Comment rendre la science économique accessible au plus grand nombre ? Comment vulgariser des théories qui sortent soit des textes ampoulés d’auteurs des siècles passés, soit des modèles mathématiques abscons des économistes modernes ? C’est la gageure à laquelle s’attelle Tim Harford, professeur à Oxford et chroniqueur au Financial Times.
Réunion de deux ouvrages publiés en 2006 et 2013, "
L’économie est un jeu d’enfant" est un gros et lourd manuel qui explique les fonctionnements économiques à l’aide d’exemples purement imaginaires et choisis pour être amusants ou alors, c’est le plus intéressant, tirés de cas réels que tout lecteur connait peu ou prou. Micro d’abord, macro ensuite, Harford balaye une bonne partie de la science économique et montre à ses lecteurs comment elle permet de comprendre quantité de phénomènes qui seraient sinon largement incompréhensibles, comment elle permet aussi d’avoir les outils de la décision lorsqu’il s’agit d’agir et de choisir entre deux politiques sans le faire au doigt mouillé.
Micro d’abord. Harford commence par le prix des cafés chez Starbucks. De cet exemple trivial et accessible, il tire des fils qui lui permettront d’expliquer la théorie de la rente différentielle de Ricardo et, partant, les mécanismes de rente. De là, il passe aux systèmes de sélection des clients par la discrimination tarifaire, toujours à partir de Starbucks ainsi que des étalages de supermarché. Puis ce sont les embouteillages et leur coût social qui permettent d’aborder les questions de coût moyen, de coût marginal, de décisions liées aux coûts, etc. Il montre comment, sur des marchés parfaits, les prix véhiculent toute l’information dont le marché à besoin pour utiliser au mieux des ressources productives désespérément rares, comment donc un système de production aux décisions décentralisées assure la meilleure allocation des ressources possibles, hors défaillances. Harford explique donc ensuite quelles sont les défaillances du marché et comment puissance publique ou acteurs privés peuvent les adresser. Il n’oublie jamais que le seul critère c’est l’efficacité, c’est à dire le rendement productif des facteurs utilisés, et que L’EFFICACITE NE S’OPPOSE PAS A LA JUSTICE. C’est toute choses égales par ailleurs, à un niveau de justice choisi et voulu par le consensus social, qu’on doit choisir la méthode la plus efficace parmi celles qui sont disponibles. Il propose d’ailleurs l’exemple d’un très intéressant système de santé, qu’il qualifie de mini-invasif, et qui satisfait à ces deux critères.
Harford explique ensuite, toujours de manière simple et imagée, ce qu’est la théorie des jeux et ce qu’elle permet de comprendre dans le monde réel, par exemple comment vendre aux enchères des ressources rares au bénéfice de la société. Il montre que les pays pauvres souffrent plus que tout d’institutions défaillantes qui ruinent leurs chances de croissance, expose les bienfaits d’un commerce international bien organisé (Ricardo encore), explique que le protectionnisme est un jeu à gain concentré et bénéfices diffus, démonte au passage l’idée un peu simple selon laquelle le commerce est toujours anti écologique, et décrit le processus de développement chinois en insistant sur ses aspect contingents et sans nier les bouleversements sociaux qu’une grande croissance engendre. Et, toujours, Harford est optimiste sur la capacité des sociétés à progresser vers plus de justice et une distribution plus équitable des revenus et des possibilités, notamment par le biais de l’éducation. C’est peut-être là qu’il est un peu trop euphorique, même s’il défend habilement son point de vue, d’un point de vue historique notamment. On peut penser aussi qu’il oublie trop souvent les conséquences du
Théorème d’impossibilité d'Arrow, toutes ces fois où il explique que l’Etat pourrait faire ceci ou cela en s'extrayant de la pression des lobbies. Il décrit ce qui pourrait être si la rationalité dominait. Hélas c’est rarement le cas.
Macro ensuite. A partir de l’exemple historique d’une récession dans le petit monde du baby-sitting, Harford tisse un long fil qui va l’amener à aborder le pouvoir (ou pas) de la monnaie sur la croissance, les affres de la politique monétaire entre inflation et déflation, les nécessités (ou pas) et les conditions de possibilité d’une relance keynésienne, les effets différenciés des mêmes efforts de relance suivant les canaux empruntés. Il balaye aussi les controverses récentes sur le niveau du multiplicateur (il faudra lire pour savoir ce que c’est) dans les économies modernes ou les relations ambigües entre endettement et croissance. Il développe
l’exemple connu du camp de prisonnier et des chocs exogènes qui modifient le niveau de son activité, s’interroge sur les causes structurelles et/ou conjoncturelles du chômage, la dualité du marché du travail ainsi que les diverses politiques d’emploi existantes, puis, c’est lié, sur les difficultés qu’il y a à calculer un PIB potentiel. Il termine sur le rôle de la gestion, la question des inégalités, à fortiori dans leur rapport anxiogène avec le progrès technique, et confronte (question post-matérialiste) culte du PIB et économie du bonheur. Il n’oublie pas, pour conclure, d’aborder les perspectives de la science économique, notamment à la lumière des promesses de la jeune économie comportementale ou de la théorie de la complexité.
Tout au long de cette partie, Harford ne cesse jamais de montrer que la problème n’est pas de faire ou de ne pas faire mais de quoi faire car les ressources mobilisées pour une chose ne sont plus disponibles pour une autre. L’économie est la science des choix. Elle tente de les éclairer pour qu’ils soient faits en connaissance de cause. Harford ne cesse jamais de montrer qu’il y a des choix possibles et des décisions à prendre. C’est vrai dans la micro pour les consommateurs ou les producteurs qui réagissent à des incitations sur la base d’informations apportées par les prix, c’est vrai aussi en macro où il ne faut jamais oublier que toute action de grande ampleur en rend d’autres impossibles et engendre des effets ondulatoires, parfois contradictoires, qui se diffusent dans tout le système.
Un seul chapitre est difficile à comprendre pour le non initié, ça n’étonnera sans doute pas, c’est celui sur la crise financière des subprimes et les mécanismes de titrisation en général.
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L’économie est un jeu d’enfant" est un très bon livre de vulgarisation économique qui montre tout du long, contre le néfaste sens commun, que tout choix économique est complexe. Un livre éclairant donc.
L’économie est un jeu d’enfant, Tim Harford
Chroniqué dans le cadre d'une Masse Critique Babelio
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