IMPORTANT : Cette chronique sera activement spoiler-free (ce qui imposera, hélas, certaines ellipses). C’est important pour ce roman aux multiples rebondissements.
Ne pas lire le glossaire avant d’avoir fini le roman, ne pas lire la dernière page pour voir, ne pas picorer dans le livre. On ne ferait que se gâcher le plaisir de la découvert progressive de l’étonnant monde de Pangée.
Pangée, massif continent solitaire au milieu d’un océan nommé l’Unique. Une myriade de peuples y vivent, organisés en cités ou régions indépendantes. La cité de Basal domine Pangée. La famille Anovia domine Basal. Mais le pouvoir politique est souple, la domination est plus symbolique qu’autre chose.
Entre les peuples de Pangée, très différents dans leurs coutumes et leurs modes de vie, existe un lien fort : la chasse à l’Odalim. Une fois par cycle de 25 ans, les nations de Pangée envoient une armada sur l’Unique pour traquer et tuer – sacrifier serait plus exact – l’énorme et terrible créature marine. Les risques sont grands mais une chasse réussie annonce un cycle prospère alors qu’une chasse ratée signifie mauvaises récoltes et menaces de guerre. Hélas, trois fois hélas, le roman s’ouvre sur le retour de la 9ème chasse. Un échec cuisant.
En vue d'amoindrir les forces centrifuges qui ne manqueront pas de se manifester, les trois familles dominantes de Pangée décide de lancer pour le cycle suivant la plus grande chasse jamais vue : 300 nefs sur l’océan, embarquant environ 250000 membres d’ équipage. Un effort de Pangée toute entière, chaque peuple contribuant à la mesure de ses possibilités. Cette terrible armada devra réussir à tuer l’Odalim, laver l’affront, et enclencher un nouveau cycle de prospérité, après avoir été le ciment de Pangée pendant les 25 années de sa construction. Mais n’y a-il que cela ? Certains promoteurs du projet n’auraient-ils pas un agenda caché ? Et quel sera le destin de l'Achab de Pangée ? Il faudra lire pour le savoir.
The times they are A-changin’ chantait Bob Dylan. Et c’est bien de changements que parle "Les nefs de Pangée".
Abandon des formes traditionnelles de légitimité et d’organisation politique, passage d’une économique à une chrématistique, développement de la stratification sociale, l’ordre politique et social sera bouleversé. Et des guerres, des guerres à n’en plus finir car la nouvelle société est dure à accoucher, à fortiori si on ajoute aux troubles internes la menace des Flottants, un peuple lacustre que les « terrestres » veulent éradiquer pour être enfin seuls maitres de Pangée, des guerres qui montrent comme toujours que si l’autre est aussi mauvais que nous, nous savons sans difficulté être aussi mauvais que l’autre. Et cet Odalim de la 10ème chasse, si fort, si intelligent, qui se révèle être un adversaire terrifiant et non le bouc émissaire girardien qu’il suffirait qu’il soit pour que son meurtre par la société unie renouvelle le sacré.
Que sortira-t-il de ces temps de bouleversements ? L’avenir s’incarne-t-il dans le changement ou n’est-il qu’un éternel retour ?
"Les nefs de Pangée" est un roman joliment écrit. Les descriptions sont fort bien imagées. Chavassieux sait, de plus, être lyrique, spectaculaire, en particulier dans certaines scènes de bataille ou de massacre ; il sait aussi rendre hommage au grand devancier que lui est Flaubert.
"Les nefs de Pangée" est aussi un vrai voyage dans l’inconnu. Chavassieux entraine le lecteur à sa suite dans un monde étranger à l’écologie surprenante et à l’organisation économique et sociale qui évoque ce que fut sans doute la cité grecque rêvée d’Aristote, et il le fait en des temps où cet ordre est bouleversé, où se révèlent donc tant les fils ancestraux qui faisaient tenir la société que les nouveaux que certains tentent de tisser pour elle.
"Les nefs de Pangée", enfin, est un roman où rien n’est acquis. Renversements et éclaircissements se succèdent très efficacement sous les yeux du lecteur.
Au passif, on regrettera le choix d’un style chroniqué qui tient le lecteur à distance de l’histoire. Presque 30 ans d’un monde racontés en 500 pages, ça fait peu de pages par an et par protagoniste. Ellipses et sauts sont trop nombreux à mon goût, et les personnages sont plus des figures historiques que des personnes. Si on ajoute une narration souvent très factuelle et distanciée, c’est à dire le ton du chroniqueur qui, des décennies plus tard, explique les évènements pour des lecteurs qui ne les ont pas vécus, on se retrouve à lire une histoire vraiment riche de laquelle on reste toujours un peu détaché. C’est moins vrai dans la seconde moitié du récit, quand l’Histoire accélère, mais c’est une tonalité qui ne disparaît jamais. Dommage. Il aurait peut-être fallu céder aux conventions de la fantasy et écrire au moins deux tomes.
C'est donc plus du regret que du reproche. Christian Chavassieux livre une belle, même si trop fragmentaire, histoire mythique : le récit de la métamorphose de Pangée. A lire comme une Odyssée.
Les nefs de Pangée, Christian Chavassieux
Commentaires
Mais aussi, sévère mais juste.
Tout y est pour moi, la progression dans l'intrigue est super maîtrisée, le monde fouillé.
Perso je suis bien contente qu'il n'ait pas eu besoin d'en pondre dix tomes pour fournir une histoire complète et cohérente. Un tome ça me convient bien !
Bisous :D