Belzagor. Une planète anciennement colonisée par les Humains qui la nommaient alors Terre de Holman. Un monde, depuis, décolonisé, et rendu à sa population autochtone, même si, comme c'est toujours le cas, d'anciens colons ont fait le choix de rester. Une planète jungle chatoyante sur laquelle vivent aujourd'hui pacifiquement deux races indigènes intelligentes, les Sulidoror et les Nildoror. Les Sulidiror ne semblent guère futés et paraissent cantonnés aux tâches subalternes. Les Nildoror ont l'air bien plus profonds, à contrario des préjugés qu’entraînent leur apparence éléphantine et leur propension à s'accoupler en public.
C'est sur Belzagor, l'ancienne Terre de Holman, que revient Gundersen, des années après un départ qu'on devine houleux. Ancien officier de l'administration coloniale, ancien subordonné de « Kurtz le cinglé », ancien directeur d'infrastructure, Gundersen est de retour comme accompagnateur – aujourd'hui on dirait « fixer » – d'un couple de scientifiques. Entre exo-ethnologie et voyeurisme, il doit les amener secrètement sur le lieu de la cérémonie de la Renaissance, un rituel interdit aux Humains, en plein cœur du Pays des brumes. Mais, pour Gundersen comme pour Belzagor, le passé ne passe pas. De part et d'autre, certaines blessures, tant personnelles que politiques, sont mal refermées. Le voyage sera donc une plongée, dans la jungle comme dans la mémoire.
Belle adaptation du roman Les profondeurs de la Terre de Silverberg (qui lui même s'inspirait en partie d'Au cœur des ténèbres de Conrad), "Retour sur Belzagor" offre une narration entre présent et passé. Elle permet de découvrir progressivement les raisons du départ de Gundersen et les changements qu'a connu le monde sans oublier les invariants et les comptes non soldés, ainsi que d'entrer dans la richesse de la culture locale.
Faisant des Nildoror des porteurs volontaires pour le trio humain, le récit pointe les ambiguïtés de la décolonisation.
Montrant par petites touches le rapprochement presque à corps défendant qui se crée entre Gundersen et les autochtones, il décrit cet amour étrange, aussi égocentrique que naïvement vrai, que les colons ressentaient souvent pour les colonisés et leur culture.
Introduisant une tension sexuelle au sein du groupe entre le guide et ses clients, il renoue avec une tradition littéraire de l'expédition coloniale dans laquelle aux enjeux initiaux s'en ajoutaient d'autres autour de la possession de la « femme blanche ».
Le tout se passe dans un monde superbement dessiné par Laura Zuccheri et colorisé par Silvia Fabris. Plantes, animaux, paysages, tout est différent, et rien n'est absurde – comme c'est hélas trop souvent le cas dans la BD de SF. Tout est beau (une scène de lune double impressionne par son étrangeté simple). Si beau et différent qu'on rêverait de visiter Belzagor aussi, d'entrer dans la carte postale. Peut-être pas en compagnie d'un groupe aussi chargé émotionnellement ceci dit.
On y retournera en tout cas pour le tome final.
A noter : Kurtz a le visage de Silverberg
A noter aussi : Voyant les naggiars, ces serpents géants venimeux qu'on appelle en martelant le sol, on ne peut s'empêcher de penser que c'est un clin d’œil à Frank Herbert.
Retour sur Belzagor t1, Thirault, Zuccheri, Fabris
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