Nous avons pu rencontrer récemment à Marseille ce Jean-Laurent Del Socorro qui y a vécu trois ans et lui a offert un bon roman de low-fantasy historique,
Royaume de vent et de colères.
Conférence de presse commencée à la marseillaise, c’est à dire avec trente minutes de retard, le patio qui devait nous accueillir n’ayant pas ouvert à l’heure prévue, faute de
janitor. Mais conférence de presse conviviale et très agréable avec un auteur détendu, visiblement content d’être là.
Quelques pépites glanées dans la conversation :
Fantasy historique : Del Socorro nous a dit avoir inclus un peu de magie, de fantasy, dans son roman car il ne voulait pas faire un pur roman historique, il souhaitait revendiquer son roman comme roman de genre. Sur un cadre historique fort, il a voulu intégrer une dimension magique.
Marseille frondeuse : Del Socorro a découvert les évènements qu’il décrit lorsqu’il a vécu à Marseille, et l’histoire de cette « république » indépendante, de 1590 à 1596, l’a fasciné. C’était un Etat dans l’Etat, une ville indépendante au cœur du royaume français. Cette volonté d’indépendance lui a plu ; il pense qu’elle existe encore aujourd’hui, que ce n’est pas un cliché. Son expérience marseillaise lui a montré qu’il y avait quelque chose de vraiment singulier dans cette ville.
Premier roman : Del Socorro n’est pas littéraire à la base, il est scientifique. Il a eu des velléités d’écriture il y a longtemps, qui ne se sont pas concrétisées. Puis, voici trois ou quatre ans, il a rencontré Mathieu Gaborit – auteur de fantasy – qui lui a conseillé d’écrire. C’était parti. Pour apprendre à écrire, il a commencé par des nouvelles – dont des mauvaises – puis il a pris six mois pour écrire un roman – en fait huit – avec une méthode de travail rigoureuse.
L’histoire : Aucun synopsis au départ. Quatre notes la veille de commencer, pas de plan. Del Socorro n’écrit pas de façon chronologique, il écrit à l’envie, comme un réalisateur de court métrage écrirait les scènes qu’il a envie de voir. Puis il y a un gros travail de montage presque cinématographique. Et un travail de réécriture pour assurer la progression dramatique, une approche voisine donc de celle de l’écriture théâtrale. Le travail de réécriture a été énorme. C’était prévu. Mais un peu casse-gueule pour un premier roman.
Le montage : L’écriture, en passage de point de vue d’un personnage à un autre qui prend le relais, impose de réfléchir au montage et d’enlever ou de rajouter des scènes pour assurer la progression et ne pas avoir de redondance ou de trous narratifs. La seule scène qui ait été plusieurs fois récrite est la première. D’ailleurs il ne la trouve toujours pas satisfaisante.
Del Socorro voulait pouvoir « tricher » comme au cinéma. Qu’on voit toute une scène en passant d’un personnage à l’autre mais en revenant un peu en arrière lors du passage de point de vue. On voit un personnage puis le nouveau arrive au milieu de la scène précédente. Un film utilise cette technique, c’est Sin City.
Les personnages : Quatre personnages vont faire découvrir les 24 dernières heures de la république indépendante de Marseille. Ils se croisent alors qu’Henri IV vient à la reconquête de Marseille. Chacun suit son chemin, progresse dans son histoire, et leurs chemins se rejoignent et rejoignent la grande Histoire. Plus un cinquième personnage qui sert de chœur, comme au théâtre, et intervient à la fin de chaque partie pour raconter l’Histoire, le cadre historique, au lecteur. Del Socorro se dit très attaché à cette approche théâtrale. Il y a des scènes qui sont ouvertement des scènes de théâtre, potentiellement exploitables sur les planches.
Le travail historique : Del Socorro a voulu être très précis sur le plan historique, y compris dans ce que l'histoire a eu d’extraordinaire. En revanche sur la description de la ville, le visuel, il l’a été beaucoup moins, d’abord car il y a très peu de descriptions précises de la ville à cette époque. Il a préféré ne pas faire une description fantasmée. Les distances en revanche sont bonnes, même s’il s’est rendu compte de quelques approximations par la suite ou s’il donne à certains quartiers un nom moderne par nécessité (le Panier par exemple).
La carte de fantasy (ou son absence) : Les descriptions sont très succinctes, c’est un choix. Idem pour les personnages. Mieux vaut que le lecteur fasse travailler son imagination. Les personnages principaux sont identifiés par des éléments physique ou d’attitude mais on ne peut en donner une description physique précise. On ne sait rien de plus que des détails significatifs. La volonté était la même concernant la ville. Le lecteur doit imaginer.
Le siège de Marseille soutenant Pompée contre César : Del Socorro n’a connu cet épisode qu’après l’écriture du roman. Il l’utilisera peut-être, qui sait, pour l’écriture d’une nouvelle.
La contemporanéité du roman : Une double volonté. D’abord une écriture très contemporaine, pas de reconstitution d’une langue d’époque. Ensuite, Del Socorro voulait que la mixité sociale, l’égalité sociale de notre société transparaisse dans le roman quitte à ce que ça ne soit absolument pas réaliste. En tant que lecteur il en avait assez de ne pas retrouver cet aspect dans les romans. L’héroïne princesse, l’archère elfe, c’est insupportable. Pourquoi ne pas avoir des personnages différents ? Même si, ici, c'est un peu l'autre extrême.
Roman et jeu de rôle (les cinq doigts) : La phrase récurrente (les cinq doigts) vient du théâtre d’improvisation. Comment caractériser rapidement un personnage ? Une attitude, un tic, un regard, une façon de parler, un mot qui revient. Donc oui, il y a un peu de ça.
La postérité du roman : le roman est indépendant mais les personnages ont sûrement encore des choses à dire. D’autant que, quelques années plus tard,
Marie de Médicis, la future reine de France, détestée des Français, débarquera à Marseille pour remonter jusqu’à Lyon retrouver son époux. Il y a là une belle histoire à raconter.
Les projets d’écriture : De nouveau une trame historique, très différente, à déterminer. Del Sorocco n’est pas un créateur d’univers. Il veut créer des personnages. Un contexte historique fort permet de s’affranchir du travail de création d’univers.
S’il y a un deuxième roman, il sera moins bon, dit-il. On ne confirme jamais après la première. On se relâche. Et il dit être encore en recherche de sa propre écriture. Etre limité par son propre artisanat. Travailler comme un artisan consciencieux qui polit, vérifie, demande conseil. « C’est très littéraire comme roman » est donc le plus beau compliment qu’il ait reçu.
Commentaires
Une personne très agréable et bien intéressante ma foi. En prime il nous a montré un jeu de plateau bien sympatoche ;-)
J'espère que tu prendras plaisir à la lecture.