Yal Ayerdhal in Bifrost 118 - La fin de la guerre éternelle

Dans le Bifrost 118 il y a les rubriques habituelles. Critiques des nouveautés, scientifiction and so on. Il y a aussi un édito d'Olivier Girard qui rend un hommage appuyé et émouvant à Yal Ayerdhal , un grand de la SF française qui nous a quitté il y a dix ans et dont je me souviens de le gentillesse et de la capacité d'attention à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, appartenait à ce milieu qui était le sien et qui est le nôtre. Dans le Bifrost 118 , il y a   donc un gros dossier sur Yal Ayerdhal (qu'on appelait entre nous simplement Yal) . Un dossier sur l'homme actif et en colère qu'il était, de ses combats pour le droit des auteurs à son militantisme intelligent (il y en a) . Dans le  Bifrost 118  il y a aussi une plaisante nouvelle de Yal Ayerdhal,  Scintillements . Il y raconte comment finit la "guerre éternelle" entre deux civilisations galactiques qui n'auront jamais pu communiquer. Dans un écho déformé de Lem ou d'Haldema...

Retour de chronique : La peau froide - Albert Sanchez Pinol

Retour de chronique publiée dans Bifrost 73

Début du XXème siècle, un républicain irlandais fuyant son passé est déposé sur une petite ile de l’Atlantique Sud, non loin de l’Antarctique. Il doit y occuper le poste de météorologue, seul et loin de tout, pour une année entière. Une année, ça oui, mais seul, non. Malheureusement pour lui. Assiégé dès la première nuit par des hordes de monstres amphibies, il trouve un improbable allié dans le « gardien du phare », Cafis Batto, homme dur et bourru, sans doute fou, mais entrainé à la survie. Jusqu’à ce qu’un amour étrange pour un monstre femelle fasse basculer les alliances.

"La peau froide" est un livre d’un élégant classicisme dans l’écriture. Maîtrise et richesse de la langue, préjugés racialistes énoncés comme des évidences, "La peau froide" pourrait passer sans difficulté pour un ouvrage écrit il y a cent ans ou plus, ce qui, sous ma plume, est toujours laudatif.
Sur le plan narratif, l’histoire est de bon aloi pendant au moins deux bons tiers. L’isolement absolu, le retrait hors de l’Humanité, vécu par les deux naufragés encalminés sur une petite ile, sans moyen de communication et loin des routes maritimes, a quelque chose de vertigineux. Tekeli-li !

Réduits à focaliser toutes leurs actions puis tout leur être sur les nécessités de la survie par la guerre, les deux hommes finissent par se réduire à un vouloir vivre où l’intelligence n’est qu’un outil au service de l’anéantissement de l’Autre. Même plus le temps de lire le Frazer, pourtant disponible dans le phare, qui pourrait peut-être les éclairer. Dans un contexte fantastique qui rappelle Lovecraft et ses profonds, La peau froide a les attributs d’un roman post-apocalyptique.

Puis il y a le contact, émotionnel. Un monstre femelle vit dans le phare avec les deux hommes, serve volontaire, étrangement attirante, à la sexualité hypnotique et vénéneuse, qui amène progressivement le météorologue à dessiller les yeux.

Et là, le roman bascule dans un didactisme regrettable. Jusqu’alors, les deux niveaux de lecture n’interféraient pas. Roman effrayant d’un côté, métaphore du racisme et de la guerre de l’autre. Volonté d’anéantissement, dépersonnalisation et déshumanisation de l’ennemi, privé même de nom, solidarité « biologique » dépassant les antagonismes moraux, c’était plutôt fin, et surtout ça laissait le choix au lecteur de la lecture qu’il voulait faire ; j’y ai plaqué le conflit israélo-palestinien. Mais quand le « héros » découvre, comme une épiphanie, que, sous la peau froide des monstres, il y a un petit cœur qui bat, ça m’a rappelé un vieux sketch de Fernand Raynaud intitulé Le douanier. Et c’est au contact des enfants des monstres que se produit le miracle ; rien ne sera donc épargné au lecteur. La suite est prévisible, entre ceux qui voient plus loin, assez pour chercher à faire la paix, ceux qui refuseront ce que leurs sens leur disent, jusqu’au suicide, et la relève, fraiche et enthousiaste, qui empêchera la guerre de cesser.

Au final, si on aime le bien et le bon, il faut lire "La peau froide" ; si on préfère un peu de finesse, il vaut mieux éviter, on s’épargne la déception.

La peau froide, Albert Sanchez Pinol

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