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Dites aux loups que je suis chez moi", premier roman de Carol Rifka Brunt, est le livre de blanche que j’ai cru pouvoir apprécier ces jours-ci. La quatrième de couverture m’attirait, les recensions presse étaient bonnes, même l’immense Gérard Collard, l’arbitre des élégances grand public, avait adoré. Diantre !
Milieu des années 80, précisément 87 on le découvrira à une seule occurrence (!). June Elbus est une adolescente un peu à l’écart, rêveuse et passionnée de Moyen-Age. Elle vit avec sa sœur ainée, Greta, et ses parents, comptables tous les deux, à Westchester, la banlieue de New-York où le Professeur Xavier a installé «
L’institut Xavier pour jeunes surdoués ». Son oncle maternel Finn (qui est aussi son parrain) est un artiste connu qui vit à Manhattan. Quand le roman s'ouvre, Finn est en train de mourir du sida et il a proposé aux deux sœurs de les peindre ensemble sur un tableau, sa dernière œuvre, qu'il leur offrira.
A sa mort, June, dévastée, découvre que cet oncle qu’elle adorait avait un compagnon, Toby, que sa famille lui avait toujours caché car elle l’accuse de l’avoir tué en lui transmettant la maladie. Cherchant à garder le contact avec le défunt Finn, répondant à une demande posthume, jalouse aussi de tous les moments d’intimité que Toby partagea avec Finn et dont elle ne fut pas part, June développe progressivement, à l'insu de sa famille, une amitié clandestine avec Toby, personnage fragile et délicat qui vécut dans l’ombre du solaire Finn. Elle en tirera sa première vraie responsabilité, la vérité sur la maladie de son oncle, et quelques lumières sur l’histoire non dite de sa famille.
Les plus âgés des lecteurs se souviendront du traumatisme que représenta l’apparition du sida. Ils se souviendront qu’on le qualifia de «
cancer gay » (référence au
sarcome de Kaposi, fréquent dans la maladie), de maladie des 4H (Homosexuels, Héroïnomanes, Haïtiens, Hémophiles). Maladie nouvelle, mortelle, inexpliquée au début, sexuelle donc honteuse et homosexuelle donc encore pire, le sida provoqua les réactions et les rumeurs les plus abracadabrantes, de la punition divine jusqu’à Jean-Marie Le Pen qui proposa en 86 de rassembler les malades dans des «
sidatoriums ».
En 87, Klaus Nomi était déjà mort, Freddy Mercury pas encore.
En 87 aussi, Finn Weiss, l’oncle dont June est secrètement amoureuse, meurt, la laissant orpheline d’un premier amour interdit autant qu’elle l’est de parents que leur travail accapare.
Brunt montre justement la méconnaissance de la maladie, la peur qu’elle inspire, le caractère honteux qu’elle revêt, la nécessité psychologique d’en faire le résultat d’une faute pour laquelle il y a forcément un responsable. Elle montre comment les relations dans une famille se distendent au point de devenir des ersatz, comment peut y naitre la cruauté en réaction à des offenses réelles ou supposées, comment l’amour n’y disparait néanmoins jamais vraiment. Elle évoque les occasions non saisies qui jalonnent un fil biographique et les regrets éternels qu’elles engendrent, ainsi que le trouble qu’on peut ressentir à penser qu’on a étriqué la vie de quelqu’un qu’on aime. Elle oppose le vif attrait d’une vie libre d’artiste à la morne banalité d’une vie rangée. Elle raconte le trouble adolescent, entre choix d'un mentor, responsabilité imposée, désirs naissants ou rejetés, déceptions intimes, et volonté d’émancipation. Tout ceci est bel et bon, d’autant qu’il y a quelques jolis moments et quelques scènes bien vues.
Et ça commençait plutôt bien. June parle à la première personne, dans un langage simple qui s’adresse au lecteur sans en avoir l’air, comme si elle écrivait dans un journal en négligeant le formalisme de la chose, comme ça par exemple : «
Donc, comme je le disais, si l’on est de bonne humeur, c’est un chouette endroit pour diner ». Proche et amical, le style accroche. Ton et thème entrainent.
Hélas, au fil des pages, on comprend que l’apprivoisement réciproque de June et de Toby va être très (trop) long, et que c’est définitivement une jeune adolescente qui nous parle. Les enjeux – les entrées dans les thèmes - sont souvent modestes ou puérils ; les actes aussi. Les analyses et les émotions de June sont celles d’une très jeune fille, justes peut-être mais souvent désespérément ennuyeuses tant tout y est limité. Même le trouble sociétal des «
années sida », pourtant au cœur du livre, est traité discrètement, trop sans doute, faisant de la maladie un élément de problématique familiale qu’un autre aurait pu remplacer en produisant le même effet.
Brunt se défend d’avoir écrit un livre YA, et pourtant c’est vraiment ce à quoi ressemble "
Dites aux loups que je suis chez moi". Les thèmes pas inintéressants du roman sont traités au ras du sol, par les yeux d’une adolescente qui ne voit pas plus loin que le bout de son petit nez, au fil d’un discours qui est trop longtemps égocentré pour qu’on ait encore patience et indulgence au moment où ce discours découvre qu’il ne constitue pas le centre du monde.
Il plaira (de fait il plait) aux amateurs de mélo, à de jeunes adultes souhaitant satisfaire leur goût de la romance littéraire en l'épiçant d'une once de pénible réalité, aux lecteurs (très nombreux) qui pensent que Paulo Coelho écrit de grands ouvrages philosophiques. Je n'en suis pas.
Dites aux loups que je suis chez moi, Carol Rifka Brunt
Commentaires
C’est un recueil de 24 nouvelles, parfois drôles, étranges ou fantastiques dont, pour certaines, vous pourrez imaginer une fin. Disponible dans les bonnes et même mauvaises librairies… http://www.monpetitediteur.com/librairie/livre.php?isbn=9782342037937