The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Come with me !


Les lecteurs assidus de ce blog savent que je n’ai guère de goût pour la comédie. Ils savent peut-être aussi que l’allégorie, en tant que forme obèse de la métaphore filée, m’est difficilement supportable. Drôle et allégorique, le comic "Sex Criminals" avait à priori tout pour me déplaire. C’est dire les qualités qu’il possède pour avoir réussi à vaincre mes préventions.

"Sex Criminals", c’est l’histoire de deux amants, Suzie et Jon, qui volent l’argent des banques pour sauver une bibliothèque menacée de fermeture - à cette idée-là, je peux adhérer - mais c’est surtout bien plus que ça. Le mot Sex est ici associé au mot Criminals car le mode opératoire des voleurs est très particulier. Chacun d’eux arrête involontairement le temps autour de lui, pour quelques minutes, lorsqu’il a un orgasme. Ce qui facilite bien la tâche d’apprentis cambrioleurs, au prix de quelques acrobaties sur site.

Dit comme ça, on pouvait craindre que le comic soit un érotique/porno sans grand intérêt ou une pochade lorgnant grassement vers une gauloise gaudriole. C’est tout le contraire.

Construit efficacement par alternances de flashbacks et de narration au présent, le récit décrit avec détails, justesse, et grande finesse, l’éveil à la sexualité des deux protagonistes et la découverte, d’abord inquiétante, de leur étrange pouvoir, avant de développer l'usage contestable (quoique...d'un point de vue moral) qu'ils vont en faire.

Avec une vraie drôlerie et l’élégance de la délicatesse, l’auteur montre les angoisses liées à l’éveil de la sexualité féminine, les interrogations, les questions sans réponse, l’alternative binaire proposée par la société entre la maman et la putain. Il pointe le caractère toxique que peut avoir l’entourage dans cette phase de déséquilibre. Il passe en revue toutes les raisons (des meilleures aux moins bonnes) qui font qu’on se retrouve dans un lit avec quelqu’un. Le tout sans le moindre misérabilisme, ce qui est méritoire.

Côté sexualité masculine, le tableau est très diffèrent mais rigoureux aussi. Le lecteur se voit raconté la frustration frénétique des adolescents, la fascination pour ce que le porno montre de ce qui est caché (y compris dans ses versions les plus abracadabrantesques), les premiers émois plus souvent sexuels que romantiques, la fantasmatique foisonnante, parfois jusqu'au grotesque.

Dans les deux cas, le comic conclut des années de fantasme plus ou moins assouvis par une première fois bien peu satisfaisante. Contrairement à la prose, la sexualité c’est un peu comme le vélo, ça s’apprend.

Puis, pour Susie et Jon, chacun de leur côté et en dépit d’une vie adulte normale, l'expérience quotidienne de la frustration et de la solitude qu'entraine leur singularité. Pas facile de voir s’immobiliser tous ses partenaires sexuels – et le monde autour - dès l’orgasme atteint. Jusqu’à ce que…Suzie rencontre Jon. Superbe allégorie de l’entente sexuelle, de la force et donc du pouvoir qu’elle donne. On peut y lire aussi le ravissement que ressent le « mutant » à découvrir qu’il n’est pas seul (il y a du Morwenna en Susie), qu’il y en a d’autres comme lui avec qui partager, échanger, vivre.
Ca pourrait être mièvre. Ca ne l’est jamais car c’est décrit d’une manière à la fois sensible et fine, sans orgie de pathos, et, surtout, car le tout débouche, passé le temps d’apprentissage - d’étalonnage même - sur le projet délirant d’arrêter le temps en faisant l’amour dans des banques pour pouvoir les vider.

L’histoire, passée comme en train de se faire, est raconté en off par la Suzie d’aujourd’hui qui s’adresse régulièrement au lecteur, faisant montre d’une honnêteté, d’un recul analytique, et d’un humour pince sans rire qui lui attirent la sympathie du lecteur. Jon prend aussi la parole pour se raconter, mais lui, c’est à Suzie qu’il s’adresse.

Joliment dessiné, rempli de détails graphiques ironiques (notamment les publicités, dans le sex-shop ou la banque, les flyers, bien d'autres encore), explicite sans la moindre vulgarité, "Sex Criminals" est un comic dont la sexualité est le centre et le moteur narratif. Il l’aborde sans aucun détour ni euphémisme, full frontal pourrait-on dire, d’une manière qui semble parfaitement naturelle. Et parvient à lier éveil de la sexualité, difficultés à trouver le « bon » partenaire, épanouissement sexuel , à un récit surréaliste à la Bonnie and Clyde sans que ça paraisse incongru ni artificiel. "Sex Criminals" combine, pour le meilleur, l’excitation d’une action captivante et la douceur d’une histoire juste et délicatement racontée.

Après celle de Tony Chu, le policier cibopathe de Chew, Image Comics offre encore une fois à ses lecteurs une histoire délirante qui sait aller aussi loin que possible sans passer la ligne jaune qui signe l’entrée dans le ridicule. Du bien beau travail éditorial que je conseille vivement à tous les amateurs de VO qui apprécient les histoires barrées mais efficaces.

Sex criminals t1, One weird trick, Fraction, Zdarsky

Commentaires

Elessar a dit…
Moi qui ne suis habituellement pas du tout emballé par le boulot de Fraction, tu as réussi à me donner envie d'au moins y jeter un oeil :)
Gromovar a dit…
Je crois vraiment que ça vaut la peine. Et quand je vois que sur un thème proche, tout ce que des Francophones (Ruppert et Mulot) arrivent à produire c'est une merde bobo conceptuelle (La technique du périnée), je me dis que décidément, ma culture est anglo.
Elessar a dit…
Ha oui je viens de lire le résumé, à coté c'est sur que ça n'a pas l'air folichon ^^