Il y a trois ans, je chroniquais
Les Furies de Boras. J'avais apprécié le recueil de Fager même s'il m'avait un peu laissé sur ma faim. Avec "
La reine en jaune", la fringale est pire.
Même ambiance fantastique, même volonté de s'inscrire dans la tradition lovecraftienne, même construction en récits liés et fragments qui s'intercalent, même espace scandinave enfin, parcouru d'une vie souterraine que dissimule l'hypocrisie de rapports sociaux policés. Mais ici, Fager pousse à l'excès cette retenue qui gâchait un peu le plaisir dans
Les Furies.
La première nouvelle,
Le Chef-d’œuvre de mademoiselle Witt, en est l'illustration parfaite. Voilà un récit audacieux, mêlant habilement sexe, art, et magie, qui monte à grande vitesse vers des extrêmes promis qu'il n'atteindra jamais. Excellent jusqu'à l'avant-dernière page, il se conclut sur une scène plus digne d'un comics d'horreur à la
House of Mystery qu'au monument de l'annihilation personnelle qu'il semblait vouloir être.
Cérémonies, avec ses rites ancestraux dans une maison de retraite, est bien léger.
Quand la mort vient à Bodskär, comme elle vint à Innsmouth (pour les aficionados) mais avec d'autres conséquences, est trop désincarné, trop peu graphique, pour être poignant. Inutilement mystérieux (personnage de Carter), il rappelle de surcroît le visuel des vagues d'assaut de
La peau froide de Pinol.
La reine en jaune déploie la longue histoire d'une reprise de contrôle de soi pour fuir les maltraitances d'une institution psychiatrique. Bien des pages et des efforts qui se concluent par une toute petite vengeance.
Le voyage de Grand-Mère rappelle le coïtus interruptus du premier texte en moins décevant. Un road-movie fou à travers l'Europe qui offre une montée en tension vraiment intéressante et se conclut de manière trop abrupte.
Les Fragments sont à l'avenant, laissant penser, laissant dire, laissant faire, sans jamais exploser.
Toujours bloqué au milieu du gué, Fager n'est ni dans la violence graphique d'un roman d'horreur classique, ni dans l'angoisse matérialiste d'un Lovecraft (auquel les quelques références explicites font plus
name-dropping qu'autre chose), ni dans le nihilisme existentiel absolu d'un auteur comme Ligotti par exemple.
Et pourtant, il y a de belles pages. La folie mégalomaniaque de My Witt, le traitement réservé aux vieillards dans la maison de retraite ou celui que subit My à l'asile, l'évocation du temps qui passe et flétrit les corps, tout ceci est bien fait et touche le lecteur. Fager évoque bien la souffrance, le désarroi, le dépit. Mais il y manque une part de folie, de conviction peut-être. Fager,
would-be Lovecraft suédois, fait le travail sérieux d'un admirateur zélé mais il lui manque le fond. Il a l'air mais pas la chanson et propose donc au lecteur un mythe de Cthulhu aseptisé, comme mâtiné de Wallander.
La reine en jaune, Anders Fager
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