L’univers du manga
est celui des jeunes lycéennes aux culottes trop visibles et aux robots dont le
seul poids devrait les faire s’écrouler sur eux-mêmes. Ou pas. Et comme je le
fais trop peu régulièrement, en obéissant à la fois à de rares impulsions et à
la permissivité de Maître Gromovar, permettez-moi de signaler à votre attention
un classique de la BD japonaise. Il s’agit de UZUMAKI. Écrit et dessiné par Junji Ito, ce manga d’horreur bizarre
est normalement ciblé YA, comme pouvait l’être Tales from the Crypt dans un autre contexte culturel.
"Uzumaki" est donc
une série graphique hebdomadaire écrite entre 1998 et 1999, et vous devez vous
la procurer et la lire. Pourquoi ? Parce qu’elle est probablement le
meilleur regard dans la culture japonaise et dans le paradoxe qu’elle
représente tant son éloignement et sa proximité avec nos systèmes de références
sont constants. Mais aussi parce que c’est simplement une putain de bonne BD de
fantastique et d’horreur.
Pour vous
lecteurs de SFFF Européens, tous dans "Uzumaki" sera compréhensible et tout sera
néanmoins inattendu. L’histoire tourne mollement autour de l’amourette très
platonique entre deux lycéens. La trame est habituelle. La fille naïve ne
comprendra jamais vraiment ce qui se trame et restera la Belle au Bois Dormant,
candide et positive. Le garçon, lui devient reclus et fuit les moindres
problèmes qui s’accumuleront jusqu’à une apothéose apocalyptique. Le
lieu de l’action est une ville portuaire, elle pourrait être sur la côte
Bretonne à peu de choses près ou une version de Plus Belle la Vie qui partirait
un peu en vrille… Tout cela ne vous surprendra guère. La dimension horrifique
elle-même est traitée de façon hitchcockienne, par une lente montée en
puissance, étape par étape, incident mineur par incident de moins en moins en
mineur. La trame narrative répétitive est celle d’un pulp bas de gamme :
un incident va dévoiler une nouvelle facette de l’horreur, la fille ne
comprendra qu’au dernier moment, le garçon lui aura déjà tout compris et
essaiera d’alerter sans y parvenir.
Mais la partie
insidieuse, la faille maligne, le miroir étrange va vous apparaître de plus en
plus avec évidence et prendre le pas sur le format de supermarché avant que vous
ayez eu probablement le temps de ne pas vous faire attraper…
Car cette BD de
gare pour adolescents n’en est pas une. C’est un glissement lent et résolu dans
un univers autre. Celui du roman d’abord où le signe de la spirale est prétexte
à une métaphore convenue mais néanmoins efficace de la folie lente et
inexorable qui va en s’accélérant. C’est aussi un glissement dans l’imaginaire nippon et sa capacité à ne pas avoir de barrière là où nous les attendrions. Le
Japon est une culture du signe et la spirale semble pouvoir y déployer une
logique y compris dans la trame narrative qui avant que nous ayons pu reprendre
notre souffle dans un conduit au-delà de ce que Dali ou Bosch auraient jugés lisibles.
Et la magie néfaste opère car la suspension d’incrédulité fonctionne à
merveille et nous suivons. Nous suivons jusqu’à la grande révélation de la fin,
qui vient par paliers et qui ne nous intéresse déjà plus depuis la moitié de
l’ouvrage.
Non, ce qui nous
intéresse c’est le prochain choc visuel, la prochaine idée graphique qui sera
traitée sans distance et de façon littérale par l’auteur. C’est cette absence
de second degré dans le traitement du pitch « Et si on disait que le signe
de la spirale rendait fou un village ? », qui vous claquera le plus. Ou
pas. Mais dans ce cas il se peut que vous sachiez alors qu’il n’y aura rien d’autre
à chercher pour vous dans la culture de l’horreur japonaise, car elle ne vous
parlera probablement jamais. Mais je parie le contraire, car pour ma part, j’ai
retrouvé chez Junji Ito à la fois du Stephen King de Christine et du Lovecraft
de La Couleur Tombée du Ciel.
Il me semblait
important de vous en parler.
Uzumaki, Junji Ito
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