On peut ne pas lire "
Noumenon", de Marina Lostetter, roman d'arche générationnelle avec clones dont les maigres forces sont bien incapables de soutenir l'ambition. On y fait du vieux avec du neuf ou du Clarke YA.
On peut, en revanche et pour peu qu'on ait un peu de cœur, lire "
Cheloïdes" de Morgane Caussarieu, son premier roman non fantastique.
"Colombe est maquilleuse sur des pornos gay, Malik est punk et vit
dans la rue. Alcool, drogue et soirées destroys, tout semble les réunir,
mais les jeunes gens ont chacun leurs démons. Commence alors une
inévitable descente aux enfers."
Ca n'est pas faux. Colombe et Malik, c'est
Sid et Nancy vers Pigalle. Elle ne se défonce pas trop
(au début), lui pas trop non plus
(au début). Ils se rencontrent, unissent deux solitudes, croient s'aimer, finissent par le faire vraiment.
Mais c'est trop dur, tout est trop dur. Malik qui squatte chez Colombe. Les deux qui trainent des passifs énormes. L'un et l'autre enfermés dans des identités réactives, chéloïdes de passés familiaux et sociaux qui ne passent pas. L'un et l’autre qui ne se rencontrent pas là où ils devraient le faire, dans une communion sexuelle qui les fusionnerait pour quelques instants d'oubli. Malik et Colombe sont sur deux planètes sexuelles distinctes qui les séparent au lieu de les rapprocher.
"Qui comprendra pourquoi deux amants qui s'idolâtraient la veille, pour un mot mal interprété, s'écartent, l'un vers l'orient, l'autre vers l'occident, avec les aiguillons de la haine, de la vengeance, de l'amour et du remords, et ne se revoient plus, chacun drapé dans sa fierté solitaire." s'interrogeait Lautréamont, et Robert Smith miaulait "
You want to know why I hate you?
Well I'll try and explain."
Dans les deux cas, l'incompréhension fondamentale, presque solipsiste, entre partenaires humains. Le sexe peut aider à la surmonter mais Colombe et Malik n'ont pas ce luxe. Alors ne reste que les chéloïdes, que la déception d'avoir cru avoir trouvé un Autre, que la
borderline entre disputes, violence, larmes, concerts, et dope, de plus en plus de dope comme palliatif à la déception, substitut à un sexe défaillant, justification pratique à une sexualité en berne.
Cette descente aux enfers, Caussarieu la décrit dans un langage cru et explicite. Elle gratte là où ça fait mal et n'offre pas d'échappatoire facile à ses personnages. Elle raconte une histoire de sentiments exacerbés, de conduites suicidaires, de soif du contact jamais rassasiée, ou, ce qui est pire, jamais rassasiée par l'un comme le voudrait l'autre. Des boites parisiennes aux sex-clubs de Berlin, des squats en ruine aux appartements de la petite bourgeoisie culturelle, de ces gothiques qui dansent en regardant leurs pieds à ces birds qui attendent la baston comme des prétresses une apparition, Caussarieu raconte un monde qu'elle connait bien, offrant tant de moments de vérité qu'on ne peut qu'y trouver des souvenirs ou un bon travail d'ethnologue.
Sid et Nancy, qui, eux, commencèrent la dope avant d'arrêter le sexe, disaient dans le film éponyme : "
Le sexe, c'est pour les hippies. C'est pas pour les punks toutes ces chienneries". Ils étaient raccords sur ce point, Malik et Colombe non.
Noumenon, Marina Lostetter
Chéloïdes, Morgane Caussarieu
Commentaires
Je sais de source sûre ;-) que Morgane est revenue dans cette veine réaliste pour un percutant roman berlinois qu'elle portait en elle depuis un bon moment.
Très égoïstement, j'espère qu'elle va vite revenir à la littérature de genre.