"
2312" est un roman de Kim Stanley Robinson, entre Hard et Solar SF.
Après la mort de sa belle-grand-mère Alex dans la cité mercurienne de Terminateur, l’artiste post-humaine Swan se lance dans une enquête d’un bout à l’autre du système solaire sur les traces des activités et des craintes de la défunte Alex. Ce système solaire de 2312, cet espace, tant humain que planétologique, KSR le décrit, et le lecteur le découvre.
Que dire de "
2312", le roman lauréat du Nébula 2013 ? La facilité serait de valider un bandeau qui sous-entend que Nebula égale Plaisir de lecture. Car le roman a de réelles qualités, car un Prix prestigieux fait autorité. Pourtant, il ne m’est guère possible d’être dithyrambique, et il y a beaucoup de mes connaissances à qui je ne conseillerais pas ce livre. Toi, lecteur, choisis ton camp.
Commençons par les qualités de "
2312".
En près de 600 pages, KSR offre le spectacle d’un monde futur coloré et baroque. Documenté et précis, il propose un grand tour du système solaire qui en explique autant les corps célestes qu’il les décrit. Et ces corps célestes qui nous sont aujourd’hui inaccessibles, il les peuple et les fait vivre.
Sur le plan de la prospective, KRS foisonne dans toutes les directions. A partir d’une
timeline imaginée qu’il rend explicite, KRS écrit une histoire de l’humanité à venir, comme il l’avait fait dans
Chronique des années noires dans le cadre alors d’une histoire potentielle. Le monde de "
2312" est le fruit de cette histoire.
Imaginez une mondialisation à l’échelle du système solaire entier, permise par l’ascenseur spatial comme la nôtre le fut par le container.
Sky is no more the limit. L’humanité est présente dans une grande partie du système solaire. Elle y vit, y travaille, y commerce. Elle occupe chaque lieu du système comme aujourd’hui nous occupons chaque lieu de la Terre.
Point commun avec la nôtre : un problème écologique terrien grave et non réglé, des inégalités et une misère croissantes sur Terre, des tensions fortes entre groupes humains en voie de micro-étatisation et de balkanisation.
Divergence : un éparpillement de l’humanité qui favorise l’invention et la créativité plutôt que l’uniformisation, donnant un monde de 2312 infiniment divers tant sur le plan sociétal qu’artistique ou politique et où le capitalisme strict est en voie de marginalisation.
Terraformations diverses, exploitations inédites des astéroïdes, transhumanisme, transformations biologiques des êtres vivants, traitements de longévité, intelligences artificielles, nouveaux loisirs, nouvelles familles, nouvelles expériences, nouveaux risques aussi. On y voit même les premiers vaisseaux arches.
KSR fait, avec "
2312", une grande récapitulation des connaissances sur le système solaire, de la prospective technique et sociétale, des thèmes de la SF aussi
(évoquant parfois explicitement Brunner ou Stross par exemple).
Et la visite n’est pas déplaisante tant le paysage est riche, varié, chatoyant. "
2312" fourmille d’autant de détails et de vie qu’un tableau de Brueghel. On y prend le même plaisir. Pour certains lecteurs ce sera plus que suffisant, ce sera même la force du roman.
Mais imaginez devoir rester immobile huit heures devant un tableau de Brueghel à tenter d’y percevoir des mouvements aléatoires. L’ennui finirait peut-être par vous gagner. C’est ce qui s’est passé avec "
2312" pour moi. Car le roman a aussi
imho de nombreux défauts.
Le fond d’abord peut faire décrocher. Passons sur la place importante consacrée à la pansexualité et à la panfamilialité qui deviennent vraiment les tartes à la crème de la SF contemporaine, sur quelques analyses politiques à la hache qui font « Naomi Klein pour les Nuls », sur le traitement pour le moins cavalier des effets des différences de gravité sur les individus, ou sur une temporalité parfois hachée. L’essentiel c’est l’impression d’ensemble que donne la lecture.
Visiblement plus intéressé par une description que par une histoire, KSR mène son récit principal de manière très lâche et l’entrecoupe de fréquentes et longues digressions sur les sujets les plus variés au point de régulièrement sembler l’oublier. Parfois formellement, comme avec ces vignettes prises chez Brunner et/ou Dos Pasos
(mais chez Brunner il y a une nervosité de style qui raccroche sans cesse le lecteur), d’autres fois informellement, avec de longues discussions ou descriptions dont on dira, par charité, qu’elles sont connexes au sujet. Certes, les fils se nouent peu ou prou à la fin, mais que le chemin fut tortueux, et ce ne sont pas les digressions qui ont conduit à la conclusion.
La forme ensuite. Car le problème ici n’est pas la description détaillée
(habituellement prisée du lecteur SF) d’un monde futur imaginé mais le mode sur lequel elle est réalisée. Verbeux, pompeux, à limite du pédant, étalant comme de la confiture une grande culture artistique et scientifique qui tombe dans le récit comme un cheveu dans la soupe, KSR glose à n’en plus finir au point de donner furieusement l’impression de procrastiner. Ajoutons-y des dialogues qui ne jureraient pas dans un film d’auteur français et le cocktail devient explosif. Ca s’améliore au peu dans le dernier tiers sans jamais disparaitre tout à fait. Quand on sait que j’apprécie plutôt la littérature référencée, on peut imaginer qu’il en a fallu des tonnes pour que ça m’insupporte ; c’est le cas.
Globalement, j’ai trouvé le tout trop long, trop pointilliste, trop dilatoire. Et le personnage de Swan, qui résume dans son corps et sa biographie ce foisonnement, ne m’a jamais séduit, sans doute pour la même raison. N’est pas Proust qui veut, il y faut un style que KSR n’a pas.
Lisant, je n’arrêtais pas de penser à ce manque de cohérence centrale qui caractériserait les personnes atteintes d’Asperger et qui leur cache la vue d’ensemble en les noyant sous les détails. 2312 est, pour moi, un roman Asperger dont la résolution n'efface pas le sentiment d'exaspération qu'a laissé le cheminement. Il est plus
Mars qu'
Aurora.
2312, Kim Stanley Robinson
Commentaires
Toi qui vois.
Ben là tu me refroidis sérieusement. Le pompeux me déplaît profondément.
Je vais donc attendre, mais je crois que cela va être très difficile de ma faire faire machine arrière...
C'est la récurrence quasi-obsessionnelle du sujet qui me frappe depuis quelques temps. J'ai l'impression de ne plus lire un seul livre dans lequel l'imagination créative oublie ces domaines, et je côtoie plus de pansexuels en un mois de lecture qu'en une année de vie véritable.
Ca bouffe un peu ma suspension d'incrédulité dans ce domaine. Je commence vraiment à trouver que c'est, comme je l'écris, tarte à la crème.
D'une part des modifications génétiques qui permettent d'avoir des relations sexuelles inédites (pas de théorisation là, c'est juste un élément de la créativité des spatiaux de 2312)
D'autre part, une légère théorisation sur le fait que le couple n'étant pas assez stable pour assurer l'entretien et l'éducation à long terme des enfants, ceux-ci doivent être le fait de "couples élargis" (c'est pas le terme utilisé) qui conservent le lien à l'enfant même si les liens entre tel ou tel membre se distendent.
Pour la panfamilialité/pansexualité, j'ai l'impression que c'est un peu le combat intellectuel de ce début du siècle, comme l'ont été d'autres thèmes. Les écrivains de SF se sentent investis d'une grand mission ! C'est vrai que ça peut devenir lourdingue. Mais personnellement, comme je l'ai déjà dit sur le forum Planète SF, je préfère la position de Ian McDonald qui constate, à défaut d'insister.
Grenouilles qui se rêvent plus grosses que le boeuf.
Autre bonne surprise de cette année: The Collaping Empire de Scalzi et - en effet - Borne - de Vandermeer
Verti
Désolé, c'est nerveux, que c'est bon de passer à autre chose ;)
D'ailleurs, ce n'est d'après moi pas du "tragique qui s'arrange". Et c'est sans doute bien pour ça que j'ai trouvé ça rasoir ;)