The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Get Up, Stand Up


De livres en livres, Daryl Gregory me fait toujours plus penser à Stephen King. Le Stephen King jeune que j’ai aimé, avant qu’il se mette à écrire des annuaires d’un kilopage. Il y a chez Gregory, le même prosaïsme des situations, le même intérêt pour les gens normaux qui cessent de l’être ou d’en côtoyer, le même côté très américain et provincial, entre petite ville tranquille, communauté, paroisse (moins de souvenirs de baseball chez Gregory néanmoins). Les deux auteurs créent une proximité (paradoxale pour nous car imprégnée de culture US) entre personnages et lecteurs qui rend d’autant plus agressive la remise en cause brutale du quotidien causée par l’arrivée de l’élément fantastique dans la vie de ces people next door.

Différence d’époque peut-être, si le fantastique est le genre dans lequel le surnaturel fait irruption dans la réalité banale du monde, le fantastique de Gregory est résolument king size. Possessions démoniaques de masse dans le confus Pandemonium, bouleversements ADN à grande échelle dans The Devil’s Alphabet, invasion zombie dans "L’éducation de Stony Mayhall".

Différence d’approche sûrement, Gregory s’adresse à des lecteurs imprégnés de pop culture, qui connaissent le genre, ne serait-ce que par le cinéma, et ne sont donc dupes ni de ses codes ni de ses ficelles. Il s’adresse donc régulièrement à eux, soit directement (et ce dès le premier paragraphe du roman), soit par le biais de références clins d’œil. La connivence qu’il installe donne parfois l’impression qu’on est en train de lire le fanfic d’un copain (il n’est pas anodin que Stony lui-même en écrive).

Différence d’angle de vue aussi. Il y a un intérêt évident de Gregory pour les monstres, ou leurs proches. C’est dans leur point de vue qu’entre Gregory. C’est leurs motivations, leurs sentiments, leurs doutes ou leurs espoirs qu’il décrit (au point que dans The Devil’s Alphabet, le héros, normal, du roman se demande si, lui-même…). Et même quand les personnages de Gregory sont humains sans doute possible, comme dans We are all completely fine, ils ont trop côtoyé l’autre côté pour pouvoir encore être tenus pour normaux.

"L’éducation de Stony Mayhall" donc. L’éducation du zombie de naissance Stony Mayhall. Comme il y a des aveugles de naissance. Trouvé dans la neige près d’une mère morte, caché par une veuve et ses filles qui l’élèvent comme un fils et un frère, Stony grandit à l’écart d’un monde traumatisé par la première éruption zombie. C’est une histoire de la différence périlleuse que raconte Gregory dans cette première partie. C’est aussi en contrepoint une histoire de tolérance, de patience, d’amour de la part de ces quatre femmes puis de leurs voisins coréens, qui, au risque de leur liberté, font du monstre l’un des leurs. Stony vit caché pour ne pas mourir, comme Anne Frank qu’il conseille à sa sœur de lire.

Mais Stony Mayhall n’est pas l’éternellement unique en son genre monstre de Frankenstein. Il finit par découvrir puis intégrer un « réseau » d’entraide. C’est une nouvelle vie qui commence alors pour lui, entouré de ses semblables, aidé par certains humains qui ne voient pas dans les zombies des monstres sanguinaires (la folie de mordre n’existe que dans les deux ou trois premiers jours) mais des êtres différents, des malades affligés d’une infirmité, qu’il est injuste de traiter comme le fait l’Etat, par l’exécution ou l’emprisonnement à vie (ce qui est le sort de sa mère pour l’avoir élevé). Stony, caché avec d’autres dans un refuge, membre d’une organisation qui organise et protège les siens, grandit en connaissance, devient un être porteur de responsabilités envers sa communauté, un animateur motivant sans cesse les plus désespérés à continuer. Finalement, arrêté après une intervention sanglante des forces spéciales, Stony passera de longues années dans la prison secrète de Deadtown. Torturé, mutilé, il sera à l’origine d’un mouvement d’espoir et de libération pour ses congénères. Mouvement qui culminera dans sa « mort » puis sa « résurrection ».

Enfin, Stony ne pourra empêcher la seconde éruption zombie, volontaire celle-là. Il parviendra néanmoins, en se sacrifiant, à sauver la ville de son enfance, Easterly.

"L’éducation de Stony Mayhall" est sans doute trop connivent pour être le chef d’œuvre qu’on dit ici ou là. Il y manque un poil de gravité. Mais c’est un très bon roman.

Très bon car le personnage de Stony crée empathie et proximité dans l’esprit du lecteur. Il le lie à lui.

Très bon aussi car si les lieux de l’action sont limités, les enjeux, eux, sont colossaux.

Très bon enfin car, consciemment ou non, Gregory a piqué dans quantité de mythes légendaires ou historiques, faisant de son roman une sorte d’idéal-type du récit d’oppression et de libération.

Difficile en effet de ne pas penser aux juifs forcés à une vie cachée pour survivre, de ne pas penser à l’underground railroad qui cachait et exfiltrait les esclaves en fuite, de ne pas penser aux débats internes d’une organisation comme l’ANC entre réconciliation et désir de vengeance.

Difficile de ne pas penser à Robben Island ou à Abou Ghraib, en arpentant avec Stony les couloirs de la prison de Deadtown où des prisonniers déshumanisés, soumis aux caprices cruels de gardiens sans humanité, sont à la merci d’autorités qui leur dénient tous droits.

Difficile, une fois posé le caractère christique du personnage de Stony (mort puis ressuscité, puis « mort » de nouveau pour protéger Easterly), de ne pas penser que, bébé trouvé qui libérera adulte (même involontairement) les siens, il ferait un Moïse très convaincant, ou que ce prisonnier politique qui sort de prison pour conduire son peuple opprimé vers la liberté rappelle furieusement Nelson Mandela.

"L’éducation de Stony Mayhall", c’est un condensé de l’oppression humaine, éclairé d’un faible espoir. C’est aussi la victoire d’un individu bon, fondamentalement bon, sur une adversité comme il est rare d’en connaître. Une victoire de la volonté sur les déterminismes, l’évidence, et la matière même.

Happy end ou pas ? Au lecteur de décider. Les évènements en tout cas, comme souvent chez Gregory, évoluent encore quand le roman se termine.

L'éducation de Stony Mayhall, Daryl Gregory

Les avis de Plume et de Nicolas Winter

Commentaires

Plume a dit…
Si je ne l'avais pas déjà lu, tu m'aurais convaincue direct' ! Si avec ta critique ça ne fait pas le buzz...
Elessar a dit…
ça me tentait plutôt bien avant de lire ton avis, mais alors là je suis convaincu, je le veux !! :D
Gromovar a dit…
Ohla, je m'aperçois que j'ai pas linké les amis. Je corrige ça tout de suite.
Acr0 a dit…
Il m'intrigue réellement :)
Gromovar a dit…
Tente le coup.
Hélène Louise a dit…
C'est marrant ton premier paragraphe, c'est presque mot pour mot ce que me répète une amie à propos de Stéphan King ! Je vais finir par me décider à en lire un autre :)

J'ai bien eu moi aussi l'impression que l'auteur, plutôt que de s'emparer de la mode zombie pour écrire un roman dans la mouvance, s'est plutôt dit que le genre avait bien des similitudes avec son mode de traitement, et que le zombie pouvait bien être le monstre d'un de ses livres.

Et je suis bien heureuse de voir que le livre t'ait tant plu, que ses charmes ne sont pas passés inaperçus. Ton avis est excellent, complet et mettant bien en valeur les atouts du roman... j'espère que les émules vont fleurir !

Nos avis ne diffèrent que sur un point : "L’éducation de Stony Mayhall" est sans doute trop connivent pour être le chef d’œuvre qu’on dit ici ou là. Il y manque un poil de gravité."
Pour moi c'est tout le contraire, l'humour est justement ce qui fait souvent un chef d'oeuvre à mes yeux. Mais c'est certainement parce que l'humour est mon arme ultime, celle qui permet de supporter l'insupportable. Et puis j'ai toujours des doutes à propos des gens trop sérieux, j'ai toujours l'impression qu'ils ratent une dimension de la vie... ^-^

Ah oui, une belle image et un gros cookie pour la conclusion, j'aime beaucoup ton analyse : " Les évènements en tout cas, comme souvent chez Gregory, évoluent encore quand le roman se termine."
Farpaitement, comme dirait Obélix !
Gromovar a dit…
Merci, je rougis ;)

En effet, Gregory raconte bien plus qu'une histoire de zombies. Il fait entrer l'histoire de zombies dans son univers personnel, qui commence à avoir une forte identité.

Si tu décides un jour de lire du King, je te conseille Christine (en roman) ou Full Dark, No Stars en recueil.

Ah, la gravité et moi. Une longue histoire... J'ai sûrement trop lu Baudelaire et Lautréamont.

Maintenant, fin de la trilogie de Vandermeer, puis sans doute retour au français avec L'évangile du bourreau.
Hélène Louise a dit…
(c'est parce qu'il fait chaud -_-)

Ok, merci, je note les références pour SK ; je suis tentée par bien des nouveautés, mais ça fait du bien de lire des vieilleries aussi !

Ciel, Lautréamont ! ^-^ J'avais lu un peu des Chants de Maldoror adolescente, j'avais trouvé ça très bizarre, avec ce sadisme étrange... o.O Avec beaucoup de force cependant, j'ai été marquée par l'ambiance. Bon, de toute évidence ça m'était passé par dessus la tête !

Pour reparler de gravité ça me fait penser à un interview d'un auteur anglais que j'aime beaucoup, Jonathan Stroud. Il écrit maintenant pour la jeunesse (la vraie ! pas de YA avec tout plein de triangles amoureux) et a connu le succès grâce au personnage charismatique de Bartiméus, un djinni très sarcastique. Bref, il expliquait avoir été un enfant et un adolescent très intense, très grave, et qu'il avait mis du temps à se mettre à l'humour.
D'ailleurs ses 3 premiers romans sont plus sombres, assez inquiétants, très particuliers.
Ça pourrait peut-être te plaire, d'ailleurs ! Ma lecture date un peu, il faudrait que je les relise (Buried Fire, The leap, The Last Siege).

Bonnes lectures, elles semblent ne pas manquer !
Gromovar a dit…
Bartimeus de Stroud. Je note.