Adam Fisk est le cadet négligé d’une famille d’entrepreneurs républicains du nord rural des USA. Exilé à Toronto pour y poursuivre des études d’art, contre la volonté de son père et grâce au financement de sa grand-mère, il décide, pour rompre sa solitude, d’adhérer au programme Affinités de la société InterAlia. Testé, évalué, il sera catalogué Tau, membre de l’une des 22 Affinités, dont il rejoint la tranche locale située dans la grande maison/auberge espagnole de Loretta et Lisa. Une nouvelle vie commence pour Adam, chaleureuse, satisfaisante, amicale, synergique de belle manière.
Parenthèse : les Affinités, qu’est-ce donc ?
InterAlia, une société de marketing à l’origine (
dès qu’il s’agit de discriminer, les marketeurs sont les rois), a créé, grâce aux travaux du professeur Meir Klein, un système de 22 Affinités.
22 Affinités certes, la plus grande de toutes étant la « 23ème », celle qui n’existe qu’en creux, celle des gens que leur évaluation laisse à l’extérieur du système avec la jalousie et la rancœur que ça peut engendrer ou qui simplement ne se sont pas fait tester.
Chaque Affinité (nommée par une lettre phénicienne) regroupe des personnes qui ont de grands points communs relationnels, ce qui leur permet de se comprendre et de s’apprécier vraiment entre eux, très au-delà de ce qui est l’habitude entre humains, et de coopérer en interne de façon particulièrement efficace. La coopération, cet avantage évolutif de l’espèce humaine, trop souvent limité dans ses effets par ses contraires fonctionnels que sont l'hostilité et la compétition, devient ici le moteur qui propulse les membres des Affinités vers des sommets inatteignables sinon. Les Affinités sont puissantes, prospères, en particulier les deux que leur fonctionnement efficient a placé au sommet de la hiérarchie : les Taus et les Hets.
Chaque Affinité, subdivisée géographiquement en « tranches » locales, est pour ses membres une communauté au sens durkheimien du terme, un lieu de ressemblance, de compréhension, de protection, et de solidarité.
Chaque Affinité s’organise librement selon ses modes relationnels préférentiels, de la « démocratie directe » des Taus à la « hiérarchie forte » des Hets.
Chaque Affinité n’existe que grâce à l’impulsion et à la supervision d’InterAlia. Jusqu’à ce que Meir Klein décide de changer la règle du jeu.
Compris ? Alors revenons à nos moutons : Adam Fisk.
La vie de Fisk, les années qu’il passe au sein de Tau, sont celles de la montée en puissance des Affinités. Entre ascension sociale, amours simultanément simples et complexes, relations de plus en plus difficiles avec le monde extérieur à Tau, parfaite imbrication relationnelle à l'intérieur, Adam grandit avec Tau, dans Tau, pour Tau, dans la chaleur aussi totalitaire que bienveillante de la communauté affinitaire. C’est sa vie qu’il offre au lecteur (le livre est à la première personne). C’est aussi l’histoire d’un changement en train de se faire qu’il raconte. C’est simplement et joliment fait, comme toujours chez Wilson.
Néo-tribus, protos-nations, les Affinités sont des objets politiques inconnus, inédits, présents partout sur la planète et y suscitant partout la méfiance. Pensées par leur créateur Meir Klein comme des adjuvants de la coopération humaine, à même de faire face aux défis innombrables de l’avenir (réchauffement climatique, inégalité, pauvreté, etc.), les Affinités deviennent, à l’usage, des players parmi d’autres, inquiétant les non Affiliés qui veulent soit les contrôler plus soit les affadir assez pour les neutraliser, et combattant entre elles pour la prééminence dans le macro-système qu’elles constituent. La
loi d’airain de l’oligarchie est impitoyable dans son inéluctabilité.
Le roman décrit la montée en puissance tant des Affinités que de la lutte qu’elle se livrent. Il raconte, de manière sûrement trop distanciée et trop brève, les bouleversements qu’engendre ce système nouveau dans un monde en déliquescence rapide (nouveau choc pétrolier, guerre Inde/Pakistan/Chine, etc.). Il se centre sur les vies de ses héros et la manière dont cette nouvelle façon d’organiser le monde social les affecte, affaiblissant les liens paradoxalement contingents de la nature biologique et les remplaçant par ceux, nécessaires et impératifs, de l’affinité émotionnelle. Il le fait avec l’humanité et l’attention aux personnages qui caractérisent toute son œuvre, et s’interroge dans ce roman, comme dans la plupart de ses prédécesseurs, sur l’impact des changements techniques ou scientifiques sur les êtres humains normaux. Il montre ici comment le cocon communautaire a toujours pour conséquence l’autoexclusion et/ou le conflit contre les autres communautés car si la norme est d’aimer fortement ce qui nous ressemble, qu’éprouve-t-on alors pour ce qui ne nous ressemble pas ?
Quand l'espèce humaine est divisée entre ceux qui quittent le marigot et ceux qui y restent, on se rappelle
Beggars in Spain de Nancy Kress.
Mais plus encore, impossible de ne pas penser à la définition de l’individualisme que donnait Tocqueville : «
L'individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même » ; c’est ce qui se passe dans les Affinités, contrairement aux vœux de Klein, les groupes deviennent autocentrés, se combattent, et ne songent guère à un monde qui aurait pourtant bien besoin qu’on l’oriente dans une direction nouvelle. La tâche incombera peut-être à une version ultérieure du système, celle qu’on sent poindre à la fin. Croisons les doigts.
Les Affinités, RC Wilson
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Lorhkan,
Cédric Jeanneret
Commentaires
Pour le fond, c'est très wilsonien mais court par rapport à Spin par exemple ou même aux Chronolithes. Je suis quelqu'un qui aime lire long et détaillé donc je suis un peu resté sur ma faim car le roman est très centré sur son héros et le monde est très en arrière-plan (les 20 autres Affinités aussi), mais c'est une lecture agréable et bien vue dans sa réflexion.
Je ne comprends pas cette histoire de version numérique "bourrée de coquilles". Nous avons compilé à ce jour toutes les erreurs trouvées et signalées par des lecteurs (journalistes et blogueurs), pour corriger et la version numérique et la version imprimée quand il y aura une réimpression (ou une édition poche). Ce n'est pas un procédé exceptionnel, nous le faisons à chaque fois.
Il y a un mot qui manque page 108 (c'est d'ailleurs l'exemple qui revient le plus souvent), un adjectif fautif page 279 (qu'une seule personne a vu) et un problème de verbe (qui ne nuit en rien à la compréhension du texte) page 264. Tout ce qui m'a été signalé en dehors de ces problèmes ne sont pas des erreurs de traduction ou des coquilles.
Sur les réimpressions de Morwenna et L'Adjacent nous avons fait beaucoup plus de corrections (et donc il me semble qu'il y avait davantage de coquilles sur les premières éditions).
Je veux bien que la politique numérique du groupe Gallimard (qui se rapproche de la politique numérique de tous les autres groupes français, me semble-t-il) ne soit pas unanimement appréciée, mais il ne faudrait pas pour autant inventer des "éditions bourrées de coquilles" qui n'existent pas.
Après si d'autres coquilles sur Les Affinités ont échappé à notre contrôle, nous serons très heureux d'en prendre connaissance, car nous avons à cœur que nos livres contiennent le moins d'erreurs possible.
Gilles Dumay, directeur de la collection Lunes d'encre
Sorry pour les autres visiteurs.
Si je pose des questions sur un livre que j'envisage d'acheter - car l'histoire et l'auteur me plaisent - c'est que je ne l'ai pas entre les mains et que ce n'est que du bouche à oreille.
La politique prix du numérique serait à revoir, notamment dans le SFFF qui ne brille pas par l'immense réservoir de lecteurs. Les budgets ne sont pas extensibles ou alors, il nous faut attendre la sortie en bibliothèque municipale et ce sont des achats en moins.
Fin de la parenthèse.
Un roman court ne me gêne pas avec une histoire cohérente, j'aime bien alterner les récits plus courts avec les gros pavés.
Merci pour vos avis positifs, l'histoire me tente vraiment et je vais donc avoir l'occasion de vérifier la version numérique... ;-)
@Grom : narration centrée sur le "héros", monde en arrière plan, c'est plus dans la veine des "Derniers jours du paradis" ?
Dans ce cas, ça pourrait me plaire (parce que Wilson et moi ce n'est pas une grande histoire d'amour mais cette thématique là m'intéresse)