The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Tropic of Kansas - Christopher Brown - No Trump inside


"Tropic of Kansas" est un roman dystopique de Christopher Brown. Il décrit une Amérique déchirée, autoritaire, et ploutocratique, qui se bat autant contre des ennemis extérieurs bien pratiques pour affirmer une puissance qui légitime et nourrit le complexe militaro-industriel que contre des « ennemis intérieurs » qui ne demandent pourtant rien de plus que ce que leur promet la Constitution.

Qu'on ne s'y trompe pas néanmoins, "Tropic of Kansas" – même s'il sera sans doute vendu, et sûrement bien vendu, hélas, en jouant sur cette ambiguïté – n'est pas un roman sur ce que fera – ou pas – Donald Trump. Ce n'est pas non plus un roman écrit pour se navrer de ce que pourrait faire Trump. C'est un roman écrit il y a des années, alors que Trump n'était encore qu'un clown à la télévision.

"Tropic of Kansas" est une uchronie noire. Divergence : les otages américains sont assassinés par les Iraniens dans l’ambassade de Téhéran. Divergence : le Président Reagan est assassiné durant son mandat ; Haig, qui managea, au moment du vrai attentat, la Maison Blanche, prend le pouvoir, durcit l'Etat fédéral, et lance des guerres de représailles. Divergence : l'actuel Président (date inconnue) est le Président Mack, héros de guerre et bellâtre télévisuel, qui en est à son troisième mandat (là, on sent bien que le gars n'est pas vraiment respectueux de la démocratie).

Entre l'assassinat des otages et la troisième présidence Mack, les USA sont devenus une caricature brisée de ce qu'ils furent. Les services de sécurité sont omnipotents. Le régime est autoritaire. L'autocrate de la Maison Blanche ne lâche plus un pouvoir qu'il partage sans vergogne avec le complexe militaro-industriel (on se croirait dans un cauchemar de Noam Chomsky). Les opposants sont emprisonnés, torturés, assassinés.

D'immenses territoires ont connu une crise sans précédent (économique, écologique, environnementale, algorithmique), ruinant fermiers et travailleurs, et laissant des zones entières aux mains ici de milices, là de gangs, dans une société aux média sous contrôle et à l'économie tiers-mondisée. Le monde du roman est un monde paranoïaque de drones de surveillance armés et de trains robotisés, un monde dans lequel le canal de Panama n'existe plus et où le Nicaragua (c'est vieux tout ça) est encore un problème américain. Le nexus de la désintégration est à la Nouvelle-Orléans, chaotique, en partie abandonnée car toxique, où se concentrent toutes les tensions. La ville a pris son indépendance un temps, avant d'être reconquise par le pouvoir fédéral qui y a installé l'une de ces immenses prisons dans lesquelles la Constitution n'a plus droit de cité. De la ville venait Maxine Price, cette ex-vice-présidente dont on pense qu'elle a été tuée dans un attentat contre le Président Mack.

C'est vers la Nouvelle-Orléans que convergent Sig, orphelin rebelle, enfant sauvage, fils d'une contestataire, et Tanya, juriste à la fois dans et hors de l'establishment. Tanya, qui a connu Sig enfant, est envoyée à sa recherche par les autorités, et va se découvrir, chemin faisant, une conscience civique et démocratique.

Sur le fond, rien à dire. La dystopie est intéressante bien que peu surprenante et la ballade (le gonzo, paraît-t-il) dépaysante.
Mais la forme ne va pas – et je le regrette fort car mon a priori était très positif.

J'ai déjà dit un mot sur la manière dont, avec l'élection de Trump, on a l'impression que Brown arrive premier dans un concours de circonstance. Tant mieux pour lui mais ça n'en fait pas le nouvel Orwell.
Sur les praises, « The city and the city », « Jennifer Government », « Man in the High Castle », je préfère ne pas commenter, par amabilité. Pas grand chose à voir.
Concernant la très bonne review de Doctorow, elle n'est pas surprenante. Démocratie en réseau, approche anarchiste libertaire, fabber imprimant en 3D, réseaux clandestins, il y a ici tout ce qu'aime Doctorow. Il y a aussi, comme chez lui, ce trop faible intérêt porté à l'écriture. Les idées, c'est bien, encore faut-il les exprimer dans quelque chose qui soit lisible. Et je trouve que ce n'est guère le cas ici.

Certes, Brown a un style. Mais il est (très) pénible à lire.

Les deux personnages principaux sont peu détaillés, et encore, ils peuvent s'estimer heureux, tous les autres ne sont guère plus que des silhouettes, des positions. Le déclenchement de leur épopée est difficilement crédible, et, même si elle est parsemée de combats et de morts, elle apparaît, dans son déroulement, bien trop facile – ainsi que répétitive dans sa structure. A travers les USA, les deux – sans vraiment d'information préalable ou de fixer efficace – entrent facilement en contact avec tout ce que l'underground compte d'important, arrivent finalement à se retrouver, parviennent à obtenir des informations capitales sur l'administration que personne d'autre n'avait obtenues jusqu'alors (des infos assez importantes pour enclencher une révolution), arrivent à survivre – sans avoir l'air d'y toucher – à tout ce que le monde lance sur eux (jusqu'à la scène dantesque de la fin où Sig vainc un robot de combat ultra-moderne), etc. Facile, trop facile.

Ensuite, la narration. Peu de dialogues, peu d'affects, des accumulations de phrases juxtaposées, des descriptions qui sont plutôt de longues énumérations de noms, de mobilier, d’équipement, etc. Long et pénible.

En contrepoint de cette exhaustivité, la narration est souvent elliptique au point de sembler épileptique. Des scènes qui s’enchaînent sans que leur déroulement soit parfaitement clair, un usage des pronoms qui fait qu'on doit régulièrement relire pour savoir qui fait quoi, des sauts de moment à moment qui donnent l'impression de regarder le tout sous une lumière stroboscopique. Amusant et speed sans doute pour un texte de dix pages, gênant ou ennuyeux quand ça s'étale sur 350. Si le but était d’illustrer la confusion d'une situation hors de contrôle, c'est réussi, mais, honnêtement, j'ai dû me forcer pour finir.

Enfin, autant tout dire, le roman est très américain, trop peut-être pour un lecteur étranger. Les très nombreuses références, moins grand public que celles d'un S. King, peuvent être expliquées dans des notes de bas de page, il n'empêche que leur impact émotionnel s'en trouvera amoindri voire annulé.

"Tropic of Kansas" est donc un roman plein d'idées intéressantes (même si leur originalité est faible) dont la mise en mots ne m'a pas convaincu.

Tropic of Kansas, Christopher Brown

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