The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Winter Tide - Ruthanna Emrys - Scoubigang


Une tendance récente dans l'Imaginaire consiste à « revisiter » l’œuvre de Lovecraft en y pointant le racisme bigot (de l'homme et/ou des textes) ou en l'assaisonnant de prises de position très contemporaines visant à renverser les stigmates. C'était le cas pour le Lovecraft Country de Ruff, par exemple. Passée la déception que fut le Ruff, la tentative de Ruthanna Emrys semblait plus séduisante, d'autant que sa nouvelle The Litany of Earth – préquelle au roman – posait quelques fondations intéressantes. Qu'en fut-il concrètement ?

1948. La Seconde Guerre Mondiale est finie. La Guerre Froide commence avec le blocus de Berlin. Les USA réalisent qu'ils seront confrontés pour des années à un ennemi aussi puissant que déterminé à vaincre.
Il y a un « ennemi » en revanche qu'ils ont, semble-t-il, neutralisé. Le peuple de la mer, les Profonds d'Innsmouth, ont été anéanti par le gouvernement fédéral en 1928, lors des événement relatés dans Le cauchemar d'Innsmouth. Mort de nombre d'entre eux, internement délétère des autres, ne restent aujourd'hui sur la terre ferme qu'Aphra Marsh et son jeune frère Caleb. Tous deux ont passé presque vingt ans de leur vie dans un camp US où ils ont vu tous leurs proches mourir les uns après les autres. C'est la libération des Américains d’origine japonaise, internés aussi après Pearl Harbour, autant que le passage du temps ou le changement des priorités stratégiques, qui leur a valu d'être récemment rendu à la liberté.

De retour dans le monde, Aphra tente de reconstruire une vie en Californie, auprès de la famille japonaise pleine de bonté qui l'a « adoptée ». Caleb, lui, rêve de retrouver l'héritage de ses ancêtres et forcerait bien les portes de Miskatonic pour ce faire. L'occasion va lui en être donné lorsqu'Aphra, « recrutée » par Spector, un agent du FBI plus ouvert que ses collègues, l'impose dans une opération visant à déterminer si des espions russes auraient pu trouver dans la célèbre université les technologies occultes permettant de réaliser des transfert d'esprit. Un soviétique capable de transférer son esprit dans le corps d'un haut responsable américain pour espionner ou lancer des bombes A, voilà qui terrifie le FBI et justifie d’employer les grands moyens. Aphra, son ami et employeur Charlie, Caleb, et Spector se retrouvent donc « invités » à Miskatonic pour y faire des recherches et identifier l'espion potentiel. Ils y feront des rencontres imprévues et renoueront le lien avec les Anciens d'Innsmouth.

Le roman commence bien. Emrys connaît son Lovecraft et il n'y a aucune grosse faute de goût dans ce qu'elle imagine.

Elle crée un angle intéressant en faisant d'une fille d'Innsmouth l'héroïne de son histoire. Donnant la parole au « monstre », elle en montre l'humanité. Les Profonds, victimes de l'ignorance, de la bigoterie, et de l'image désastreuse que des fous tels qu'Ephraïm White donnèrent de la sous-race, subirent les assauts – presque jusqu'à l'anéantissement – d'un Etat fédéral qui fut d'autant plus impitoyable que les Profonds étaient vus comme des sous-humains. Le parallèle, volontaire et travaillé, avec le destin des Américains d'origine japonaise est saisissant. Il permet aussi de rappeler l'histoire de ces victimes réelles d'une politique excessivement sécuritaire. On ne peut pas ne pas penser aussi au sort de Juifs d'Europe, d'autant que Spector, juif à la famille assassinée, ne nous laisse pas l'oublier.
Parlant de survivants, elle pose la question de la transmission, de la reconstruction, des devoirs qui pèsent, ou pas, sur ceux qui ont survécu. Ce fut aussi la question des rescapés des camps de la mort.

Pour que ce qui est des malheurs du temps, Emrys pointe aussi les préjugés raciaux omniprésents dans l'Amérique triomphante, le sexisme quasi-segrégationniste, l'homophobie évidente.

Pour ce qui est du Mythe, Emrys intègre judicieusement l'histoire du Monstre sur le seuil en la tissant au cœur de la dynamique de son récit.

Elle reprend la difficulté et le danger d'une magie loin d'être spectaculaire et toute puissante.

Elle trouve aussi le ton de Lovecraft pour dire les rapports entre le Vivant et l'Univers. La litanie de la Terre raconte le temps des éons, les races qui précèdent les humains, celles qui les suivent. Et l'humanité, dans ses diverses formes, n'est qu'un tout petit moment sans importance dans l’Histoire de la Terre – ne parlons même pas de l'Univers. Emrys confronte ainsi régulièrement les passions et guerres humaines à leur inanité en regard du temps long de la réalité, celui que chevauchent et chroniquent les Yithians.
Elle rappelle enfin que les entités néfastes du Mythe le sont presque par inadvertance tant elles sont peu intéressées par les fourmis humaines.

Se lovant dans le mythe, Emrus livre un message humaniste en incarnant le « monstre », en lui donnant des pensées, des sentiments, une famille, une histoire. Génériquer l'ennemi, c'est ce que font les fascismes ou les racismes. Emrys rend à ceux qui ne sont d'habitude vus que comme des silhouettes une identité complète.

Hélas, c'est aussi la limite du roman.

Mourant d'envie de dire, Emrys oublie de raconter. A partir de la moitié du texte environ, il ne se passe plus grand chose d'intéressant. L'enquête est peu ou prou abandonnée, comme oubliée, les quêtes annexes apparaissent, guère passionnantes, et les aller-retours frénétiques entre un lieu et l'autre ou un groupe de protagonistes et l'autre ressemblent plus à des mouvements dans une partie de jeu de rôle qu'à la structure narrative d'un roman pensé. Mais les personnages sont posés, les gentils sont gentils et les méchants méchants, il semble qu'Emrys ait fini de dire ce qu'elle voulait dire.

D'autre part, elle inclut peu à peu trop de personnages à son histoire. Cela empêche de vraiment entrer en résonance avec l'un quelconque d'entre eux et renvoie l'image d'un motley crew qui finit par faire penser au Club des Cinq. D'autant qu'une amitié – parfois méfiante certes – ainsi qu'une grande loyauté unissent ces aventuriers dont certains ne se connaissaient pas peu de temps auparavant. C'est peu réaliste dans le contexte. Et ça donne : Problème → Amitié → Solution trouvée → Courage et solidarité → Mise en œuvre en commun ; on se croirait un peu dans du YA. Là aussi, le but manifeste de mettre en avant tolérance et solidarité nuit à la dramaturgie.

Enfin, la volonté de dépasser à toute force les préjugés lovecraftiens conduisent Emrys à mettre en scène une équipe au final composée de : Deux Profonds (une Femme, un Homme), un Gay (de fait, deux), une Lesbienne, un Juif, une Afro-américaine, une Nippo-Américaine, et last bot not least une Hybride Humain/Peuple du Sous-Sol (plus une dont je ne peux pas parler mais qui – si certains lisent le roman ils la verront – est vraiment peu crédible dans ses attitudes étant donné son identité). Ne manquait plus qu'un raton-laveur. Quelle est la probabilité qu'une équipe réunie par un projet commun regroupe de telles individualités ? J'imagine qu'elle ne doit pas être grande, et, du coup, ça en devient absurde par excès de démonstration.

Encore une fois, on voit qu'on ferait mieux de raconter une histoire plutôt que de vouloir dire une chose. Et, au cœur d'une histoire bien racontée, on peut dire bien des choses ; une mienne prof de droit disait que dans la forme on peut toujours cacher du fond.

Winter Tide, Rythanna Emrys

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