Imaginez que les complotistes de tout poil aient pointé depuis toujours dans la bonne direction. Mais imaginez qu’ils ne soient jamais allés assez loin dans leur légitime paranoïa.
C’est l’hypothèse que développe Jonathan Hickman dans
The Black Monday Murders, en son premier volume "
All Hail, God Mammon".
1929. Jeudi noir. Le lecteur assiste aux prémisses du grand krach boursier qui emportera l’économie mondiale et précipitera l’arrivée du nazisme. Les traders sautent par les fenêtres des buildings de Wall Street. Sautent ? Sont jetés plutôt. Car le monde de la finance doit payer ses dettes. Il faut payer en sang ce qui a été gagné sur le marché et rendre à Mammon ce qui lui est dû.
Avec
The Black Monday Murders, c’est d’un pacte très ancien qu’est informé le lecteur. Un pacte passé en des temps immémoriaux entre des camarillas de mages banquiers
(fondateurs ou dirigeants aujourd’hui des plus grandes institutions financières mondiales) et un Dieu invisible,
Mammon, divinité de l’avarice, de l’amour du lucre, de l’avidité sans limite. Un pacte qu’il faut respecter
(Pacta sunt servanda). Un pacte qui se paie en sang, celui des innocents, celui des alliés, celui de la famille, celui des dirigeants même pour peu qu’ils occupent la position périlleuse de
Stone Chair. En échange de ce sacrifice que font surtout ceux qui n'en bénéficient pas, les membres de l’occulte coterie obtiennent une longue vie, une fortune presque illimitée, et le pouvoir exorbitant de tout droit qui est associé à celle-ci.
Quelque pages plus loin.
2016. Daniel Rotschild, l’un des dirigeants de la banque Caina-Kankrin est victime à domicile d’un meurtre visiblement rituel. Sa sœur jumelle, Grigoria, vient le remplacer dans ses fonctions, et Viktor, un autre dirigeant de Caina-Kankrin est arrêté au vu des images de vidéosurveillance. Une affaire rondement menée.
La police a un suspect, certes, mais c’est un tycoon qu’il sera peut-être difficile de coincer, d’autant qu’elle ne sait ni le pourquoi, ni le comment. Sur l’affaire, le détective Dumas. Le flic new-yorkais d’origine haïtienne, aux méthodes peu orthodoxes, ne sait pas mais subodore, ne comprend pas encore mais devine déjà un peu, d’autant plus qu’il reçoit l’aide d’un prof d’université qui en sait long même si, par sécurité, il préfère se taire. Ce n’est pas de rivalité
corporate qu’il s’agit mais de magie, de pacte, de guerre entre familles rivales. La meurtre de Daniel n’est que la partie émergée d’une conflagration qui va ébranler cette oligarchie cosmopolite très discrète qui domine le monde en « tondant » les moutons qui l’habitent, qui achète avec le sang et les souffrances de tous les richesses et le pouvoir de quelques-uns. Mépris et morgue envers les « esclaves » s'affichent sans vergogne alors que les couteaux sont dégainés sur l'Olympe chrématistique. Le conflit ouvert approche ; Dumas doit mener l’enquête la plus risquée de sa vie et mettre à jour des secrets qui sont au cœur de toute l’histoire humaine.
The Black Monday Murders est une réussite. L’album TPB est mystérieux mais jamais obscur, outré mais sans excès
(appréciez l’oxymore !). Il mêle enquête policière dans la
upper/upper class et histoire secrète. Il décrit la finance comme l’activité parasitaire qu’elle est en grande partie, et reprend l’argument marxien de la monnaie comme voile dissimulant la réalité de l’exploitation et de la domination, sans oublier de rappeller que dans un monde fini – fut-il en croissance – la surplus des uns ne peut provenir que du rationnement des autres. Le dessin est à l’avenant, noir, précis, efficace, plein de symboles et d'ésotérisme.
Les 240 pages terminées, on a très envie de lire la suite qui sortira sous peu. Et les lecteurs VF pourront se procurer la version Urban dès le 22 juin.
Black Monday Murders t1, All Hail God Mammon, Hickman et al.
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