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Danses aériennes" est un gros volume partiellement inédit qui compte onze textes de Nancy Kress, dont cinq courts romans, rassemblés par le duo Quarante-Deux.
A l'intérieur, sous une très belle couverture d'Aurélien Police, le lecteur sera au contact d'une SF qui, si elle n'est pas parfaite, est à la fois réfléchie et lisible.
Lisible car Kress écrit dans un style accessible, mettant par là-même des thématiques scientifiques ou sociétales complexes à la portée du plus grand nombre, y compris hors du milieu spécialisé. Vulgarisatrice scientifique et écrivaine au style apaisée
(même lorsqu'elle écrit des horreurs, comme dans Le bien commun), Kress apparaît, dans le recueil, comme l'un de ces auteurs capables de mettre le genre à la portée de tous. Il y a quelque chose dans son écriture de la simplicité du Merveilleux scientifique ou de l'Age d'or, ces SF anciennes que tout un chacun pouvait lire. C'est bien, c'est à retenir.
Réfléchie car Kress est pleinement dans les inquiétudes de l'époque. Elle y fait vraiment œuvre de SF en interrogeant les conséquences sur les humains
(individuellement ou globalement) de changements probables à venir
(répondant par là-même à l'invite de Charles Stross : « SF should—in my view—be draining the ocean and trying to see at a glance which of the gasping, flopping creatures on the sea bed might be lungfish »).
Biotechnologies et destruction environnementale sont ainsi très souvent au cœur de ses textes, même si elle s'autorise aussi de la SF pure avec le monumental
Shiva dans l'ombre (qui, par ailleurs, possède aussi cette simplicité très Age d'or que j'évoquais au-dessus).
Sans procéder à une énumération, voyons ce qui émerge de ce recueil.
Le sauveur met une bonne claque à l'humanocentrisme. Un vaisseau alien se pose sur Terre. Immobile et silencieux – on pourrait dire mutique – il est une énorme déception. Des décennies durant, il ne communiquera pas, jusqu'à finir par être oublié
(il faut dire que l'humanité eut d'autres chats civilisationnels à fouetter durant la période, ente chute brutale et lente remontée). Finalement, il découvre ce qu'il était venu chercher ; et ce n'était pas nous.
Touchdown, avec son championnat sportif utilisant comme terrain de jeu les villes en ruine de notre monde, en remet une couche sur le désastre à venir et illustre surtout la puérile amoralité fondamentale de l'humanité, même de sa fraction qui se considère comme la plus raisonnable et vertueuse.
Evolution est à la fois une histoire pandémique terrifiante et une description de plus de la faible civilité des humains confrontés à un danger mortel, quand la peur éteint toute conscience et prend les commandes des individus pour en faire une foule terroriste. Elle se conclut néanmoins sur une note d'espoir, venue de la science.
Fin de partie, déjà publiée avec autre titre et traduction dans
Utopiales 2012, décrit une modification neuroscientifique qui déshumanise ses porteurs en les focalisant à l'extrême sur un sujet donné et un seul. Et qui se répand...
Shiva dans l'ombre est un excellent roman court, sans doute le meilleur texte. Une sonde emporte trois personnes vers l'exploration de terrain d'un trou noir. Deux hommes, des chercheurs, et une femme, chef de la mission. Les trois humains restent dans la sonde, à distance de sécurité du trou noir, pendant qu'un petit module emporte trois copies numérisées d'eux-mêmes pour une mission suicide de recueil de données aux abords immédiats du monstre. Confrontés à l'un des phénomènes les plus terrifiants de l'univers, les numérisés se révéleront fonctionnels quand les « physiques », soumis à des pulsions bien trop humaines, monteront les marches de la colère et de la destruction. Un texte captivant, superbement pensé dans sa progression, qui rappelle que les humains sont aussi, et peut-être surtout, fait d’hormones et de phéromones.
Autre court roman,
Le bien commun. S'y pose la question du choix. Quand des aliens exterminent une grande partie de l'humanité pour sauver ce qu'il en restera, faut-il les suivre ? C'est le dilemme qu’affronte Zed.
Que sacrifier ? Qui sacrifier ? Et pour sauver qui ? Ou quoi ? Que peut-on faire ? Qu'a-t-on le droit de faire ? Sur quels modèles se baser pour décider, y compris hors de toute considération morale ? Le
réfléchi et lisible dont je parlais au-dessus s'illustre ici de fort belle manière. Un excellent texte encore.
Dans
Un, un jeune homme guère futé, qu'une opération dote involontairement de capacités surhumaines d'analyse du non-verbal, utilise son don pour son intérêt propre autant que trivial. Quand de nouvelles possibilités s'ouvrent à l'homme, elles n’arrivent jamais avec un mode d'emploi ou un guide de bon usage. Chacun devra faire comme il peut, avec ses valeurs, ses capacités intellectuelles, son background.
De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités, mais chacun les prendra comme il peut, voire choisira de ne pas les prendre.
Danses aériennes parle aussi de biomodifications. L'humain v1 cédera-t-il progressivement la place à un humain v2 qui le surpassera ? Probable. Ici, c'est dans le monde si dur et sélectif de la danse que Kress choisit de placer sa question. Elle y ajoute un questionnement sur le droit des vivants à décider pour les humains à venir en modifiant les lignées germinales, ainsi qu'une interrogation sur la valeur de la vie humaine comme produit possible d'une intensité par une durée.
La tournure enquête pousse à lire, mais j'ai été un peu déçu par un texte qui, au contraire du précédent, semble vouloir prendre une position éthique avant de ne pas le faire, et des personnages si peu attachants que c'est finalement au chien bioaugmenté Angel qu'on accroche le plus.
Danses aériennes, Nancy Kress
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