Les Vikings, guerriers, commerçants, explorateurs. Décrits comme des bêtes assoiffées de sang par leurs seuls contemporains lettrés, ces mêmes ecclésiastiques qu’ils pillaient et tuaient allègrement, la recherche historique a montré depuis qu’elle était la richesse de leur civilisation. Elle a rappelé aussi combien, partis de Scandinavie, ils avaient irrigué, voire ensemencé, les Iles britanniques, la Russie, notre Normandie, même le Groenland et l’Amérique (avec dans ces deux derniers cas des postérités limitées).
Les Vikings étaient certes des guerriers puissants et brutaux, qui valorisaient le courage par-dessus tout et rêvaient de mourir l’épée à la main pour gagner leur place au paradis des guerriers. Ils étaient presque l’opposé exact de la douceur évangélique. Mais, dans l’Europe ancienne, ils étaient loin d’être les seuls (relire l’
Antéchrist de Nietzsche), et ils n’étaient pas que ça. La culture viking, préchrétienne, est complexe, bien plus que ne le laisse penser la caricature qui en fut longtemps faite. Esclavagistes et trafiquants, ils l’étaient aussi, mais qui ne l’était pas à l’époque ?
Brian Wood, auteur de comics passionné par ces hommes du Nord, les fait revivre aujourd’hui dans une série intitulée "
Northlanders", traduite et publiée par Urban Comics.
On saluera une fois encore le travail d’Urban. Qualité de fabrication, regroupement des comics en volumes géographiques (ici
Le livre anglo-saxon) et classement chronologique des histoires dans chaque volume (de 793 à 1014), points historiques, cartes, couvertures variantes. Comme pour
Sandman, Urban fait un travail éditorial exceptionnel qui justifie de ne pas chercher à se procurer les versions VO (et ceux qui fréquentent ce blog savent que ce n’est pas une phrase que j’écris souvent).
Fruit de recherches poussées, historiquement juste, la série emmène le lecteur dans le vrai monde des Vikings (le seul reproche à faire est l’écriture des dialogues, parfois trop moderne, défaut culminant dans l’arc intitulé
La croix et le marteau). Elle le fait à travers les histoires fortes de personnages marquants, fictifs mais toujours liés à un contexte historique ou à une pratique notable :
Lindisfarne (793, Northumbrie) raconte le pillage du monastère de
Lindisfarne, première incursion viking documentée de l’Histoire. On y voit, par les yeux d’un enfant malaimé qui choisit les vikings contre son fanatique chrétien de père, la double opposition entre envahisseurs et indigènes et entre chrétiens et païens. Cette opposition traverse la plupart des récits du tome. Une entrée en matière logique qui illustre la bascule, qui s’étendra sur plusieurs siècles, entre ancienne et nouvelle religion.
Dans
Skjaldmös (868, Midlands), le regard est inversé. Une invasion saxonne détruit une communauté viking. Trois femmes fuient avec le butin du clan et le protègent, armes à la main, contre leurs assaillants, dans un ancien fort romain. Vikings, saxons, romains, ne manquent que des celtes dans ce condensé d’histoire de la Britannie.
Sven le revenant (980, Orcades) est l’arc le plus long, le plus intense aussi. A la mort de son père, chef de clan des Orcades, Sven, devenu mercenaire
Varègue par rejet de sa culture ancestrale, revient de Constantinople pour revendiquer son héritage dérobé par son oncle. Situé, toutes proportions gardées, entre
Hamlet et
Même pas mort, le combat de Sven contre un oncle usurpateur est rude, long, sanglant. Une guerre d’attrition d’où les clans vikings ne peuvent que sortir affaiblis sauf s’ils parviennent enfin à s’unir, contre un ennemi commun.
Entre l’ouverture au monde de Sven et le repli sur soi de sa communauté d’origine, entre la fragmentation clanique et l’alliance sous un seul nom, l’enjeu est la survie d’une culture peut-être trop insulaire.
La fille de Thor (990, Hébrides) est un court interlude dans lequel on voit que les allégeances vikings sont de sang, liées à l’individu autant qu’à la force qu’il manifeste. Une pause.
La croix et le marteau (1014, Irlande) se passe pendant la guerre contre
Brian Boru en Irlande, au même moment que la
Bataille de Clontarf qui oppose les Irlandais conduits par Boru au roi viking de Dublin
Sigtryggr Silkiskegg (que cette langue est mélodieuse). On y voit Magnus, un loup solitaire irlandais fanatique aux motivations obscures, se déplacer et massacrer, tel un tueur en série, les soldats d'occupation et les nobles occupants. Il est poursuivi par un limier dont les méthodes réflexives rappellent
Guillaume de Baskerville. On commence par sympathiser avec la cause de Magnus avant de comprendre progressivement que l’homme est bien plus sombre qu’il n’y paraît et qu’il serait erroné d’en faire un
William Wallace avant l’heure. L’histoire est intéressante et surprenante même si son traitement est, volontairement, trop contemporain.
Le tout est passionnant et captivant. Les 480 pages se lisent à toute vitesse.
Chaque arc est illustré par un dessinateur différent, les styles sont donc très variés mais globalement agréables, chacun dans son genre.
Northlanders t1, Le livre anglo-saxon, Wood et al.
Commentaires
Il l'a fait dédicacer où ?