Laurent Kloetzer est la moitié de L.L. Kloetzer, auteur bien connu pour la
fantasy corporate Cleer et le monumental
Anamnèse de Lady Star.
Lors des Utopiales, il a gentiment accepté de répondre à quelques questions qui nous permettent d'aller plus loin dans l'Anamnèse.
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L.L. Kloetzer, collage à partir d'originaux de Mélanie Fazi |
Bonjour, Laurent, merci d’accepter de répondre à quelques questions
pour Quoi de Neuf.
Nous pouvons commencer par une question un peu triviale. Dans Anamnèse,
vous parlez du groupe Norn et de l’hôtel Giessbach. Ce sont des choses que vous
connaissez personnellement, que vous appréciez ?
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Giessbach, WikiCommons |
Giessbach en premier. C’est un
lieu réel, un hôtel assez connu en Suisse (
si
tu cherches sur Internet tu vas en voir des photos, c’est très beau), situé
dans une région splendide au bord du lac de Brienz. Le cadre est incroyable, un
lieu de rêve, l’envie d’y placer un passage du roman est venue très
naturellement. Pour la petite histoire, c’est un hôtel du XIXème siècle – de
son nom précis, le
Grandhotel Giessbach,
un hôtel de luxe construit pour les touristes Anglais – qui a eu sa petite
célébrité en Suisse car une forte personnalité locale, l’écologiste Franz
Weber, l’a défendu contre une destruction programmée et a fait une campagne
pour le préserver. Un endroit chic, mais pas un hôtel de grand luxe réservé à
une upper upper class. Les exploitants ont gardé l’idée que des gens normaux
devaient pouvoir y venir, pour y fêter leur anniversaire de mariage, par
exemple.
Norn
est un groupe suisse de trois femmes, qui chantent une musique
ethno-imaginaire. Laure les connaît depuis longtemps. Le collectif a été fondé
en 2003 et nous les avons vues pour la première fois sur scène à l’occasion de
leur deuxième album en 2007. C’est un collectif de scène. Leurs disques sont
très bien et leurs spectacles sont encore mieux. Pas des tours de chant mais,
pour chaque album, un spectacle sur une thématique particulière, avec des
costumes adaptés et une langue ad hoc qui est inventée par la compositrice du
groupe, Anne-Sylvie Casagrande, un vrai personnage aux yeux de magicienne.
Norn est arrivée dans l’Anamnèse d’une manière pas du tout
pensée. On était en train de faire l’Anamnèse,
on a vu un concert et je voulais qu’il en reste quelque chose. Nous avons eu
envie d’écrire quelque chose en hommage à leur travail et à leurs créations. Et
à ce moment-là est venue l’idée qu’il pourrait y avoir dans le futur, le futur
de l’Anamnèse, quelqu’un qui
s’intéresse à ce qu’était Norn, à leur magie. Le récit est parti de là, l’envie
de voir Norn, vues du futur.
Pendant un certain temps, ce
texte a existé à part du roman, il n’avait pas exactement la même forme, les
différents éléments du chapitre étaient agencés autrement. Puis à un moment, nous
avons a eu une révélation. On s’est dit « En fait, c’est un morceau très
important de l’Anamnèse qu’on n’avait
pas vu » et on l’a alors rapatrié dans le roman.
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Norn, by Marc Lopes/Eikazia |
Dans CLEER et Anamnèse, vous décrivez des lieux de pouvoir, ou au moins
des lieux de décision. Vos emplois vous amènent à fréquenter ce genre de lieux.
Dans quelle mesure cela a-t-il irrigué ou enrichi votre travail et votre
imagination ?
D’abord je pense qu’un écrivain
est bon surtout quand il parle de ce qu’il connaît. Ceci dit, ni Laure ni moi
n’avons jamais été très près des vrais lieux de pouvoir. Directement je veux
dire. Laure a travaillé dans la direction stratégique d’une transnationale, moi
j’ai travaillé comme ingénieur dans une très grosse société, mais jamais près
des gens qui prenaient des décisions importantes. Toutefois, de part nos
études, nous avons pas mal d’amis qui ont, ou ont eu, des postes de pouvoir. CLEER vient beaucoup de discussions avec
ces amis, d’histoires qu’on nous a racontées.
Pour l’Anamnèse, le seul lieu de « pouvoir » représenté est le
milieu universitaire, des réminiscences de la vie professionnelle de Laure, je
suppose.
Comment est née l’idée d’Anamnèse ?
Le fait est assez rare, mais
c’est une question à laquelle je peux répondre précisément. L’idée de l’Anamnèse est née au retour des Imaginales
de 2009. Nous étions dans la voiture Laure et moi, on venait de finir CLEER, on réfléchissait sur ce qu’on
voulait faire et là, on revenait des Imaginales, on y avait rencontré des
auteurs de SF, ça nous avait donné des envies de SF. On était en pleine période
de lecture de Christopher Priest – auteur que nous aimons beaucoup et avons en
commun alors que nous avons des cultures littéraires très différentes – et on
s’est dit qu’on aimerait vraiment bien faire quelque chose en SF qui puisse
produire sur le lecteur l’effet de sidération que provoquent chez nous les
romans de Christopher Priest. Dans le
Prestige, le Glamour, ou d’autres
encore on trouve une forme particulière de sense of wonder, de stupéfaction, et
nous avons eu envie d’écrire quelque chose dans ce genre.
Notre idée priestienne, l’envie
centrale de l’Anamnèse, c’était de
faire le portrait d’un personnage, qui, au fur et à mesure du livre, changerait
de nom, d’apparence, ne serait jamais la même et jamais une autre. On s’est
dit : il faut que le lecteur n’ait aucun doute sur le fait que c’est
toujours le même, alors que nous ne donnons aucune des choses qui permettent
normalement à la cognition humaine d’affirmer que c’est la même personne.
A toi de dire si c’est réussi.
La nouvelle (Trois singes, le texte qui a précédé Anamnèse) existait déjà, le personnage flottait aussi un peu par là,
des idées souterraines suivaient leurs cours… On s’est décidés pour ce projet.
A propos du personnage, je t’avais demandé au moment de la sortie si on
pouvait la considérer comme une Idée platonicienne, et tu m’avais répondu
« pourquoi pas, mais ce n’était pas l’idée initiale »…
Ce n’était pas mon idée, mais ton
idée à toi est respectable et vaut autant que la mienne.
… peut-on au moins la définir comme un personnage que le désir des
autres fait s’incarner ?
Ecoute, je suis toujours mal à
l’aise sur le fait de dire comment est le roman, comment est le personnage. Tu
as lu le roman, tu en sais autant que moi. Maintenant, j’espère vraiment un
jour écrire et publier d’autres histoires qui mettent en scène des personnages
similaires à ce personnage-là, et tu verras que j’ai une certaine idée sur la
manière dont ils fonctionnent. Tu me diras alors ce que tu en penses, si ça
correspond à tes intuitions ou bien si ça te déçoit…
En tout cas, c’est une idée que
j’ai depuis longtemps et qu’on a partagée avec Laure, on a construit ensemble
cette idée des Elohim – car pour moi le personnage de l’Anamnèse n’est pas unique, il y en a d’autres comme elle – et je
pense qu’il y a quelque chose à faire du point de vue de la fiction avec ses
semblables.
C’est une idée ou c’est un projet ?
C’est un projet. Il y a des
histoires très concrètes. Dans le dernier Angle Mort, on peut lire une
nouvelle, assez ancienne, qui s’intitule « Christiana » et qui est
basée sur la même idée, qui présente aussi un personnage de cette nature.
La bombe iconique qui est au début du roman, même si elle n’en est pas
le point principal, est-elle une pure création imaginaire destinée à mettre les
évènements en branle ou est-elle symbolique de quelque chose, en terme de
circulation des mèmes par exemple ?
Nous ne faisons pas d’allégorie
donc il n’y a pas de clef de lecture. Ce n’est pas une approche qui nous
intéresse. Ensuite, dans la SF je pense qu’il y a des idées qui flottent. Des
idées qui sont dans l’air, qui viennent de ce qu’écrivent les gens, de
l’actualité. Nous parlions hier à table avec Gilles Dumay de concepts
similaires à celui de la bombe iconique et il paraît que dans Glyphes, un roman de Paul J. McAuley,
l’auteur utilise un concept très voisin. Quelqu’un d’autre évoquait une
nouvelle de Matheson des années 50 qui utilisait les mêmes idées, je ne crois
pas avoir lu aucun des deux textes donc effectivement cette idée des mèmes, est
derrière la bombe iconique, l’idée de dire que l’information a un impact. Alors
après qu’est ce que tu fais si tu tires cette idée à la limite ? Il y a
aussi une nouvelle de Thomas Day dans un de ses recueils qui joue là-dessus,
une nouvelle sur la manière dont les infos t’impactent, le fait que dans un
monde mondialisé où l’information circule très vite, la douleur t’arrive dans
la gueule très vite aussi. Pour moi la bombe iconique c’est une manière
d’incarner cette idée, l’idée de l’information qui te donne un grand coup de
poing.
Peux-tu me parler de la construction du roman d’un point de vue
pratique ? Comment construit-on un roman aussi complexe qu’Anamnèse ?
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Nomen Rosae, par Piotr Jaxa |
A l’origine il y a la nouvelle
« Trois singes », dont nous n’étions pas sûrs au début qu’elle ferait
partie du roman
. Elle n’y
est pas du tout rentrée au début, nous n’avons pas dit « ça va partir de
ça ». La nouvelle contenait un élément du cadre mais sans plus. Mais déjà,
à cette période, nous aimions inventer des histoires sur un format nouvelle. Nous
avons donc commencé par une nouvelle, le texte pivot de l’
Anamnèse, celui où tout l’enjeu du livre est en place : celui
intitulé
Marguerite. C’est celui qui
introduit Magda, où on la voit plonger grâce à son ordinateur dans le passé et
retrouver des traces de « Marguerite ». On la voit mener son travail
d’étude et on voit « Marguerite » faire un de ces twists dont elle a
le secret pour effacer ses traces. Et pour nous c’était vraiment l’histoire
pivot. On a donc commencé par faire celle-là, après on s’est demandé ce qui se
passait ensuite – et ce qui se passe ensuite c’est ce qui se passe avant
(rires) – donc on a fait le second élément, c’est à dire le passage intitulé
Nomen Rosae qui est celui où il y a la
course poursuite avec les tueurs, après on a cherché à construire d’autres récits,
et on voulait que la série de récits joue ce rôle de points de vue multiples
dont je t’ai parlé. Puis on a eu une idée que j’aime beaucoup, se dire que les
éléments de récits collés seraient des « majeures » - au nombre de sept
dans
Anamnèse – et à peu près toutes
les « majeures » (pas toutes en fait, on a un peu triché) sont
accompagnées d’une « mineure » qui est le moment où, à partir d’un
témoignage, Christian et Magda décortiquent et critiquent les faits.
Le processus créatif a ressemblé
à ça : Trois singes existait
déjà, Norn existait déjà, ces deux
textes se sont retrouvés dans Anamnèse,
je pense ensuite qu’on a fait Marguerite,
Nomen Rosae, Giessbach, puis à un moment on a collé « Trois singes » en se disant « tiens ça va être
l’intro », après on a collé Norn
en se disant « ça devrait aller là ».
Dès qu’on en a eu deux ou trois textes
s’est posée la question du lien, comment tout ça s’articule. On a beaucoup
relu, on en a énormément parlé, on a fait des séances de brainstorming de
folie, et on a été obligés de coucher par écrit des trucs parce qu’à un moment
on n’arrivait plus à tout tenir. Après, quand tout était collé, on a fini avec
le premier texte, Kirsten et le
dernier, La fée bleue, dont on savait
qu’on voulait qu’il soit le dernier du roman et le dernier écrit. Puis on a
relu et des amis précieux ont relu l’ensemble et fait des critiques. Il y a eu
par exemple une relecture de Léo Henry qui a été très axée sur l’aspect
littéraire du récit, qui nous a fait reprendre des choses assez importantes
pour la mécanique du récit. Il y a la relecture d’un autre ami qui est un
fact-checker de folie, qui a une très bonne intuition des problèmes de
cohérence, et qui a été très précieux car, comme l’Anamnèse repose sur des mensonges, des omissions, des choses qui
ne collent pas, et que c’est exprès, il ne fallait pas qu’il y ait des choses
qui ne collent pas sans que ce soit voulu. On a essayé de faire que tout colle
là où on voulait que ça colle, et que ça ne colle pas seulement là où on
voulait que ça ne colle pas. Il y a d’autres gens qui ont participé, des gens
qui ont travaillé avec nous sur des morceaux particuliers. Vraiment nous disons
un grand merci à tous ceux qui ont participé à ce moment là. Et un point,
enfin, qui a été très important est l’intervention de Gilles Dumay. Gilles
Dumay, en tant qu’éditeur, a une qualité importante, il se met au service du
projet de l’auteur, il est là-dessus d’une très grande humilité ce qui est
étonnant car il est aussi auteur dans une autre vie. Mais en tant qu’auteur Lunes d’encre, on discute toujours avec
Gilles Dumay l’éditeur, qui n’est pas Thomas Day. Gilles fait ce travail de
lecture et de clarification, pour que livre soit compris comme l’auteur veut
qu’il soit compris. Pour l’Anamnèse
c’était vraiment important, il y a plusieurs passages qu’on a simplifiés,
raccourcis, condensés, expliqués plus clairement, sur ses suggestions.
L’idée que les mineures servent de commentaires et que les témoignages
sont fallacieux ou plein de trous laisse penser que la vérité peut se trouver
dans les bases de données, là où la cherche Magda, mais les bases de données
sont truquables aussi. Alors deux choses, penses-tu que les systèmes de
lifelogging qui se développent peuvent être la source d’une oppression plus
grande ou d’une meilleure connaissance de soi, les deux étant possibles, et
comment d’après toi peut-on contrôler la confidentialité des systèmes de
lifelogging ?
Désolé mais je n’ai pas beaucoup
de crédibilité pour parler de ça. Pour en dire quelque chose quand même : ces
trucs là je ne les vois ni comme un bienfait ni comme une menace, je les vois
comme un fait. Qu’on fasse du lifelogging explicite en racontant notre vie ou
juste implicite, simplement en prenant des photos, il est certain qu’avec les
capteurs, les appareils photos, les enregistreurs comme le tien, tout ça, on
crée des bases de données des vies des gens avec leurs interactions sociales,
et ça c’est un constat. L’Anamnèse
joue avec cette idée-là mais je
pense que c’est un constat que tout le monde fait. Concernant la
confidentialité… moi je travaille dans l’informatique, ma société enregistre
des données personnelles de gens, juste ce qu’ils ont acheté et quand, des
données commerciales classiques, un peu de données sociales. Je pense que si tu
proposes d’enregistrer les données des gens tu as un devoir, au moins moral et
en plus légal, de confidentialité et de protection des données. Alors comment
protéger ? D’abord avec une bonne technique et, surtout, on voit ça avec
les affaires Snowden et autres, il y a une question de moralité, la prise de
conscience qu’en confiant nos données à des externes, on prend ce risque et
qu’ils ont un devoir moral de les protéger. Après, là-dessus je n’ai pas
d’opinion très tranchée : faut-il le faire ou pas, est-ce que c’est bien
ou mal, mais ce que je sais c’est qu’en tant qu’auteur ce qui m’intéresse
depuis très longtemps – c’est un sujet universel – c’est la mémoire. De quoi
nous souvenons-nous ? Quelles traces restent de nous ? Comment
retourner dans notre passé, comment retourner dans notre enfance ? Et là,
il y a un truc incroyable. J’ai peiné pour retrouver trois photos de moi
enfant, et mes filles vont en avoir des milliers. Et tu sais bien que ces
données ne vont pas rester confinées, que je le veuille ou non, à mon appareil
personnel et à ma maison car ces systèmes de partage en cloud sont tellement
intéressants qu’on s’en sert, et à ce moment là on se dit que ça y est, on a
une forme de mémoire collective de l’Humanité, de certaines parties de
l’Humanité au moins, qui est là. Tu vois comment dans l’Anamnèse on joue avec cette idée, la mémoire est là, plus
personne ne s’en sert, et puis quelqu’un, beaucoup plus tard, replonge dedans.
Sur les affaires de type Wikileaks, j’étais plutôt critique car il me
semblait que ce n’était que la violation d’un secret par son détenteur. Puis,
j’ai lu Existence de David Brin. Il y développe l’idée selon laquelle la
transparence devrait être la règle car si ce n’est pas le cas, les institutions
puissantes auront les moyens de violer la confidentialité alors que le commun
des mortels ne le pourra pas, et qu’il vaudrait donc mieux que tout le monde
soit à égalité. Rajaniemi traite aussi cette question de mémoire collective
dans The Quantum Thief, il décrit un monde dans lequel je serais avec toi ici,
je te verrais donc, or comme tout ce que je vois est mémorisé en externe tu
pourrais décider que tu ne veux pas être sur la mémorisation et donc
l’expérience physique aurait bien existé mais il n’y aurait pas de trace
numérique, donc la scène ne pourrait jamais être rappelée. Que t’inspire ce
type d’interrogation tant chez Brin que chez Rajaniemi ?
Je trouve ça fascinant. Je ne
suis pas du tout un penseur de ces trucs là donc je n’ai pas d’avis autorisé.
Comme je l’ai déjà dit, il y a des choses en fait. Ca se produit. Je me
contente de voir que ça se produit. Après je trouve ça passionnant. Ce sont des
expériences de pensée très intéressantes de dissocier par exemple numérique et
réel. C’est tellement associé aujourd’hui, au point qu’il y a des gens qui
photographient leur sandwich avant de le manger, que c’est quelque chose de
très étrange, une tentative d’avoir la maitrise sur sa vie. Un truc qui me
paraît intéressant, peut être que j’écrirai un jour quelque chose dessus, c’est
qu’on a l’impression que ça coïncide, que les gens font coïncider réel et
numérique. Mais, en réalité, quand tu vois l’usage de la présence sociale en
ligne, Facebook, Twitter et compagnie, tu vois en fait que la plupart des gens
sont tout à fait conscients du fait que c’est une nouvelle facette d’eux qu’ils
font apparaître, c’est une construction, un construct, qui n’est pas du tout
eux. Gromovar en est un très bon exemple. Il y a vraiment une présence en ligne
qui est ta présence en ligne, qui est un aspect de toi que tu as construit, que
tu exposes, et dont tu dis « voilà c’est moi, en tout cas c’est avec lui
que vous discutez, et moi je suis derrière ». Par exemple, tout comme moi,
tu parles peu de ta famille sur ton blog et sur les réseaux sociaux. Moi je
sais que Laurent Kloetzer en ligne, c’est l’auteur. Et l’auteur ce n’est qu’un
des aspects de ma vie, j’ai des enfants, j’ai un boulot, j’ai aussi des centres
d’intérêts qui sont hors de l’écriture, mais j’ai décidé consciemment que Laurent
Kloetzer en ligne serait surtout l’auteur. Donc oui il y a une forme de
transparence mais je crois que la plupart des gens sont tout à fait conscients
que ce qu’ils mettent est un masque plus ou moins élaboré, une nouvelle figure
sociale, après ta figure sociale professionnelle, ta figure familiale, il y a
ta figure publique sur le web, il peut aussi y avoir une figure privée sur le
web, ça peut se démultiplier parce que tu fais partie de différents cercles et
tu peux avoir des figures différentes suivant les cercles, etc. Je trouve que
c’est un sujet passionnant.
Terminons par une question à la con. Tu décris dans Anamnèse un
post-apo propre, clean. Un tropisme suisse ?
Non. D’abord je ne suis pas Suisse
mais Français, sans lien familial avec la Suisse. Ensuite l’univers d’Anamnèse est bien antérieur à mon
installation en Suisse, l’univers dans lequel se passe Anamnèse est un univers de jeu de rôle. Personnellement, le
post-apo je trouve ça très angoissant. C’est une chose que je ne vis pas bien. Dans
le cadre de l’Anamnèse, ce n’est pas
le sujet du roman, c’est un élément du récit, c’est pour moi un énorme
fantasme, l’idée de construire un background post-apo sans m’intéresser à ce qui s’est passé. Je n’ai pas envie
de faire le récit de l’apocalypse, de raconter les gens qui hurlent, les types
qui se tirent dessus, les horreurs. Je me suis dit « on ne va pas les
mettre dans le récit, les gens vont comprendre tous seuls que ça s’est
passé » mais ce n’est pas le sujet.
A ce sujet, je l’oublie souvent
mais il y a un roman qui a été une très forte inspiration pour cet univers. C’est
« Toi l’immortel » de Roger
Zelazny qui est un de mes romans préférés de cet auteur. Il a eu le Hugo je
crois (oui, meilleur roman 1966 à égalité avec Dune, ndG), ce n’est pas le plus
grand des romans de Zelazny, ce n’est pas le plus sophistiqué, il met en scène un
héros très zélaznien, un Corwin-like, un peu roublard et vraiment sympa. Le
boulot de ce gars est d’être gardien de musée de la Terre. Parce qu’il y a eu
une forme d’apocalypse nucléaire, puis des extra-terrestres sont venus
récupérer tous les gens et les emmener sur une autre planète pour travailler
pour eux, et ne restent que quelques habitants sur Terre – le parallèle avec l’Anamnèse est assez fort – et
l’histoire se passe sur une Terre plutôt calme où il n’y a plus grand monde et
où les touristes viennent visiter les monuments. Le héros appartient à un
groupe qui est chargé de faire visiter les pyramides, les temples grecs,
sachant que l’histoire se passe essentiellement en Grèce, au bord de la mer. Il
passe beaucoup de temps à boire, il y a un petit côté « Terre
Mourante » dedans, c’est un roman que j’aime beaucoup, et j’en aime
vraiment bien l’atmosphère. Quelque chose de dramatique s’est passé, certains coins
sont complètement irradiés, il y a des mutants, ce n’est pas un monde très
rassurant mais c’est fait, c’est passé, on est dans la construction qui suit.
C’est ça qui m’intéressait, d’être dans la construction après.
Et bien merci Laurent pour cette plongée en profondeur dans l’Anamnèse et à bientôt pour tes nouveaux projets.
Commentaires
Merci Grom et merci Laurent.