Mike Resnick est un auteur américain de SF. Né en 1942, il a fréquenté assidûment l’Afrique, le Kenya en particulier. Ce continent lui a inspiré de nombreux romans et nouvelles, dont le Prix Hugo 89 de la meilleure nouvelle courte
Kirinyaga, le Prix Hugo 91 de la meilleure nouvelle longue pour
La Manamouki, et le Prix Hugo 96 de la meilleure nouvelle longue pour
Quand meurent les vieux dieux. Ces trois textes et d’autres sont rassemblées dans le fix-up
Kirinyaga.
"
L’infernale comédie" est un recueil de trois romans respectivement intitulés
Paradis,
Purgatoire, et
Enfer, écrits en 89 et 93. Resnick y transpose, dans un futur imaginaire et dans l’espace, des Histoires qu’il connaît bien, celles de trois pays d’Afrique : Kenya, Zimbabwe, et Ouganda. Et c’est un livre à lire absolument.
Kenya, Zimbabwe, Ouganda. On peut être assez âgé pour se rappeler avoir entendu ces noms dans l’actualité, avec souvent autant de prégnance qu’aujourd’hui ceux de la Syrie ou de l’Iran. On peut s’y être intéressé à titre privé ou professionnel. Dans un cas comme dans l’autre, Resnick offre un voyage
down the memory lane dissimulé sous l’allégorie SF, une occasion de se replonger dans un passé, forgé par la colonisation, en voie d’oubli général.
On peut aussi être moins âgé et n’avoir jamais vraiment étudié ces Histoires nationales (ou non nationales, justement). C’est le cas, on peut le supposer, de l’immense majorité du lectorat potentiel. Dans ce cas, "
L’infernale comédie" est le bon moyen d’en apprendre beaucoup sur l’Afrique, les trois pays considérés, et les réalités précoloniales, coloniales, et postcoloniales sur ce continent. De fait, ce livre est un superbe cours d’Histoire qui ne dit pas son nom. Un cours d’Histoire qui fera mouche car il réussira à attirer des lecteurs qui n’auraient jamais pris le temps autrement d’ouvrir un ouvrage de plusieurs centaines de pages consacré aux malheurs de l’Afrique ; alors que c’est précisément ce qu’est cette "
Infernale comédie" dont le titre résume bien le contenu.
Je ne vais pas ici résumer longuement les trois romans ni retracer en détail les destins tragiques des trois pays dont Resnick dresse le portrait. D’une part, il serait dommage de spoiler des récits vraiment captivants, d’autre part, il me faudrait des dizaines de pages de texte pour espérer le minimum de précision nécessaire à une suffisante compréhension. Je n’ai pas le temps de les écrire ni vous l’envie de les lire – Wikipédia est ton ami.
Disons seulement alors que
Paradis, c’est le
Kenya, un pays qui aurait dû/pu être un paradis et qui connut les affres du cycle colonisation/décolonisation.
Purgatoire, c’est le
Zimbabwe, colonisé aussi, décolonisé aussi, et qui finir par périr de sa politique d’expropriation raciste.
Enfer, c’est l’
Ouganda, pays martyr dirigé par des dictateurs sanguinaires dont le plus connu restera le terrifiant Idi Amin Dada. Trois mondes découverts puis colonisés par la « République » humaine, une entité politique interstellaire pratiquant la double schizophrénie caractéristique des empires coloniaux, toujours entre bienveillance et domination et souvent dans l’ignorance ou le déni des conséquences. Trois mondes changés pour toujours et pas en mieux par leur rencontre avec l’Humanité.
Disons aussi que, sur le plan de la forme,
Paradis est une histoire racontée par Matthew Breen, auteur spécialiste de la planète Peponi, qui rencontre et fait témoigner tous les protagonistes de son Histoire récente,
Purgatoire est une chronique des moments marquants de l’évolution politique de Karimon,
Enfer se situe ente les deux.
Dans les trois romans, hélas, on voit les premiers humains amoureux de la planète, les premières amitiés sincères, puis la mise en exploitation coloniale, la destruction de la faune sauvage, l’entrée forcée dans une économie monétaire qui fonctionne exclusivement sur le tourisme des réserves et la production minière et agricole. On voit la volonté d’émancipation. On voit les guerres de décolonisation, toujours atroces dans leur dualité terrorisme/répression qui frappe le plus souvent moins là où ce serait justifié que là où c’est le plus facile. On voit les gouvernements défaits par le tribalisme, le népotisme, la prévarication. On voit les mauvaises politiques, locales ou importées, qui appauvrissent une population qu’elles étaient sensées enrichir. On voit les mercenaires et les missionnaires, les salauds et les saints. On voit cet étranger qui intervient toujours et sert d’ennemi facile au dictateur, avant que celui-ci ne passe à l’ennemi intérieur, plus simple à utiliser car plus proche. On voit le jeu des marchands d’armes, immoraux et escrocs à la fois. D'autres choses encore.
"
L’infernale comédie" est un livre de grande qualité. Par-delà le jeu, amusant certes, de l’identification des clefs, guère cachées, que contiennent les romans (de
Kenyatta à
Amin Dada en passant par
Arap Moi,
Mugabe,
Entebbe et tant d’autres), par-delà aussi le style simple et accessible qui rend aisée et agréable la lecture de l’ouvrage, ce qui fait la valeur de "
L’infernale comédie", c’est le ton résolument neutre qu’affecte Resnick.
Il raconte la vérité des contextes, des croyances et des intérêts, les enchainements inéluctables, les grandeurs et les bassesses, les atrocités innombrables.
Il montre, en ne faisant que décrire, que l’enfer est pavé de bonnes intentions, et qu’il est tout autant pavé de mauvaises.
Il dépeint des personnages variés, évolutifs, portés par leurs certitudes et ballotés par les circonstances, rarement monolithiques, sauf pour les plus fous d'entre eux.
Il montre que ce sont les peuples, les pauvres gars de base dans les tribus, qui subissent les luttes de pouvoir, les vilénies, les vengeances aveugles autant qu’injustes. Ou les autres, ou les étrangers, ou quiconque peut servir de bouc émissaire.
Il exprime l’outrecuidance des peuples colonisateurs dont les membres, quel que soit leur discours, pensent toujours savoir mieux que les colonisés – on se souviendra de la position ambiguë de Marx sur le sujet, exprimée dans son article de 1853 «
Les conséquences futures de la domination britannique aux Indes » par exemple.
Il montre comme Lord Acton que «
le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument » et comme Montesquieu que « t
out homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait! La vertu même a besoin de limites ».
Il n’élude pas la difficulté extrême qu’ont des peuples traditionnels à entrer dans la modernité ; la technologie s’exporte plus facilement que les valeurs ou les systèmes politiques, elle devient parfois même, de ce fait, la cause première des malheurs à venir.
Tout est dit, tout est raconté, tout est, surtout, équilibré et juste.
Si après un tel argumentaire, vous ne lisez pas "
L’infernale comédie", alors je ne peux plus rien pour vous. Mais dès que mes escadrons de la mort seront opérationnels, je les enverrai vous chercher.
L’infernale comédie, Mike Resnick
Commentaires
J'adore Resnick dans sa veine africaine ("Kirinyaga", "Sous d'autres soleils" (un recueil de nouvelles)...), donc je ne pouvais pas passer à côté de cette réédition bienvenue et bien jolie.
Bref, j ai filé paradis à un copain qui partait découvrir la Tanzanie pour la 1 ère fois. Il aime l Afrique qu il a découvert adolescent et depuis voyage régulièrement. J ai pensé que c était le livre idéal pour quelqu un qui allait photographier des animaux dans les parcs. Il a pas eu le temps de lire le livre, ce que je comprends quand on est en voyage, mais au retour il m annonce qu il le l as perdu. Alors voilà, les escadrons de la mort, ils peuvent commencer chez lui...
Merci pour ton texte sur la chronique infernal. Ca colle bien.