"
The Will to Battle" est le troisième tome de la quadrilogie
Terra Ignota, écrite par Ada Palmer.
Après la mort/non-mort de J.E.D.D. Mason et la révélation du complot criminel fomenté par O.S depuis des siècles, le monde « idéal » du XXVè siècle ne peut plus rester en l'état. L'humanité sait dorénavant – ou doit enfin admettre – trois choses importantes :
1. il est facile de nier l'existence du divin, plus difficile de l'oblitérer pour toujours
2. il est facile de nier l'existence de tout ce qui est naturel – glaiseux – dans la réalité humaine, plus difficile de le faire disparaître
3. il est facile de nier l'amoralité fondamentale de toute organisation politique – si nobles qu'en soient les fins –, plus difficile de faire primer vraiment l'éthique de conviction sur celle de responsabilité.
Confrontée à l'existence du miracle J.E.D.D. et à l’incarnation d’un Achille qui doit sa substance à l’épopée d’Homère, l’Humanité doit admettre qu’il y a décidément
« plus de choses dans le ciel et sur la terre que dans toute la philosophie ». Le monde se retrouve alors plongé dans un émoi métaphysique immense, sans précédent depuis les Church Wars, il y a plusieurs siècles.
L’émoi est grand sur le plan politique aussi. Le système des Hives a visiblement failli. Le rêve d’un monde contractuel dans lequel chacun choisirait son allégeance
(voire aucune allégeance), dans lequel chaque allégeance choisirait son mode de gouvernance, et dans lequel enfin l’ensemble des allégeances seraient aussi libres que possible et aussi contraintes que nécessaire, s’écroule.
C’est l’Humanité entière qui est placé face à un Test, « ordonné » par l’Horloger-Créateur et auquel J.E.D.D. Mason est partie autant que témoin.
Ce que raconte le roman, c’est ce moment d’indécision, ce moment durant lequel la marche à la guerre
(cet éternel humain qu’on crut définitivement disparu) a lieu. De discussions en négociations, de recensement des alliés en constats de désaccord, d’entrainements militaires en préparations de stock de nourriture et de médicaments, de tentatives d’éviter la guerre
(qui ne sont en fait que des moyens de la reculer car elle est devenue inévitable) en « Trêve Olympique » temporaire, rien n’arrête la marche à la guerre car, comme l’écrivit Thomas Hobbes, cité en exergue du roman :
« For war consisteth not in battle only, or the act of fighting, but in a tract of time, wherein the will to contend by battle is sufficiently known: and therefore the notion of time is to be considered in the nature of war, as it is in the nature of weather. For as the nature of foul weather lieth not in a shower or two of rain, but in an inclination thereto of many days together: so the nature of war consisteth not in actual fighting, but in the known disposition thereto during all the time there is no assurance to the contrary. All other time is peace. ». Lisant le roman, on se retrouve dans le temps qui précède Août 1914, ou aujourd’hui.
C’est du rapport écrit de Mycroft Canner sur ces semaines frénétiques et terrifiantes qu’est faite la matière du roman, un Mycroft dont la raison vacille de plus en plus. On le voit converser, au fil de son récit, avec son lecteur futur, avec Thomas Hobbes, ou avec cet Apollo Mojave qu’il a assassiné d’atroce manière des années auparavant. Son monde, bâti sur la Raison, s’écroule aussi. L’édifice politique bien sûr, mais aussi bien plus que cela. Souillure de toutes les traditions, renversement de toutes les valeurs, marche frénétique à la guerre, la raison du monde s’effrite aussi vite que celle de Mycroft. Les portes du
Temple de Janus, qui avaient été symboliquement construites scellées, sont ouvertes à la fin du roman. Unleash Hell !
Vers où ? Pourquoi ? Faut-il faire la guerre pour détruire ce monde et sauver le monde à venir, comme le pensent certains ? L’Humanité survivra-t-elle à ce conflit ? Faut-il le sacrifice d’une Hive entière pour sauver non la paix mais l’Humanité ? Un tyran omnipotent est-il le seul espoir de tenir les humains hors de
la guerre de tous contre tous ? Ou faut-il, comme le pensent les fragments survivants d’O.S. ou le préconisait Saint Thomas d’Aquin, recourir au tyrannicide – fut-il préventif – pour préserver le bien le plus précieux de l’Homme ?
Le monde maintenant connu du lecteur, Palmer s’autorise de plus en plus de merveilles. Des Utopiens dont la science ressemble à de la magie, des incursions surnaturelles de plus en plus présentes, il faut un niveau supplémentaire de suspension d’incrédulité pour adhérer à "
The Will to Battle". C’est vers le
Micromegas de Voltaire – explicitement cité – qu’il faut se tourner pour appréhender le roman, comme une réponse que le berger humain adresserait à la bergère philosophe. De nouveau, on se croirait bien ici et maintenant. Hélas !
Roman baroque, intelligent, immense, et chatoyant, "
The Will to Battle" n’en est pas moins trop long. 350 pages de marche à une inévitable guerre, c’est long. Au point qu’on en est à vouloir embrasser les Utopiens lorsqu’ils provoquent le déclenchement des hostilités dans un mouvement sacrificiel qui a pour bût d’assurer la survie d’au moins une part de l’Humanité dans le conflit à venir. Gageons que le tome 4 retrouvera le momentum perdu ici où Ada Palmer nous donnait à voir un monde qui retenait son souffle.
The Will to Battle, Ada Palmer
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