Vous vous souvenez de l’espion nazi en gabardine de cuir qui s’opposait à Indiana Jones ? Voici l’occasion d’entrer dans sa tête.
Europe et Proche-Orient, 1939. Friedrich Saxhäuser est un officier SS, espion international, proche d’Himmler, ancien garde du corps d’Hitler, compagnon de route historique du nazisme. Alors que sa foi dans le régime qu’il a contribué à mettre en place vacille, il est envoyé en Irak, sous couvert de participer à une expédition archéologique de l’
Ahnenerbe, pour contacter discrètement les locaux susceptibles d’aider les nazis. Dans une vallée reculée, il va rencontrer l’incroyable, le rêve réalisé des occultistes nazis et aussi peut-être l’occasion de mettre la main sur des armes inédites alors que la guerre s’annonce.
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Le Château des millions d'années" est d’abord un thriller de SF qui mixe Indiana Jones et X-Files. Irak, archéologues, fouilles, secrets aliens mis à jour. Tout y est. Sans oublier des espions anglais, une journaliste allemande libre et volontaire, des fusillades, des poursuites en moto, une chasse à l’homme maritime de Beyrouth à l’Atlantique en passant par Gibraltar. Et même une référence rapide à
Casablanca, la cité des espions. L’histoire se lit vite, va de rebondissement en rebondissement dans une approche résolument cinématographique, jusqu’à donner à voir cet héroïsme spectaculaire et haut en couleurs dont est capable Indiana Jones (entre autres) et qu’il faut accepter sans chercher à savoir si tout est crédible, juste pour le fun. Il est d’ailleurs facile d’imaginer à la lecture ce que donnerait une version cinéma de l'histoire.
Le récit avance sans à-coups et distrait son lecteur autant qu’il le dépayse. Rien de très original là-dedans, un style loin d’être inoubliable, mais Stéphane Przybylski raconte avec une application louable son histoire de contact et d'espionnage. Là, ami lecteur, tu te dis que je n’aime pas souvent ce qui n’est que distrayant s’il n’y a pas au moins l’attrait du style. Et tu as bien raison.
Mais il y a une autre facette au livre. A travers les souvenirs de Saxhäuser, on revit la montée du nazisme, de l’humiliation du
Traité de Versailles à la fondation des
Freikorps - ancêtre des
SA - jusqu'à la marche progressive d’Hitler vers le pouvoir. Et cette partie, entrelardée dans l’aventure, est très bien faite.
Stéphane Przybylski raconte, à travers un grand nombre de petites vignettes mémorielles, la peur du bolchévisme qui saisit une partie des allemands juste après 1918. Il dit comment les protonazis prirent racine dans cette peur et se nourrirent de l’humiliation historique. Il montre que la classe dominante allemande soutint assez vite Hitler, d’abord du bout des lèvres, puis de manière plus affirmée quand il sut lui promettre ce qu’elle voulait, stabilité, profits, maintien des privilèges de la classe militaire prussienne. Il raconte le
putsch raté, les manœuvres allemandes au Japon, l’opposition entre l’
Abwehr et la
SS, le
sacrifice des SA - offerts par Hitler aux milieux dominants qui le soutenaient -, la
Nuit de Cristal, le
Berghof, la folie occultiste et raciale d’un régime dont une partie de l’élite était membre de la
Société Thulé. On pourrait continuer longtemps pour la partie allemande.
Il propose aussi quelques portraits de nazis, à commencer par celui de Saxhäuser, et montre la diversité des motivations qui conduisirent des hommes et des femmes très différents à adhérer à l’idéologie ou au moins au régime. Ces portraits éclairent la question de l’adhésion à l’horreur et rendent évident son caractère non monolithique. Comme l’écrivait Max Weber « il ne suffit pas de savoir ce que font les acteurs, il faut aussi savoir pourquoi ils le font », et aussi « il n'est pas besoin d'être César pour comprendre César ».
Enfin il y a la partie orientale, sans doute la réalité la moins connue ici. Dans un Irak qui venait d’acquérir une factice indépendance au sein d’un Moyen-Orient découpé à la serpe par les Accords
Sykes-Picot, l’antisémitisme militant des nazis, en dépit d’un mépris pour les Arabes qu’ils avaient souvent du mal à dissimuler, passait bien auprès d’un certain nombre d’Arabes, dirigeants comme hommes du peuple, d’autant que le ressentiment contre les Britanniques était fort dans ce qui étaient des territoires occupés, à fortiori après que les promesses de
Lawrence d’Arabie aux Arabes soient pour l’essentiel restées lettres mortes. Une proximité qui n’a jamais été vraiment organisée, en dépit d’un coup d’Etat à la vie brève organisé par les nazis, mais qui faisait sens dans une partie de la population hostile tant aux Britanniques qu’aux Juifs.
Le tout est donc très documenté et présente évènements marquants comme billets d’ambiance d’une manière vivante qui plonge le lecteur au cœur de l’Histoire, en l’ancrant dans la biographie d’un homme dont l’éducation militaire et la Grande Guerre ont fait un tueur impitoyable et froid qui n’a pas été sans me rappeler le Ernst Jünger des
Carnets de Guerre. C’est très efficace, et je vous passe, par charité, la liste, impressionnante, des personnages historiques qui vivent dans le roman. Sachez seulement que peu de ce qui comptèrent dans le régime nazi n’y sont pas.
Si "
Le Château des millions d'années" ne comportait que les chapitres qui se passent dans le contemporain du récit principal, à savoir l’année 1939, il ne serait qu’un thriller SF du sous-genre nazi/alien distrayant certes mais sans grande conséquence. Mais il est aussi une histoire documentée et finement résumée de l’ascension du nazisme, cette
Résistible Ascension d’Arturo Ui que décrivit Brecht il y a longtemps déjà. L’ensemble se hisse donc au-dessus du pur divertissement et offre un cocktail à la fois digeste et intéressant. Ceux qui ont lu
En panne sèche d’Eschbach retrouveront ici le même mix entre récit fictionnel et rappels historiques passionnants.
Dans la colonne « Moins », on regrettera un style sans grand éclat ainsi qu'un abus de flashbacks/flashforwards qui sentent vraiment trop la volonté de faire feuilleton en gardant du suspense et des rebondissements sous la main. Ca ne nuit pas à la clarté du récit dès qu’on a compris que ce sera la structure standard du roman mais ça fait parfois très artificiel.
La fin. Cliffhanger ou pas ? Je l'ignore. Quoi qu'il en soit, restent trois tomes à suivre pour composer une tétralogie. Wagner, encore et toujours.
Le Château des millions d'années, Stéphane Przybylski
Commentaires
A.C.
Et pendant ce temps, il y en a qui râlent parce qu'on revient trop souvent sur la Seconde Guerre Mondiale !... ;)
Du coup, il me tente encore plus, s'il va au-delà d'une simple bonne aventure. ^^