites, la vie n'est pas juste. AND NOW, LADIES AND GENTLEMEN, FOR YOUR PLEASURE AND EDIFICATION, THE ONE AND ONLY JACEK DUKAJ

Contes ordinaires d'une société résignée - Ersin Karabulut - Familles...


"Contes ordinaires d'une société résignée" est un recueil d'une quinzaine de fabliaux en BD, œuvres de l'auteur turc Ersin Karabulut. Fluide Glacial offre à ce chef de file de la BD contemporaine turque une édition de belle qualité pour son premier album en français.

En quelques pages à chaque fois, tangentant souvent le fantastique ou l'anticipation, Karabulut offre une description inquiétante et fondamentalement résignée (pour reprendre le terme du titre) d'une société turque en plein désarroi.

Dès la couverture, on comprend qu'il ne fait pas bon vivre dans le monde de Karabulut. Au point qu'on se jetterait volontiers dans le vide pour ne plus entendre les rossignols roter. Puis commencent les histoires, dans un style « à chute » ironique et cruel qui rappelle les House of Mystery, même si les très beaux dessins de l'album rappellent plutôt le Caza de Scènes de banlieue.

On croise donc une maladie étrange qui rappelle un peu dans son ton ironique une nouvelle de Boris Vian, « L'amour est aveugle ».
Puis, à plusieurs reprises, une génération ancienne qui ne veut pas mourir et céder la place à celle qui vient, ou alors lui prend ce qui lui reviendrait de droit.
L'omniprésence étouffante des familles qui s'insèrent dans la vie des individus et des couples (impressionnante dernière image de l'histoire « Une famille nombreuse »).
Plus généralement, l'horreur des cruautés intrafamiliales, entre collatéraux, dans les couples qui s'éloignent, dans ceux qui n'ont jamais été proches (où ce sont les femmes paient le prix le plus élevé).
Et puis, la cruauté des humains entre eux, le mal qu'ils se font, plus ou moins sciemment, la consommation des uns par les autres, la gloire qui fait vivre et qui fluctue comme des cours de bourse.
Enfin, la cruauté d'un monde qui engendre et entretient la peur, dans lequel il est presque impossible de trouver une trace d'intelligence, ou, plus spécifiquement, l'angoisse étouffante qu'on doit ressentir dans la Turquie de l'AKP qui a fait du gris la couleur hégémonique d'un totalitarisme soft.
Heureusement il y a l'amour vrai des amoureux, même si celui-ci inquiète et écœure de par son jusqu’au-boutisme même.

Il est difficile de capter l’attention avec des récits courts. C'est très réussi ici. Narration et graphismes se répondent. C'est cruel, ironique, souvent choquant, parfois à la limite du surréalisme, toujours très pertinent. L'individu, désespéré, est écrasé par la famille, la gérontoclique, les institutions.
Un bien bel album bien joliment réalisé. A lire et relire sans retenue.

Contes ordinaires d'une société résignée,  Ersin Karabulut

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