The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Sherwood Nation - Benjamin Parzybok - Pschitt


Futur proche. Une sécheresse sans précédent frappe depuis des années l'Ouest des USA. Effondrement économique et problème d'accès aux ressources les plus basiques, dont l'eau, ont conduit nombre d’habitants (parmi lesquels beaucoup des plus qualifiés) à migrer hors des zones sinistrées. Jusqu'à la fermeture des frontières intérieures. Plus possible d'aller à l’est des Rocheuses, les Américains de la Côte Ouest se retrouvent coincés dans une zone en déliquescence économique et sociale qui survit grâce à l'aide humanitaire (eau et rations alimentaires) livrée quotidiennement par la Garde nationale fédéralisée. La vie y est difficile et la violence grande.

A Portland, tout au nord, les temps sont durs pour tout le monde, mais plus encore pour les habitants des quartiers les plus populaires, et nettement moins pour ceux dont la position ou la fortune leur permettent de détourner une partie des ressources à leur profit. De l'eau notamment est clandestinement livrée aux plus riches ou aux proches de Brandon Bartlett, le maire. C'est common knowledge, au point que ce dernier y a gagné le surnom Heartless Bartlett. Alors, quand quelques militants attaquent un des convois clandestins, et que Renee, l'une des jeunes activistes, fait la Une des média dans une posture christique où elle distribue les rations d'eau volées aux passants comme le Christ les pains multipliés, la cité se révèle prête pour un changement qui donnera naissance, sur quelques quartiers, à la micro-nation de Sherwood, fondée et dirigée par Renée, devenue pour tous Maid Marian – celle qui prend aux riches pour donner aux pauvres. Le roman raconte les heurts et malheurs de la minuscule Sherwood.

Le roman commence bien. D'une lecture fluide et agréable, dans un style accessible, Parzibok raconte l'histoire d'une fille simple qui crée un modèle nouveau d’organisation. Déclarant la sécession de quelques quartiers, Renée et ses soutiens y instaurent une « dictature temporaire bienveillante ». Face à l'incurie municipale, Renée – aka Maid Marian – réinstaure le contrat social originel que ne remplissait plus la municipalité de Portland : liberté contre sécurité et services. Livraison égalitaire d'eau à domicile (donc sans le risque des files d'attente), protection de tous par une milice, micro-jardinage, nettoyage des zones sinistrées, assainissement, le tout nourri par une remontée constante des demandes et informations du terrain. Durant sa courte existence, Sherwood fonctionne de manière satisfaisante en améliorant significativement la vie de ses habitants.
Si on trouve étonnant que les citoyens d'une Etat démocratique acceptent aussi facilement une limitation de leurs droits politiques, on peut se référer à cet article éclairant de Milan Svolik dans le Washington Post. On y voit à l'aide d'une expérience très récente que la démocratie est un bien comme un autre, ce qui fait que les citoyens sont susceptibles d'arbitrer entre ce bien et d'autres qui leur paraissent à l'instant t plus vitaux.

Décrivant de manière détaillée la mise en place et le fonctionnement de la micro-nation, Parzibok montre comment Maid Marian recrée une communauté là où les difficultés matérielles ne laissaient subsister qu'anomie et loi du plus fort. Elle met en place un système de division du travail, certes fondé en grande partie sur le « volontariat obligatoire » mais appuyé au moins autant sur l'adhésion à un projet d'espérance, qui rend aux citoyens de Sherwood le sentiment d'une utilité sociale et d'une vraie solidarité. Autoritaire de fait mais tempéré par la consultation permanente de la population et humanisé par les relations de face à face entre « agents publics » et population, le régime de Sherwood rend à chacun la sécurité perdue et donne à chacun une identité sociale nouvelle, par-delà les clivages sociaux ou ethniques, comme membre actif de la communauté. Tout ceci est plutôt bien vu.

Autre point au crédit du livre, Parzibok y donne vie à des personnages attachants et riches.
Renée est déchirée entre personnalité privée et personnalité publique. Maid Marian est un leader charismatique et sans attache qui s'est donnée à sa cause, Renée une jeune barista latino effrayée par l'ampleur de la tâche, le poids des décisions, et celui des responsabilités. Il faut accoucher puis protéger Sherwood, même si la tâche est immense et l’adversité municipale énorme, et même au prix, parfois, de la raison d'Etat. Il faut aussi, pour souder et motiver la communauté, construire la fiction Marian, la faire vivre sur le terrain et dans les média, sacrifier souvent la femme au leader. Nul ne le sait mieux que Zach, amoureux malheureux et compagnon caché, qui ne sait jamais vraiment avec laquelle des deux femmes il se trouve, et qui aime l'une mais pas l'autre. Jusqu'au point de rupture.

Près de Renée, il y a Béa, fidèle amie et soutien sans faille, Gregor, un ex-caïd local qui retrouve un but et une dignité en se mettant au service d'une noble cause qui le dépasse, Jamal, le fils de Grégor, jeune et idéaliste, transfiguré par son adhésion à une cause et à la personne qui l'incarne.
Il y a aussi, ailleurs, Nevel, que les temps ont rendu un peu fou et qui, depuis, creuse un tunnel sous sa maison dans lequel, entre autre, il entrepose de l'eau – son trésor.

Même Bartlett, le maire, est un personnage intéressant. Il avait des projets, il aurait pu être un bon maire pour Portland, mais les épreuves du temps se sont révélés trop dures pour cet homme faible. Peu efficace mais pas fondamentalement mauvais, Bartlett s'est laissé progressivement vaincre par la difficulté du moment alors même que l'avait déjà gagné l'amour du pouvoir et des petits avantages qu'il procure ; et qu'importe alors s'il fallait déchoir moralement et s'allier les puissants pour le garder. Marian lui donnera quelqu'un à haïr et à blâmer pour sa propre déchéance.

Tout allait donc bien. Puis arrive la seconde partie du roman. Et là, la narration se met à patiner.

Arrivent des fils narratifs largement inutiles et dilatoires, des changements rapides de point de vue, des motivations psychologiques moins claires pour les protagonistes, des retournements difficiles à comprendre, des événements – souvent vus de extérieur – dont on a l'impression qu'ils servent surtout à charger le récit en rebondissements. La tension retombe, la suspension d'incrédulité diminue, le roman devient contestable dans son dispositif narratif et ne vit pas à la hauteur des attentes suscitées. Comme si Parzybok avait voulu créer sa micro-nation puis s'était rendu compte ensuite qu'il ne savait plus quoi en faire. Dommage.
Sherwood rejoint, hélas sans gloire et dans la confusion, le destin de tant d'autres communautés utopiques.

Sherwood Nation, Benjamin Parzybok

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