Notre monde, aujourd'hui, ce pauvre monde dans lequel nous vivons, en voie de désintégration entre conflits armés et effondrement environnemental. C'est le cadre de "
All the Birds in the Sky". A deux détails près. On y trouve des surdoués qui feraient passer les geeks de
Big Bang Theory pour des élèves de maternelle, et y vivent, à l'insu de tous, des sorciers aux pouvoirs immenses.
Patricia et Laurence sont deux enfants particuliers. Patricia vit une expérience incroyable lorsqu'un oiseau lui parle et la guide jusqu'au Parlement des Oiseaux où on lui pose une énigme apparemment insoluble ; Laurence, lui, fabrique, grâce à de mystérieux plans trouvés sur Internet, une montre qui permet d'avancer de deux secondes dans le temps. Des enfants incroyables donc. Mais, c'était hélas prévisible, leurs vies d'enfants sont misérables. Des parents toxiques loin d'être à la hauteur (et, pour Patricia, une sœur qui ne vaut pas mieux), un harcèlement scolaire continuel, un assassin, membre d'une société secrète, qui veut les éliminer. La vie n'est pas rose pour Patricia et Laurence. Elle est même largement grise.
Rapprochés par leurs singularités respectives, Laurence et Patricia, écorchés vifs tous les deux, vont progressivement devenir amis et apprendre, par essais et erreurs continuels, à se faire confiance. Jusqu'à l'une de ces séparations que la vie impose parfois aux duos d'enfants.
Des années plus tard, devenus adultes, Patricia et Laurence se retrouvent. Patricia, qui a intégré un convent protecteur de la biosphère, soigne et punit autour d'elle, et Laurence, devenu une sorte de savant fou, travaille pour un milliardaire qui veut sauver au moins 10% de l'humanité de la catastrophe à venir. Chacun des deux a une position sociale, chacun des deux est en couple, chacun des deux a un passif à gérer qui l'empêche de s'ouvrir complètement. L'apprivoisement de l'un par l'autre reprendra, très progressivement, alors que leurs agendas personnels les placent sur des trajectoires conflictuelles, et que le monde court toujours plus vite vers une apocalypse inévitable.
"
All the Birds in the Sky", le premier roman de Charlie Jane Anders, possède de nombreuses qualités.
D'abord, mêlant réalisme magique et anticipation scientifique, Anders les expose avec une évidence qui installe un merveilleux incontestable au cœur du récit. Les faits les plus incroyables sont décrits comme allant de soi, dans une approche résolument
no second thought du
show don't tell. On se surprend à accepter sans sourciller des affirmations telles que
« Laurence avait fabriqué une machine temporelle de deux secondes » ou
« le chat s'adressait à Patricia ». Anders met le plat sur la table puis laisse le lecteur le déguster sans jamais lui donner l'occasion de remettre en cause la pertinence de son existence même.
Ensuite, Anders traite avec finesse et délicatesse la relation d'amitié entre les enfants puis leur relation d'amitié amoureuse byzantine. Sa description de l'enfer – et surtout de la solitude – que peuvent vivre les individus trop singuliers pour leur monde est pertinente aussi, ainsi que les difficultés qu'il y a à s'en extraire et le soulagement qu’apporte la rencontre avec d'autres
misfits (on retrouve ici du Walton de
Morwenna).
De même, Anders donne une vision inquiétante mais réaliste des périls immense qui menacent l'humanité (pas la planète qui, elle, aura le temps de se remettre). Elle le fait en pointant les risques d'un hubris qui s'appliquerait à réparer après avoir inconséquemment dégradé, et en posant les questions qui étaient celle de l'utilitarisme classique et qui sont au cœur de toute action globale en situation de crise – qui sauver et combien sauver ?
Elle affirme la nécessite de réconcilier deux visions du monde depuis trop longtemps séparées, de rattacher l'Homme à sa (la?) nature sans qu'il y perde sa singularité.
Enfin, la narration et les enjeux font du roman un
page turner qui agrippe le lecteur s'il n'est pas allergique à la romance sous-jacente (fort bien traitée ici je le répète).
Néanmoins, le roman souffre d'un défaut de fond qui s'aggrave au fil des pages.
Anders traite de plus en plus vite de plus en plus de choses. Elle finit par négliger ses personnages secondaires, son contexte, oublie de ménager des respirations et des plans de coupe. L'impression est celle d'un auteur qui veut dire beaucoup de choses mais n'a pas assez de temps pour le faire, et qui ne cesse donc d’accélérer et d'abréger. Ennuyeux. La fin, abrupte, confirme l'impression.
En dépit de ce problème vraiment gênant, le bilan est néanmoins positif grâce au soin apporté aux deux personnages principaux. S'y manifeste une élégance de présentation qui donne un charme indéniable au récit (qu'on songe que je suis en train de dire du bien d'un roman qui met en scène deux enfants sur un bon tiers du récit et une romance sur le reste !).
Les anglophones pourront y retrouver certains thèmes du
Six months, three days de Anders (Hugo 2012, novelette), un texte charmant aussi.
Si
When Harry met Sally avait été écrit par Neil Gaiman, il se serait intitulé "
All the Birds in the Sky".
All the Birds in the Sky, Charlie Jane Anders
Commentaires
Tu as écris ça pour que je succombe, n'est-ce pas ? :D