The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

La Cité du Futur - RC Wilson - Le passé est un pays différent


« Deux événements marquèrent le premier septembre dans la mémoire de Jesse Cullum. D'abord, il perdit ses lunettes Oakley. Ensuite, il sauva la vie du président Ulysse Grant. » Avec ce début à la Scalzi, Wilson ouvre "La Cité du Futur", son dernier roman. Oakley, Grant, le même jour ; on comprend qu’on s’embarque pour un voyage dans le temps.

1876, plaine de l'Illinois. La Cité du Futur est une merveille construite au milieu du Far West par des hommes venus de notre temps. Ouverte pour cinq ans seulement avant une fermeture définitive et programmée, à la fois musée des curiosités à venir pour riches visiteurs locaux et parc d'attraction grandeur nature pour voyageurs venant de notre époque, la Cité est un lieu semi-clos qui met en contact quatre populations : les employés locaux, les employés du futur, les visiteurs locaux, et les voyageurs venus du futur. Une cohabitation pas toujours facile qui nécessite un peu d'adaptation de part et d'autre.

Les locaux sont surpris – voire effarés pour certains – d'apprendre que le futur est un lieu où il est incorrect de dire « chinetoque », où un Noir peut devenir président des USA, où les femmes travaillent, vont à la guerre, et disent leur façon de penser (sans compter qu'elles votent), où des couples d'hommes et de femmes peuvent se marier. Si les mœurs troublent la plupart (et font rêver quelques autres), les merveilles scientifiques et technique à venir (entraperçues ou expérimentées dans la Cité) impressionnent tout le monde ; il est d'ailleurs prévu que la Cité livrera en cadeau au monde quelques secrets scientifiques durant l'année précédant sa fermeture.
Les voyageurs du futur découvrent, lors de leurs excursions hors la Cité, une population parfois bigote, souvent intolérante, ancrée dans ses certitudes inégalitaires. Pas toujours certes, mais souvent. Ils découvrent aussi un inconfort dont ils connaissaient l'existence mais dont ils étaient loin de soupçonner l'ampleur. Le passé c'est bien joli mais ça sent mauvais, et il vaut mieux ne pas manger ni boire ce qui s'y trouve. Ni se faire soigner par un médecin du cru.
L'important est donc, d'un côté comme de l'autre, de ne pas juger à l'aune de ses propres critères. Jesse le dit fort justement : « Le passé est un pays différent ». C'est vrai aussi, dans l'autre sens, pour le futur. Nos contemporains, qui passent leur temps à juger le passé avec les lunettes du présent, feraient bien d'en prendre de la graine. Autre temps, autres mœurs.

Revenons à Cullum. Le premier septembre, cet employé local de la Cité sauve donc la vie du président Grant en prévenant une tentative d'attentat contre l'élu en visite. Problème : le terroriste, un local, est porteur d'un pistolet Glock, évidemment « importé » du futur. Cullum est alors missionné par August Kemp – créateur de la Cité – pour remonter à la source du trafic ; il fera équipe avec l'ex-militaire Elisabeth DePaul, une future. Au fil de leur enquête, ils découvriront les dégâts occasionnés par la Cité, comme ceux causés par les activistes du futur qui la contestent.

Comme tous les Wilson, "La Cité du Futur" est d'un abord très aisé. Histoire et style sont simples et abordables. Même les paradoxes temporels sont traités de la façon la plus simple possible, grâce à la théorie des univers parallèles – ainsi aucun problème de grand-père.

Wilson entraîne le lecteur à la suite de deux personnages auxquels il donne progressivement une histoire et une profondeur, développant leur relation avec beaucoup de délicatesse.

La confrontation entre deux populations différentes permet de pointer les imperfections de chaque temps et de mettre en scène – pour ce qui est des protagonistes principaux – une tolérance de bon aloi, condition sine qua non de la persistance de la relation (ne pas juger l'autre à l'aide de ses propres lunettes). Wilson donne à chacun le langage de son temps, et – ceci est bien fait – il utilise les mots de Cullum même quand il est le narrateur de celui-ci. Cela donne à la narration un style légèrement suranné qui met le lecteur dans l'ambiance du temps.

Au fil du récit, l’auteur montre l'indifférence des créateurs de la Cité aux dommages que cause leur simple présence. Il narre la condescendance un peu méprisante de beaucoup des futurs, voyageurs comme membres du personnels, envers des locaux considérés comme délicieusement exotiques mais aussi terriblement arriérés. Il montre l'hypocrisie parfois inconsciente de voyageurs qui visitent un moment plus pauvre et plus difficile en toute sécurité, protégés qu'ils sont par la certitude que, eux, dormiront dans un hôtel climatisé et que, leur curiosité satisfaite, ils rentreront dans leur propre époque, loin des difficultés de celle-ci ; Oscar Wilde, lui, prenait des risques physiques quand il s'encanaillait dans l'East End. Enfin, Wilson illustre les dégâts causés par des activistes venus du monde nanti pour provoquer un changement social accéléré dans une société qui n'y est pas encore prête.

"La Cité du Futur" est donc le lieu littéraire d’une ode à un certain relativisme culturel, ainsi que celui d’une condamnation implicite des ravages hypocrites ou inconscients du tourisme (y compris dans sa version « éthique »), de l’expatriation, de l’activisme nomade.

Tout ceci est bel et bon, joliment fait de surcroit. Mais le roman, s’il démarre fort, s’essouffle assez vite sur son point principal. La confrontation entre deux temps – qui aurait pu être si fertile – finit par se limiter à la version intime qu’en livrent Jesse et Elisabeth, et l’enquête progresse sans grande surprise, d’événements en événements, dans une approche où l’action prend de plus en plus le pas sur la réflexion (la palme revenant à la longue scène d’infiltration dans la maison à la fin). L’histoire des personnages et l’histoire entre les personnages cannibalisent l’autre histoire, celle de la rencontre de deux mondes, celle qui promettait le plus à un lecteur SFFF. Mauvais dosage.

Une bonne première moitié donc, pleine de jolies trouvailles, puis une seconde moitié qui, changeant de focale, n’étonne plus et n’ajoute pas grand chose à ce qui précédait. C’est dommage. Il y aurait eu tant d’autres choses à dire et à montrer.

La Cité du Futur, RC Wilson

Commentaires

lutin82 a dit…
Oooh!
Du coup c'est une bonne lecture mais sans plus.
Gromovar a dit…
Les deux sont vrais : Bonne lecture oui, sans plus oui.
Vert a dit…
Ca fait des lustres que je veux explorer l’œuvre de Wilson. Du coup je ne commencerais peut-être pas par celui-là ^^
Gromovar a dit…
Les Chronolithes par exemple.
Vert a dit…
Je note dans un coin de ma tête, merci ^^. Sinon je dois avoir Spin qui se balade dans la bibliothèque (me semble que Monsieur l'a lu).
Gromovar a dit…
Spin est excellent mais les Chronolithes plus rapide pour se faire une idée.