"
Arche" de Stephen Baxter, est le second volet du diptyque entamé avec
Déluge.
Déluge racontait l’histoire d’une montée cataclysmique des eaux consécutive à la vidange subite de gigantesques mers souterraines cachées jusque là dans le manteau de la Terre ; "
Arche" commence alors qu’une grande partie des terres terrestres est déjà inondée. Les morts sont innombrables, les réfugiés plus nombreux encore, les Etats en voie d’écroulement tentent de sauver ce qui peut encore l’être. C’est dans ce contexte de disparition possible de toute l’humanité qu’une coterie de milliardaires décide de lancer une arche (au sens biblique du terme) dans les étoiles afin de permettre à l’humanité de survivre comme espèce en recommençant ailleurs. 80 survivants jeunes, triés sur le volet (parmi lesquels les enfants des initiateurs du projet), auront la lourde tâche de recréer une civilisation humaine sur un monde neuf.
Le temps est chichement compté. Il faut concevoir un vaisseau en usant de technologies à inventer dans l’urgence, transformer un petit groupe d’enfants en équipage efficace en lui apprenant sur des années tout ce qu’il devra savoir pour piloter un vaisseau inédit, et mettre au point des procédures et des règles assurant une chance de survie maximale au dit petit groupe ainsi qu’un potentiel de reproduction maximum couplé avec la plus grande diversité génétique possible.
Hélas, dès le lancement, parasité par quelques passagers clandestins, rien ne tournera vraiment comme prévu, et le très pénible exode envisagé deviendra vite un chemin de croix d’où il n’est même pas sûr que l’humanité sortira gagnante une fois toutes les épreuves surmontées. Car oui, "
Arche" est un roman très noir. Il aurait donc dû me plaire.
Rempli d’idées intéressantes, "
Arche" est néanmoins un roman plus raté que réussi (à tel point qu’à plusieurs moments on se dit qu’écrit par un auteur inconnu on en aurait abandonné la lecture).
D’une part, Baxter écrit trop long. C'est son défaut, ici comme ailleurs. Mais ici ça nuit à l'équilibre de l'ensemble. Avec une arche qui décolle à la page 190 sur 450, on se dit qu’il ne reste plus grand chose pour l’incroyable odyssée à venir - ça se vérifiera par la suite – d’autant que la partie préparation n’est guère enthousiasmante d’un point de vue scientifique.
En effet, comme dans le trop sous-estimé
Titan, Baxter situe une bonne partie de son histoire sur Terre, à décrire la conception et la préparation de la mission. Mais, dans
Titan, il s’agissait de rendre opérationnelle des technologies devenues obsolètes (navette spatiale). Ici, il faut inventer (et, certes, récupérer aussi le délirant
Projet Orion), ce qui signifie mettre au point un
Warp drive Alcubierre supraluminique en grosso modo 15 ans. Orion, c’est déjà limite, mais Alcubierre, là, c’est nawak. Baxter abandonne toute crédibilité scientifique et les lecteurs du roman verront combien souvent il le fait encore au fil des pages restantes (minage d’antimatière
and so on). De ce point de vue, couplant aussi urgence extrême et délai court, les solutions imaginées par Neil Stephenson dans
Seveneves sont bien plus convaincantes scientifiquement. Rien à espérer sur le plan scientifique donc. Même les contraintes environnementales spécifiques à un environnement totalement clos, si bien traitées dans
Aurora, sont presque inexistantes ici sauf en bruit de fond intermittent.
Sur le plan sociétal – car le petit groupe devra faire société – ce n’est guère plus convaincant. Les évolutions culturelles, les fluctuations dans les rapports de pouvoir, tout est trop rapide. On a beau exhumer de ses souvenirs les
expériences de Stanford ou de
la Vague pour se dire que ce que décrit Baxter est possible, il est difficile de croire qu’un groupe d’hommes et de femmes entrainés leur vie durant à appliquer des procédures ciselées pendant des années leur tourne le dos aussi vite et s’effondre humainement au point où le fait l’équipage de l’arche. Et croire qu’un personnage tel Zane ait pu échapper aux multiples évaluations psychologiques… Ou Wilson aussi d’ailleurs…
Il y a ici, comme sur le plan scientifique, une recherche du rebondissement et du spectaculaire qui décrédibilise l’ensemble.
C’est dommage car il y a quand même quelques beaux personnages, condamnés à vie à porter, dans l'enfermement, une charge comme nul n’en a jamais portée, et quelques belles pages, poignantes, surtout vers la fin. Mais elles arrivent trop tard, après trop d’attente, d’ahurissement, et de déception. Passée la fête, adieu le saint.
Baxter n’a pas voulu choisir son sujet, entre terre et ciel, préparation de l’expédition et suivi de l’expédition, défi technologique et microsociologie de bistro, voyage et arrivée. C’est d’autant plus éclatant au moment de ce qu’il nomme le Split, quand l’équipage (pourtant minuscule) se divise en trois groupes distincts. De l’un on n’aura plus aucune nouvelle, de l’autre peu, restera la troisième auquel Baxter s’attache.
Il n’a pas choisi de quoi il voulait parler, entre apocalypse civilisationnelle, description à charge de la raison d’Etat (
le plus froid de tous les monstres froids, disait Nietzsche), abus sur mineurs, parentalité dysfonctionnelle,
DID, soif de pouvoir monarchique,
paradoxe de Fermi (intéressante tirade de l’astronome du groupe sur le sujet, c’est sans doute Baxter qui parle), contact ou pas, enfin si, enfin non, quoique… Et ça c'est vu. Qui trop embrasse mal étreint.
Un livre qu’on déteste détester.
Arche, Stephen Baxter
Commentaires
En fait, Baxter s'intéresse au devenir lointain des différents groupes dans les nouvelles "Earth II", "Earth III" et "Earth I" (dans le recueil Landfall), qui se situent plusieurs siècles voire millénaires après l'arrivée des colons sur ces planètes. Cela forme une conclusion, un peu courte malheureusement, au diptyque Déluge/Arche.
Le lecteur lambda lui, en revanche, n'aura sûrement pas l'occasion de le faire.
Mais je crois que Baxter, globalement, je vais faire une très longue pause.