The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Seven surrenders - Ada Palmer - Epoustouflant


Je déteste chroniquer des tomes 2,3, n... Plus de monde ni de système à décrire (alors que c'est ce que je préfère), et puis il y faut dire sans dire, autant pour ceux qui ont lu le 1 et voudraient continuer par le 2 que pour ceux qui n'ont même pas encore lu le 1. Qu'importe ! Lançons-nous encore une fois dans ce difficile exercice, "Seven surrenders" le mérite.

Too like the lightning était la statique de l'histoire, la lente ascension du lourd rocher du récit vers le sommet de la montagne narrative. Avec "Seven surrenders", on est dans la dynamique. Le rocher redescend, il roule de plus en plus vite, il va bien finir par écraser quelque chose, quelqu'un, le monde entier. Sysiphe, fais attention !

Au paradis, la chute est proche. Le monde de Terra Ignota a commis l'erreur de vouloir commencer par le plus simple, et maintenant il craque.

Explication : trois rêves utopiques habitent cette Terre de notre avenir. Terraformer Mars et partir y installer l'humanité (rêve des Utopiens), numériser la conscience (rêve des Brillistes), et « améliorer » la société en la conduisant vers la paix, une certaine égalité, et l'abondance (concerne toute l'humanité).
Devant la difficulté des deux premières tâches, et après l'horreur des grandes guerres religieuses, l'humanité a fait ce qui été le plus facile, le plus rapide, le plus directement visible aussi. Elle a « progressé » sur le plan sociétal dans l'attente d'une progression technologique bien plus longue à réaliser. L'abondance, l'abolition des distances, une justice pénale bienveillante, plus de religion, plus de genre, plus de sexisme, plus de nations, plus de cette majorité potentiellement tyrannique qui minaient les systèmes politiques les mieux intentionnés. L’animal humain, indifférencié, n'a plus que les affinités qu'il s'est choisi lui-même, dont il peut changer à tout moment, et dont aucune n'est assez forte seule pour s'imposer aux autres. Une domestication du parc humain qui craque en 2454.

Car, hélas, il ne suffit pas de balayer la poussière sous le tapis pour la faire disparaître.

Supprimer les religions ne détruit pas l’angoisse métaphysique d'une humanité douloureusement consciente de sa finitude et de sa présence au sein d'un univers dont il faut comprendre l'existence.

Interdire toute allusion au genre n'empêche pas l'appel lancinant du sexe biologique dans tout ce qu'il a d'évolutionairement déterminé. Mycroft a souvent du mal à choisir le genre d'une personne dans sa narration, il l'adapte à ses actes ; la communauté des Cousins doit accepter la féminitude de sa nature profonde ; Madame d'Arouet bâtit son pouvoir sur la différence des genres et la sexuation de la sexualité. Les habitus sont in-corporés depuis si longtemps que trois siècles sont bien peu pour les faire changer. Est-ce même possible ? Parce que les structures sont structurées elles sont aussi structurantes.

Quand à la guerre, on la croyait dissoute pour toujours dans une paix perpétuelle assurée tant par la fin des assignations identitaires que par la mise à l'écart des religions dans un monde de Hives fédéralisées par fonction (dans une forme macro de solidarité organique). Erreur. Le monde va vers la guerre. Une guerre qui sera aussi terrible – et pour les mêmes raisons – que le fut la Première Guerre Mondiale : une très longue paix (la paix de cent ans de Polanyi, de trois siècles ici) qui a laissé du temps aux armes pour progresser et a fait oublier leur bon usage aux responsables. De plus, l'intrication des affinités au sein des mêmes lieux, territoires, villes, implique qu'une guerre sera civile, terrible, l'ennemi n'étant plus hors les murs mais en-dedans, parfois juste de l'autre côté de la cloison.

Dans ce cadre, tout s'explique, toutes les question du tome 1 trouvent leurs réponses. Le lecteur comprend progressivement qu'il y avait quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Le cambriolage, la liste falsifiée, les meurtres atroces de Mycroft, tout trouve une explication, tout est raconté et expliqué par ce narrateur non fiable qu'est Canner. Non fiable car il ne sait pas tout jusqu'au dernier détail, non fiable aussi car ses propres doutes, questionnements, et angoisses métaphysiques colorent l’interprétation qu'il fait des événements.

Qui est vraiment J.E.D.D. Mason ? Qui est vraiment Bridger ? Y a-t-il une divinité (de quelque nature qu'elle soit) ? Ou n'est-on en présence que d'une version dévoyée de l’Homme Rationnel de Diderot ?

Les O.S. ont-ils raison dans leur interprétation criminelle de la théorie du Grand Homme ? Les nombreux meurtres qu'elle leur a fait commettre sont-ils alors éthiquement acceptable ? Ont-ils sauvé la paix ou simplement joué à Dieu ?

L'Anonyme a-t-il eu tort d'agir en Gnome de Zurich ? Ou est-il vrai qu'un système de décision politique purement participatif est bien trop sensible aux mouvement épidermiques de l'opinion pour être laissé à voguer sans contrôle externe ?

Et les autres ? Les nobles libertins, les nonnes (oui, on est souvent explicitement en train de philosopher dans le boudoir), les chiens, réels ou symboliques... Madame d'Arouet surtout, qui répond au problème de Hobbes et de la suppression de toute liberté sous l'ombre du Léviathan en développant une version sadienne de la liberté – les deux visions sont assez proches pour ça. De plus, si la Guerre interne de Tous contre Tous semble – à tort – éteinte dans la Terra Ignota, reste la question de la guerre « internationale », celle des conflits inter-Hives, inconnus mais peut-être à venir. Aussi, dans la quasi « ONU » qu'elle entretient dans son bordel parisien, elle manipule patiemment les puissants, en fait ses obligés, et construit un réseau de pouvoir dont elle use plus par désœuvrement que par ambition. Elle y a élevé un Léviathan mondial qui doit assurer la paix entre les Hives, une sorte de despote éclairé qui conduirait l’humanité vers un avenir meilleur au prix d'une part conséquente de sa liberté.

Toute ces questions qui pourraient sembler très (trop) théoriques sont traitées au fil d'une aventure passionnante. La difficulté d'immersion du tome 1 est passée maintenant, le lecteur connaît bien le monde et les acteurs, il peut se laisser porter par l'histoire. Et quelle histoire !

L'action est rapide, soutenue, limpide dans sa clarté et souvent impressionnante dans son ampleur.  Les personnages sont construits et profonds, émouvants souvent aussi, y compris les plus puissants d'entre eux. Le world-building est, disons-le encore, époustouflant. C'est très érudit (la quantité de références, y compris celles que j'ai ratées, est énorme), très brillant, très riche dans le foisonnement des interprétations possibles et des accroches potentielles. Palmer ouvre des pistes innombrables - presque de ligne à ligne - et témoigne ainsi autant de la complexité du monde que du foisonnement des interprétations qu'on peut apporter à celui-ci. Ca virevolte d'une idée à une autre et une autre encore. Chaque lecteur lira sans doute une « version » différente de ce roman, en fonction de ses centres d'intérêts ou de sa culture propre, jusqu'à la question de savoir si on « prend » comme fait acquis la partie du récit qui concerne le « surnaturel » Bridger, ou si, comme le ferait Hume, on considère que c'est la faillibilité des témoins qui « crée » le miracle.

Et même si on ne voulait lire le roman que comme un récit bien construit d'une enquête qui porte sur plusieurs machinations très anciennes, sur les bouleversements d'un avenir de paix qui fonce vers la guerre, ce serait possible aussi. Les personnages et l'histoire se suffisent à eux-mêmes, la construction époustoufle, les monologues enflamment et les dialogues enchantent. Tout est accessible, le soubassement philosophique n'est que cela justement, un soubassement qui fait tenir le tout ; il n'est pas nécessaire de visiter les fondations pour apprécier la beauté d'un palais.

Seven surrenders, Ada Palmer

Commentaires

chéradénine a dit…
Merci pour ces chroniques VO enjouées !
Bon, je devrais aussi plébisciter tes déceptions, souvent aussi intéressantes à lire...
Gromovar a dit…
En effet, les deux types sont utiles. Même si je préfèrerais n'avoir toujours qu'à me satisfaire de mes choix de lecture.
Je crois que lorsque j'ai perdu du temps à lire un livre quelconque, il est utile de prévenir de potentiels lecteurs.
Anonyme a dit…
salut Gromovar
Tout d'abord merci pour toutes tes chroniques super intéressantes !

Sais tu si une trad' est prévue pour cette série ?
Sinon as-tu prévu de lire le Theatre des dieux de Matt Suddain ?

@ plus tard et merci !
Gromovar a dit…
Honoré que l'Anonymous lui-même me contacte ;)

Non, je ne sais pas, j'espère que les commentaires des uns et des autres y pousseront.

Et pour le Sudain, pas dans l'immédiat, non. Ce ne sont pas les idées qui me manquent, c'est le temps :(
Seb a dit…
ok merci pour ta réponse ;-)

Oui tu m'étonnes pour le temps... Et encore, tu lis énormément je trouve !

( t'as vu, je suis un peu moins anonymous ...;-)
Gromovar a dit…
Reading is my busines, and business is good ;)

https://youtu.be/TcHe6S4lze8