Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

Infomocracy - Malka Older - Le roman qui fait pschitt


L’État-Nation est mourant, il est peut-être déjà mort. Ce mode d’organisation politique, formalisé autant pour désagréger les empires que pour sortir du patrimonialisme monarchique, bouge certes encore, mais il ressemble de plus en plus au malheureux Monsieur Waldemar. Les lectures stupéfiantes du référendum britannique (lourdes de velléités censitaires fondées sur l’espérance de vie) et les pétitions pour un second référendum ou l’indépendance de Londres ont beau être, pour l’heure, des tempêtes dans des verres d’eau, leur existence même, comme leur relais extensif par les médias, sont les derniers signes contemporains de la désagrégation  On pourrait développer longuement, évoquer les « troisièmes tours sociaux », les pétitions en ligne qui s’opposent aux délibérations représentatives, les référendums contestés par tous ceux qu’ils ne satisfont pas. Et aujourd’hui, après une crise des instances représentatives si souvent étudiée qu’elle en est devenue une tarte à la crème, ce sont même les processus de la démocratie directe (par ailleurs si critiquables) qui sont contestés dans des épisodes schizophréniques où après avoir exigé le droit de s’exprimer on conteste le résultat de l’expression. La minorité occidentale contemporaine (quelle qu’elle soit) se vit toujours comme opprimée par une majorité (quelle qu’elle soit) qu’elle considère comme fondamentalement illégitime à décider pour elle. Ce qui précède ne fait sens que si on admet que le corps politique, avec son minimum de liens et de solidarité qui en garantissent l’existence, n’existe plus. Les réseaux sociaux ont planté le dernier clou du cercueil d’un mode d’organisation fondé sur un lien politique déterminé/ant/iste. Reste l’individu individualisé de la seconde modernité dont Tocqueville disait qu’il était prêt « à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même » ; il n’aurait pas dit autre chose s’il avait pu connaître l’alliance des smartphones, du cloud, et des réseaux sociaux qui permet à chacun, à tout moment, d’être partout chez lui, dans sa bande, avec son monde. L’individu individualisé qui se prend pour fin et mesure de toute chose, l’individu individualisé dont le capitalisme a fait un consommateur exigeant et geignard gavé au principe de plaisir, l’individu individualisé qui a transporté dans le monde politique ses exigences d’utilisateur final en même temps que la certitude vertueuse et autoritaire que le droit de parler y vaut compétence.

Tout ce qui précède, on peut ne pas le lire (j’aurais dû vous le dire avant peut-être, je ne suis pas fair-play). En effet, si on considère avec l’universitaire Hugues Chabot que la SF prévoit surtout le présent, il suffit de voir ce qui se publie depuis quelque temps pour se faire une idée de la chose. Rien que sur ce blog, les Affinités et Too Like the Lightning sont des romans post-nationaux basés sur les affinités électives. Et si, de longue date, la SF a imaginé des formes de colonisation spatiale ethniquement ou culturellement homogènes – du Dibbouk de Mazel Tov IV aux mondes monoculturels de L’Aube de la Nuit – il est plus récent d’envisager de manière sérieuse un constructionnisme/sécessionisme politique agrégatif sur Terre. Ce type d’hétérotopie fait maintenant partie du paysage, c’est encore le cas dans "Infomocracy", le premier roman de Malka Older.

22ème siècle (en gros). Le monde est presque entièrement gouverné par un système appelé micro-démocratie. Dans cette innovation politique, la population terrestre est divisée en centenals (une référence aux centuries romaines), des unités territoriales de 100,000 personnes qui possèdent chacune un gouvernement  propre, avec ses lois propres, et ses relations propres avec les autres gouvernements. Les gouvernements sont au nombre de 2207, certains ne contrôlent qu’un centenal, d’autres des milliers. Certains sont corporate, d’autres sont basés sur une philosophie ou une religion, d’autres encore sur des survivances nationalistes, ou tout autre forme de proximité intellectuelle parfois plus proche de la page FB que d’une pensée élaborée. Une ouverture presque totale des droits migratoires a permis de créer au fil du temps beaucoup de centenals largement homogènes dans lesquels chacun peut nager dans les eaux chaleureuses du biais de confirmation.

Parallèlement à la micro-démocratie existe Information, une sorte de Google devenu hégémonique. Organisation non gouvernementale en charge de concrétiser partout et toujours les promesses d’une société mondiale de transparence et d’information, Information organise et valide les élections, offre des moyens de communication et de paiement instantanés à toute l’humanité, permet de savoir tout sur tout tout le temps grâce à un système de réalité augmentée qui informe en temps réel autant sur les qualités nutritionnelles du produit qu’on tient en main que sur les scandales associés à la marque ou les actions en justice dont elle fait l’objet sans oublier les bios des dirigeants ou le pourcentage des consommateurs de tel centenal qui aiment le produit, par exemple. Que du bon, à priori, dans cette mise à nu. Ou, au pire, ça ne dérange pas ; Douglas Coupland n'écrivait-il pas dans Génération X que trop d’information est la même chose que pas d’information. Mais, à l’usage, il se trompait sans doute. Trop d’information engendre une défiance et un écœurement généralisés préjudiciables à l’engagement civique car si la femme de César doit être irréprochable, dans les faits, humaine trop humaine, elle ne l’est jamais.

Quoi qu’il en soit, toutes ces données, c’est Information qui les produits et les rend disponibles, toutes les informations sans lesquelles l’homme du 22ème siècle ne peut plus vivre, et qui transitent par un réseau plus vulnérable qu’on ne le pense.

Chapeautant le tout et pour organiser le bien commun, tous les dix ans, une élection mondiale permet de désigner le gouvernement qui détiendra pour la décennie suivante la Supermajorité et les pouvoirs associés. Depuis que le système existe il n’y a eu que deux élections, elles ont placé deux fois Heritage au pouvoir. Mais, maintenant, alors que le troisième scrutin approche, Heritage est contesté par Liberty, son challenger, qui le talonne. Et il y a tant d’enjeux autour de l’élection (notamment dans les oppositions plus si mouchetées entre paix et guerre et raison et passion) que les choses ne peuvent que mal tourner.

"Infomocracy" est donc le récit des quelques jours autour de la troisième élection générale. Older y met en scène trois personnages principaux et quelques secondaires. Pour les principaux, on croise Ken, jeune propagandiste du gouvernement Policy1st, un groupe d’intellectuels qui pâtissent de leur choix de ne pas avoir de figure de proue charismatique, Mishima, une agente/espionne (difficile à dire) d'Information, en proie à la plus grande crise imaginable pour son organisation, et Domaine, un anti-election qui milite activement contre un système qu’il considère comme fondamentalement vicié. Trois personnages qui sont des idéaux-types de la mobilité affinitaire. Presque sans biographie, ils disent vivre ici ou là, venir d’ici ou là aussi. Sautant de ville en ville au gré des exigence de leurs missions, Ken, Mishima, et Domaine, n’ont pas de port d’attache, juste certains lieux de travail physique où ils se trouvent plus souvent que dans les autres, même si le gros se fait, de toute façon, de manière virtualisée. Guère plus que des placeholders, ils créent peu d’empathie ou de sympathie chez le lecteur, même quand ils s’aimeeeeent.

Il y a donc, dans "Infomocracy", un world building vraiment intéressant (et fascinant en cette année électorale), et des personnages soit très réalistes par anticipation soit complètement sous-développés (pick your choice). Mais hélas, trois fois hélas, il y manque une histoire excitante. Les enjeux sont vite compris, l’action est lente et, ce qui est pire, molle, certaines scènes, notamment celles de combat ou de préparation martiale, sont involontairement comiques tant elles sont mal réalisées. On n’accroche jamais.

Dommage, il y avait du potentiel, mais j’ai eu le même sentiment qu’à le lecture du Paradis d’enfer de David Marusek, celui de visiter un monde qu’aucune histoire n’habite.

Infomocracy, Malka Older

Commentaires

Erwann a dit…
« visiter un monde qu’aucune histoire n’habite » : Infomocracy m'a fait exactement cet effet, et c'est effectivement un gâchis.
Au risque de me répéter : dans le genre "mort des états-nations et avènement/pullulement des micro- voire nano-états", je te conseille vivement Europe in autumn de Dave Hutchinson. Où dans une Europe future, n'importe quoi, une ville, un quartier, un parc national, voire une entreprise ferroviaire, peut unilatéralement déclarer son indépendance. Le monde mis en place est intéressant, vraiment, et trouve également un écho avec les velléités d'indépendance de la Catalogne, de l'Écosse (voire de Londres pour ce qui concerne ces derniers jours). L'histoire lorgne vers l'espionnage, de manière assez elliptique, et n'est pas le meilleur atout du roman.
Gromovar a dit…
Un coup d'épée dans l'eau. Dommage.

Et promis, je mets "Europe in automn" sur ma liste. Merci.
Vert a dit…
Ce qui est bien c'est que même si le bouquin est nul la chronique est fort intéressante à lire :D
Gromovar a dit…
Grazie mile :)
chéradénine a dit…
Merci pour cette nouvelle chronique d'un livre SF en VO ! Ca doit être pénible pour un auteur d'avoir une vision fouillée ou intéressante de l'avenir, mais sans intrigue pour lui donner des enjeux particuliers. Enfin bon, c'est son job, "characters, setting, plot": il faut les trois.
Gromovar a dit…
Oui. Mais d'autres y arrivent. Alors elle ne peut pas y couper.

C'est une spécialiste du sujet : http://www.cso.edu/cv_equipe.asp?per_id=196

Mais :

No plot here. That's not enough.