Troisième et dernier tome des aventures épiques de Jean le Flambeur ; les mystères sont levés, les intrigues conclues, les réponses arrivent, claires et satisfaisantes. "
The Causal Angel" est le dernier tome du cycle ; il s’acquitte fort bien de sa mission conclusive, sans laisser de fils ouverts ni de questions en suspens.
Mieli, capturée à la fin du
Fractal Prince, est emmenée vers Saturne et la société zoku. Ses connaissances et sa personne même – le secret de sa nature – attisent les convoitises de toutes les parties en présence. Jean le Flambeur, échappé de justesse d’une Terre détruite, se lance à sa recherche alors que la guerre Sobornost/Zoku embrase tout le système solaire et que les vrais enjeux apparaissent enfin au grand jour.
L’épopée trouve son explication. Le prix, incommensurable, est à portée ; un seul des camps en conflit pourra en tirer avantage.
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The Causal Angel" est l’occasion pour le lecteur de pénétrer en profondeur dans la société Zoku et d'en découvrir les ressorts, dérivés de ceux des communautés rôlistes. Clans, expérience, niveaux, intrication quantique, volonté collective comme un cauchemar rousseauiste. Le Zoku et ses innombrables clans non exclusifs, auxquels on adhère par choix, oriente la course du monde matériel dans une approche simulationniste sans fin où tout est traité comme un jeu. Et même si la plupart des clans ont des objectifs modestes voire autistiques, d’autres fondent, par leurs actions, la société zoku même et tiennent lieu de pouvoir politique occulte – notamment un
Gun Club inspiré par Verne et présidé par un Barbicane steampunk, bien plus puissant et dangereux que son apparence un peu ridicule ne le laisse supposer.
C’est l’occasion aussi de comprendre enfin qui est vraiment Jean le Flambeur, quelle a été sa (longue) vie et comment il a impacté, presque par négligence, l’Histoire du monde. Est révélée aussi la nature de ses rapports avec le Sobornost, singulièrement avec la Pellegrini, celle de ses membres qui a engagé Mieli pour le délivrer de la « Prison à Dilemme » où il était enfermé au début de la trilogie. Le lecteur observera, preuves mémorielles à l’appui, à quel point Jean a progressivement changé, comment les siècles et l’expérience l’ont humanisé à son corps défendant, même s’il est toujours aussi roué, subtil, inventif.
C'est l’occasion encore, cerise sur le gâteau, de découvrir quelques personnages secondaires attachants ou drôles, jamais insipides.
Fidèle à l’approche «
Show, don’t tell » qui est la sienne depuis trois romans, Rajaniemi livre une histoire complexe et tortueuse, développée dans un monde détaillé et étonnamment réaliste si on considère la distance technique qui le sépare du nôtre. "
The Causal Angel" est sans doute le plus accessible des trois tomes, peut-être parce que le lecteur s’est fait à la langue futuriste de Rajaniemi comme on se fait à une langue étrangère. Qu’importent les néologismes
qdots,
qupts,
quplink. Qu’importent les non néologiques branes, brachistochrones, NP-complete. Le rythme est régulier, le son est limpide, le chant créateur.
Matière et information sont liées au point qu’on finit par cesser de se demander dans quelle phase d’existence physique sont les personnages ; ils sont simplement, à chaque moment du récit, dans l’état le plus approprié à ce qu’ils ont à accomplir. Rajaniemi est parvenu en 900 pages à reconfigurer l’esprit du lecteur au point qu’il ne se soucie plus de choses aussi triviales que la matérialité physique des personnages. Débarrassé enfin de cette préoccupation très humaine, il comprend l’histoire – le fond comme les détails, il comprend les enjeux, il comprend les relations entre les personnages, il comprend même l’essentiel (je l’espère) de la mécanique scientifique du monde dans lequel Rajaniemi l'invite à entrer.
La trilogie de Jean le Flambeur, pour peu qu’on accepte de ne pas tout comprendre dès la page 1 du tome 1, est une belle réussite. Elle emmène le lecteur si loin qu’il ne sait pas s’il s'est déjà trouvé aussi éloigné de son point de départ – peut-être chez Egan. Elle le fait sans jamais l’abandonner, sans jamais le perdre, sans lui mentir sur l’existence du panorama qui clôt le voyage. L’histoire s’éclaire peu à peu sous les yeux du lecteur, les pièces du puzzle se rassemblent et forment image. Puis l’histoire se clôt, vraiment, car à tout début doit correspondre une fin, ce qu’oublient trop d’auteurs de SF. Que demander de plus à une histoire ?
The Causal Angel, Hannu Rajaniemi
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Commentaires
La Hard-SF, bien ou mal traduite peu importe, en temps de bit-lit hégémonique...
Merci de chroniquer des livres de SF récents et en VO.
Et content de rencontrer quelqu'un qui lit de la SF récente en VO. L'espèce est rare.