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The Dream-Quest of Vellitt Boe" est une novella de Kij
‘Pont sur la brume’ Johnson. Les amateurs de Lovecraft auront dressé l’oreille à ce titre et ils auront eu raison. Le texte de
Johnson est une évocation, un hommage, un tribut au
Dream-Quest of Unknown Kadath de HPL. C’est aussi une recréation, plus satisfaisante dans l’esprit de la Johnson adulte de 2016, de l’original lu dans son enfance, une recréation qui pointe l’absence de femme dans le texte original et, tout à la fin, lance une pique au racisme bien connu du rêveur de Providence.
Vellitt Boe est une cinquantenaire, enseignante de mathématiques à la faculté féminine d’Ulthar. Une nuit, sa meilleure étudiante, Clarie, s’enfuit avec un galant, un rêveur venu du monde de l’éveil. Dans la chambre abandonnée, juste un message écrit : « Il dit qu’il y a des millions d’étoiles ». Aucun doute n’est possible, Clarie est partie pour le monde de l’éveil (le nôtre), voir ces millions d’étoiles qui la changeront si fort des seulement 97 que comptent les Contrées du Rêve.
Problème : le père de Clarie est l’un des gros donateurs d’une faculté dont l’existence, du fait de sa spécificité sexuée, est toujours précaire ; l’égalité des sexes n’existe pas vraiment dans les Contrées («
When were women aver anything but foootnotes to men's tales », Vellitt Boe - et Kij Johnson). Vellitt Boe doit donc se lancer sans délai à la poursuite des amoureux, pour rejoindre Clarie et la ramener avant que son père ou l’université n’aient vent de l’affaire et sanctionnent la faculté. D’autant plus que, et Vellitt ne le comprend qu’en chemin, les enjeux sont infiniment plus élevés qu’il n’y parait au début.
Le voyage de Vellitt, prévu pour durer seulement quelques jours, prendra en fait plusieurs mois et sera, pour la femme qui attaque la deuxième partie de sa vie, l’occasion d’un retour sur les choix qui ont fait de la baroudeuse intrépide qu’elle était une enseignante installée, peut-être domestiquée, sûrement apaisée.
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The Dream-Quest of Vellitt Boe" est un texte magnifique. Traversant les Contrées, Vellitt entraine le lecteur dans l'un de ces lieux merveilleux rares que la littérature sait, parfois, créer, où tout impressionne, intrigue, ou effraie. Un lieu si étranger que même les endroits qui ne sont que cités résonnent aux oreilles du lecteur comme d’envoutantes promesses. Un monde au ciel tourmenté, à la Lune facétieuse, aux 97 étoiles seulement, chacune liée à un dieu. Un monde peuplé d’êtres étranges, de monstres terrifiants, de dieux endormis ou stupides, où l’atroce côtoie le superbe sans solution de continuité ; forêts phosphorescentes et zoogs agressifs, trône d’opale pur et ruines de cités rasées, gug reconnaissant et goules traitresses, chats intelligents et dieux fous, violents, capricieux qui anéantissent les humains par jeu ou indifférence. Un monde aussi beau qu’il est cruel et injuste. Un monde qui, finalement, peut conduire certains de ses habitants à lui préférer la liberté et les certitudes du nôtre.
Usant d’une écriture aussi classique qu’élégante, Johnson livre un très beau texte qui emmène le lecteur dans un des plus beaux lieux de la littérature et lui offre un touchant portrait de femme. C’est aussi une réflexion sur l’inévitable fin de l’insouciance (cf. Un pont sur la brume) et donc du rêve comme absolu, l’installation passée de Vellitt préfigurant la prise de responsabilité de Clarie. Revenir au réel fut aussi l’objet de la quête de Randolph Carter dans le texte de Lovecraft, un Carter qu’on croise bien sûr ici alors qu’il ne l’a pas encore compris.
Faut-il avoir lu l’original pour apprécier la version de Johnson ? Clairement non, je veux le marteler, même si les lecteurs de Lovecraft se replongeront avec délice dans ces Contrées qui sont sans doute la plus belle création du maitre de Providence.
The Dream-Quest of Vellitt Boe, Kij Johnson
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