"Le dernier assaut" est le dernier album en date de Tardi sur la Grande Guerre. On peut penser que le titre nous dit que ce sera le dernier opus de l’auteur sur ce sujet qui l’aura tellement inspiré. Le texte le laisse supposer en tout cas.
"Le dernier assaut", c’est la brève pérégrination du brancardier Augustin (un genre d’alter ego de Tardi lui-même) avant de monter à l’assaut. Parce qu’il n’aime pas tuer, Augustin est devenu brancardier. Il transporte vers l’arrière des blessés qui, parfois, n’y arriveront pas vivants. Qu’importe ! L’humanité impose d’essayer.
Dans "Le dernier assaut", son blessé et son collègue morts dans les premières pages, Augustin doit retourner seul vers son unité, en crapahutant au milieu du champ de bataille, des destructions, des cadavres regardables et des morts déchiquetés. Au milieu des animaux aussi – auquel l’album est dédié, signifiant bien qu’aucun homme ne fut innocent de la guerre -, tués par des combats dont ils comprenaient le sens encore moins que les humains.
Dans un long pourpenser déambulatoire, Augustin rappelle en voix off pour son lecteur tout ce que Tardi sait de la guerre, dans une longue scansion récapitulative et hypnotique.
Les hommes qui combattirent et s’entretuèrent, arrivés de la Terre entière. Certains de leur propre chef, enthousiastes même parfois comme pour une virée entre potes, d’autres – les troupes coloniales – expédiés à l’abattoir manu militari par une institution étatique qui les méprisaient et les considéraient comme encore plus dispensables que les poilus autochtones.
Le mépris pour les hommes, les mises au pilori, les exécutions pour l’exemple.
Les victimes « d’obusite ». Les gueules cassées. Les mutilés volontaire pour fuir l’enfer des combats. Les médecins qui traquaient les mutilés volontaires.
Les industriels que la guerre enrichirent. Les profiteurs de petit niveau aussi.
L’absurdité de la guerre de position où on se faisait tuer pour rien, pour quelques mètres reperdus le lendemain. Où on tuait avec rage et férocité car on était devenu fou, de peur, de colère, de vengeance, au canon, au fusil, à la baïonnette, à la pelle… Au gaz aussi.
La Grande Guerre comme matrice des totalitarismes à venir – à l’Est comme à l’Ouest – et des massacres organisés qu’ils conduisirent. La mort de masse ayant été actée comme acceptable, on pouvait passer de la « bonne franquette » de l’extermination en plein air à la rationalisation wébérienne du meurtre de masse, des tranchées et du génocide arménien au génocide juif et aux divers goulags.
L’échec du pacifisme à empêcher l’horreur. Il y eut des fous de guerre, Allemands exaltés ou Français shootés aux dépouilles de guerre.
Et même Augustin tuera. Parce qu’il a peur, pour sauver sa vie. Il sera tourmenté mais il tuera. Et la fois où il ne tuera pas, il laissera vivre un jeune caporal allemand au sinistre avenir. Ethique de conviction contre éthique de responsabilité. Décision micro / effet macro.
Et puis, le dernier assaut. Six pages sans texte. Les hommes, les canons, la boue qu’explosent les obus. Puis les têtes arrachées, les membres arrachés, les mâchoires emportées, les entrailles exhibées.
Graphiquement c’est du Tardi à l’intensité maximum. Yeux écarquillés, visages hallucinés, corps démantibulés.
Texte et dessin se rejoignent sur un mode ironique, cynique, désespéré. Rien de bon à tirer de l’expérience. L’album est un long cri de rage. Et les seules « vraies » victimes sont les animaux.
Le dernier assaut, Tardi (avec un CD de chansons de Dominique Grange et Accordzeam)
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