The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Mr Suicide - Nicole Cushing - Mouaip


Louisville, Kentucky. Une famille white trash américaine qui s’est un tout petit peu embourgeoisée : on n’y vit pas dans un trailer mais dans une maison fabriquée en deux morceaux en usine puis assemblée par collage à l’arrivée sur le terrain. On a sa fierté, même si elle est mal placée, on arrive toujours à voir plus pauvre et en difficulté que soi, mais on est néanmoins tout en bas de l’échelle sociale.

Dans ce joli logis vivent non pas trois ours mais un papa, une maman, et deux enfants. Le papa travaille à l’usine du coin, et il y a bien longtemps que la maman l’a mis sous l’éteignoir. La maman est une femme toxique et malfaisante, Folcoche redneck qui martyrise psychologiquement ses enfants et en tire autant jouissance que rassurance. Le garçon le plus âgé est fou, littéralement. Il a cédé, sa mère l’a brisé. Le garçon le plus jeune – bientôt majeur – hait sa mère, pense au meurtre, au suicide, à un départ définitif loin de son enfer domestique. Le couple a deux autres enfants, qui ne fréquentent plus la maisonnée après que des années de maltraitance morale aient culminées dans des esclandres faits par la mère lors de leurs cérémonies de mariage. Voilà, voilà.

Avec un tel pitch, on pourrait attendre un roman réaliste. Mais Cushing – qui tient la plume –  se définit elle-même comme une « anti-nataliste », disciple de Ligotti.

Le « héros » de Mr Suicide est le garçon presque majeur – qui le devient pendant le roman. Jamais nommé, Cushing s’adresse à lui intégralement à le deuxième personne. Elle lui/nous dit donc qu’il est en contact mental avec Mr Suicide, une sorte de croquemitaine qui l’invite sans cesse à se suicider. Maltraité en famille, ostracisé au lycée, mal dans sa peau, le gars (appelons-le comme ça) ne cède jamais, même s’il est toujours tenté. Alors que le temps passe et qu’il accepte toujours plus la monotonie abjecte de sa vie, son frère fou lui offre un magazine mêlant allègrement sexe, laideur, et mutilation. Il y découvre une page centrale totalement noire, et, y plongeant, trouve un mentor surhumain et commence un chemin qui doit le conduire jusqu’à l’annihilation complète, une annulation qui, accomplie, ferait de lui une personne non née, n’ayant jamais quitté le néant de la non existence, effacée donc de l’Histoire et des mémoires. Il ne peut rester aucune trace de ce qui n’a jamais existé.

S’il y a une chose qu’on peut reconnaître à Nicole Cushing, c’est qu’elle a de l’estomac. Décrivant la marche au néant de son personnage, elle ne lui/nous épargne rien en terme de perversion sexuelle ou de voyeurisme. Cushing n’en rajoute pas dans les effets mais elle montre tout, sans rien cacher, sans affect aussi. Elle développe pour nous la volupté de l’anéantissement possible dans le cadre d’un récit initiatique où nous sommes intégralement spectateurs. En trois étapes, le gars doit descendre une Echelle de Jacob inversée, dégénérer, déréaliser le monde, puis disparaitre totalement. Qu’en sera-t-il ?

Pour lire "Mr Suicide", il faut un peu de courage tant Cushing n’édulcore rien. Imaginez le fond nihiliste de Ligotti, assaisonné de mutilation à la Ballard ou à la Evenson, de sexualité déviante à la Brite, et traité avec la matter-of-factness de Palahniuk. Imaginez un personnage de mère monstrueuse comme il y en a parfois même s’il ne devrait jamais y en avoir. Imaginez l’ambiance méphitique des humiliations casual dans les lycées US entre les populaires et ceux qui ne le sont pas. Imaginez un récit dépassionné de marche à l’abîme qui vous met aux premières loges. Imaginez l’avilissement progressif d’un jeune atteint de PTSD familiale. C’est l’ambiance.

J’ai lu mais n’ai pas été entièrement convaincu, en dépit du Bram Stoker Award 2016 du premier roman. Les histoires de perversions sexuelles m’ennuient vite. Les récits nihilistes à la Ligotti aussi. Cerise sur le gâteau, le style « à la deuxième personne » me laisse la plupart du temps à l’extérieur alors qu’il est sensé donner l’impression de s’adresser au lecteur lui-même. Alors à vous de voir.
D’autant que la fin est troublante. Après toute cette noirceur, on a l’impression d’assister au Choose Life conclusif de Trainspotting, renonciation ultime face à l’inéluctabilité du monde.

Mr Suicide, Nicole Cushing

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