Chine Populaire 2030. Des décennies de
politique de l’enfant unique ont donné à la pyramide des âges chinoise la forme d’une barbapapa perchée sur son maigre bâton de bois. Pire, l’application d'une telle politique au sein d’une population à culture patriarcale disposant des techniques d’échographie et d’IVG a conduit, par le biais de millions d’avortements sélectifs, à creuser un écart colossal entre sexes : le nombre des hommes en âge de se marier dépasse celui des femmes du même âge de plusieurs dizaines de millions. Une promesse de célibat définitif pour des millions de
Bountiful. Sur les constats ci-dessus, la réalité est identique à la fiction que décrit Maggie Shen King dans son roman "
An Excess Male". C’est sur les conséquences que l’écrivaine taïwanaise diverge.
Les femmes devenues très majoritaires, la République Populaire a inversé la tradition ancestrale pour autoriser la polyandrie
(dans un but presque explicite de pureté ethnique). Chaque femme peut donc avoir deux époux, et quand le roman commence, la loi vient d’autoriser le passage à trois
(chacun pouvant – devant – lui donner un enfant). C’est dans ce cadre que Lee Wei-Guo
(quarantenaire et coach sportif compétent) se propose comme troisième époux à la famille de Wu May-Ling et de ses deux maris, les frères Hann et XX
(cadre comptable et informaticien de haut vol). Ce qui ne devrait être qu’une transaction financière entre les deux pères de Wei-Guo et la famille Wu
(passage au matronyme !) se révèle une affaire plus compliquée que prévue car les Wu cachent de lourds secrets. Tout dérape donc, pour plein de raisons liées tant au caractère totalitaire de l’Etat chinois qu’aux particularités de la famille Wu.
Sur la papier, "
An Excess Male" est un roman tentant. Et de fait, il y a dans le roman de King une extrapolation intéressante de la Chine actuelle.
Elle décrit une société chinoise dans laquelle la surveillance est omniprésente, tant par des moyens informatiques perfectionnés que par les inévitables chefs de secteur.
Une société d’inégalités aussi énormes qu’obscènes, car aux avantages matériels s’ajoutent les passe-droits, matrimoniaux par exemple
(ne pas partager de femme), ou le népotisme.
Une société dans laquelle la lutte constante contre la corruption consiste à tenter de remplir le tonneau des Danaïdes.
Une société dans laquelle les homosexuels
(Willfully Sterile) sont persécutés, rééduqués, dépouillés de tous leurs droits civiques, le blâme pouvant aussi s’étendre à leur famille proche.
Une société qui « rééduque » aussi les porteurs de maladies vénériennes, sans oublier les autistes, avant de sombrer dans la volonté de trouver et « traiter » tous les malades mentaux potentiels.
Une société dans laquelle le divorce est autorisé mais presque impossible à obtenir, et place le demandeur sous le regard et la pression de l’Etat.
Une société dans laquelle les dizaines de millions d’hommes célibataires jouent à des sortes de jeu de guerre sous le regard suspicieux de l’Etat, épargnent des années pour constituer la dot nécessaire à « l'achat » d'une femme, ont accès en attendant à un service sexuel mensuel fourni par l’Etat
(les Helpmates).
Une société surtout
(et ça c’est plutôt bien vu car la loi ne change pas la culture) dans laquelle la toute récente polyandrie n’a rien changé à des siècles d’habitudes patriarcales confucéennes. Dans le monde de King, les hommes dominent toujours les femmes, et les vieux les jeunes. Le mariage à plusieurs maris n’est pas un renversement du pouvoir, c’est juste une manière pragmatique de gérer le déficit de femmes. De surcroit, la justification ici n’est même pas démographique
(plus de maris ne fait pas plus d’enfants). Elle vise donc purement à satisfaire les désirs masculins frustrés de fondation de famille et de paternité, voire de sexe d’habitude.
Alors est-on dans un
Handmaid’s Tale moderne comme l’écrit imprudemment Peter Cline ? "
An Excess Male" justifie-t-il sa place dans les meilleurs romans SF 2017 du Washington Post ?
Non.
Car, le contexte posé
(et même ça prend du temps), le récit est long, digressif, rarement palpitant.
La faute à un démarrage bien trop lent, à des personnages principaux
(Wei-Guo et May-Ling) qui, s’ils sont travaillés, n’engendrent jamais vraiment l’adhésion
(au contraire de Hann et XX), à des digressions trop longue dans des scènes qui n’apportent pas grand chose
(les chiens errants, les nombreuses colères du bébé, etc.), à des technologies futures peu crédibles et de surcroit jamais vraiment exploitées narrativement, à des éléments de romance un peu nunuche qui ne grandissent ni celle qui les a écrits ni celui qui les lit.
En mélangeant les tourments du couple
(en l’occurrence ici du trouple et du quadrouple potentiel), la description d’une dystopie légère, une intrigue politique qui arrive trop tard et donne trop peu, un chantage dont le seul but est de faire avancer l’histoire, plus quelques trous narratifs
(avec des personnages secondaires qui n’apparaissent que pour jouer leur rôle), King donne l’impression de n’avoir pas su choisir quel roman écrire, à moins qu’elle n’ait sciemment voulu écrire une dystopie pour mémères dans laquelle le chroniqueur de Kirkus est allé se perdre.
An Excess Male, Maggie Shen King
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