En 2013, le sociologue Olivier Bobineau publiait
L’empire des papes, Une sociologie du pouvoir dans l’Eglise. Il y montrait comment, à partir des quelques enseignements d’un rabbin dissident, qu’on peut ou pas considérer comme le « Fils de Dieu » sans que ça change grand chose à la suite, fut lentement mais sûrement instituée une religion organisée, centralisée, et bureaucratisée : L’Église catholique romaine.
Deux ans plus tard, à la demande des directeurs des éditions Les Arènes, Bobineau adapta son ouvrage en BD, avec l’aide de Pascal Magnat au dessin. Le résultat est cet "
Empire" dont on n’a pour l’instant que le tome 1, intitulé "
La Genèse". Bobineau y raconte l’histoire de l’Église catholique romaine, de l’enseignement de Jésus à la Réforme grégorienne. Cette chronique ne fera que survoler de très loin l'ouvrage pour en donner une vision d'ensemble ; il faudra se plonger dans l'album pour avoir toutes les références, chaque page de "
L'Empire" pouvant donner lieu à un paragraphe entier.
Deux points importants émergent de ce gros album de 162 pages.
D’une part, la transformation progressive du message initial du Christ sous l’effet tant de l’exégèse que des nécessités politiques du moment. D’autre part la création, par l’extension territoriale, la juridicisation du pouvoir papal, et l’organisation hiérarchique, d'une Église catholique romaine - que Jésus n'avait jamais appelée de ses vœux - comme corps centralisé et efficient au service du pape - un chef suprême et infaillible dont Jésus n'avait jamais évoqué la possibilité ni la nécessité.
Concernant le message du Christ et les ruptures qu’il contient par rapport à la Loi juive (ce qui valut à leur énonciateur le supplice de le croix), Bobineau le résume de manière limpide en seize points, de «
Heureux les pauvres » à «
Pardonnez à vos ennemis » en passant par «
La Loi est au service de l’Homme » et quelques autres. On sait ce qu'il en fut. Ce message inédit et séduisant attira au prêcheur de Judée des suivants de plus en plus nombreux, qui s’efforceront de continuer à le faire vivre après la crucifixion - suivant qu’on veut être aimable ou pas, on considèrera que l’Église catholique romaine s’est acquittée ou non de cette mission.
Le Christ mourant page 22, c’est donc au long développement de l’Église catholique romaine que Bobineau consacre l’essentiel de son texte. Une église, d’abord, organisée par
Paul de Tarse, qui est autant héritière de Rome que de la Grèce, et qui se détache des contraintes du judaïsme après la
Concile de Jérusalem, ouvrant ainsi la voie à une expansion universelle hors de sa communauté de naissance. Une église, ensuite, sous la houlette d’un chef unique : l’évêque (d’abord puissance locale, l’évêque finira par devenir global, l’évêque de Rome étant aussi le pape). Une église, encore, qui, avec
Origène, met l’Homme au centre de l’attention du Dieu et du Christ. Une église qui s’appuiera sur quatre Évangiles, sélectionnés par
Tertullien au IIème siècle, comme sources de l’interprétation d’abord puis du dogme ensuite.
D'abord soumis à persécution, le christianisme survivra à ses bourreaux et obtiendra droit de cité dans l’Empire romain sous l’influence de l'empereur
Constantin. Ses successeurs établiront la religion chrétienne comme religion de l’État. D’interprétations (innombrables) en hérésies (qui ne le sont pas moins), de schismes en rivalités territoriales, l’Église catholique romaine s’organise, se développe (utilisant même des faux historiques quand nécessaire), et s’institue elle-même, au fil des siècles, en même temps qu’elle institue la fonction et l’autorité papales.
Après les premiers siècles d’expansion, il lui fallut néanmoins tourner la page des mauvais papes, du mélange des genres que pratiquait couramment l’élite entre fonctions religieuses et fonctions politiques, ainsi que de son image d'institution corrompue, coupable de simonie et de nicolaïsme (
on notera que ce n’est qu’au XIIème siècle que le célibat fut imposé aux prêtres), et passer par la
Réforme grégorienne des XIème et XIIème siècles, une transformation en profondeur encouragée - voire initiée - par les cisterciens et galvanisée par la Croisade. Cette Réforme qui définit encore ce qu'est l’Église catholique aujourd’hui fait du pape le « vicaire du Christ », seul habilité à interpréter le message christique. Elle le met à la tête d’une administration centralisée et hiérarchisée dont la base est constituée par une multitude de curés quadrillant le monde et assurant le contrôle social du peuple chrétien. Elle fait de l’Église catholique une puissance administrative présente sur un immense territoire.
A cette entité, il faut un droit. Qu’à cela ne tienne ! Créant le droit canon, l’interprétant et le développant, les juristes autour du pape créent leur pouvoir en même temps qu’ils élaborent sa source, et fournissent au pape – qui n’est plus élu que par les cardinaux - les armes juridiques de son indépendance par rapport aux pouvoirs temporels, de sa lutte d'influence contre l’Église d’Orient et/ou l’Islam, et de sa domination politique sur l’ensemble de l’Église et de la Chrétienté. Ne manquait plus au pape que l’Inquisition pour lutter contre les dissidences internes ; elle fut formellement créée en 1231 par le pape Grégoire IX, même s’il est possible de penser que, un siècle avant, Innocent II en avait posé les bases, qu’Innocent III approfondira. Inquisition mise à part, le tout existe encore aujourd’hui.
L'Empire, t1, La Genèse
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