Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

Interview Greg Egan : Le moulin à idées


Greg Egan est un auteur australien de SF, catalogué Hard-SF. Certains de ses romans ont été publiés en français, notamment Isolation ou La cité des permutants. Ses nouvelles sont rassemblées dans les recueils Axiomatique, Océanique, ou Radieux. On pourra lire aussi L'énigme de l'univers, Diaspora, Zendegi, et, bien évidemment la trilogie Orthogonal : The clockwork rocket, The eternal flame, The arrows of time.

Son œuvre illustre de manière brillante des concepts poussés au bout de leur logique. C'est de la littérature d'idées qui devient, de plus en plus, une littérature de personnages aussi.
Inutile de dire que je suis un fan absolu d'Egan.

Très discret, Egan ne fournit pas de photo de lui, il précise même sur son site personnel que d'éventuelles photos de Greg Egan trouvées sur Internet ne le représenteraient pas, lui. Voila pourquoi la photo d'illustration habituelle est remplacée par une photo de l'univers prise par le satellite Planck.

Il me fait l'immense honneur de répondre à mes questions au sujet de la trilogie Orthogonal. Il en profite pour parler de science, de curiosité, d'envie de savoir et de désir d'apprendre. Il donne, une fois encore, à penser.

Bonjour Greg. Je suis très heureux de discuter avec toi ; tes romans sont une source de réflexion pour moi depuis des années, je crois que je n’oublierai jamais la naissance la naissance de l’IA au début de Diaspora.

Je viens juste de terminer la trilogie Orthogonal et je suis encore époustouflé par le voyage. Peux-tu résumer l’histoire en quelques mots pour les lecteurs de l’entretien ?

Dans un univers régi par des lois physiques différentes des nôtres, une civilisation est menacée par une catastrophe qui pourrait détruire la planète entière. Les habitants de ce monde ne disposent pas de la technologie qui leur permettraient de se protéger, mais ils parviennent à lancer un vaisseau spatial pour un voyage long de plusieurs générations, donnant aux voyageurs le temps de trouver peut-être une solution au problème – et de revenir seulement quatre ans après leur départ.

Orthogonal est bourré d’idées. Commençons par le commencement, comment et pourquoi as-tu décidé de le situer dans un univers riemannien ? Peux-tu décrire cet univers en quelques phrases simples ?

 Pour décrire un univers riemannien, je dois d’abord préciser quelques points concernant le nôtre. Si on marche 3 km vers l’est puis 4 km vers le nord, on peut utiliser le théorème de Pythagore pour déduire qu’on termine à 5 km de son point de départ : 5 au carré = 3 au carré plus 4 au carré. Cette formule peut être étendue aux trois dimensions aussi : un container par exemple, mesurant 3 mètres par 12 par 4 a une distance de 13 mètres entre ses coins les plus éloignés, car 13 au carré = 3 au carré + 12 au carré + 4 au carré.

Qu’arrive-t-il alors si nous ajoutons la quatrième dimension, le temps ?
Si je démarre de la Terre en 2100 et voyage en ligne droite à travers l’espace-temps (c’est à dire à vitesse constante) pour finir sur Alpha du Centaure, à 4 années-lumière, en 2105, quelle a été la durée de mon voyage ? Le théorème de Pythagore semble dire que l’hypoténuse esapce-temps au carré devait être de 41, c’est à dire 4 au carré + 5 au carré, c’est à dire que le voyage a duré 6,4 années, alors qu’il ne s’est écoulé que 5 années sur Terre. Or, chaque lecteur de SF sait bien que la dilatation du temps rend le voyage plus court pour les voyageurs, pas plus long. En fait, le temps véritable du voyage peut être obtenu en prenant le théorème de Pythagore mais en remplaçant chaque temps carré par son négatif :

1.   – (temps du voyageur au carré) = distance au carré – ( temps d’origine au carré).
2.   – (temps du voyageur au carré) = 4 au carré – ( 5 au carré) = - 9
3.    d’où temps pour le voyageur = 3 ans

Dans un univers riemannien il y a aussi quatre dimensions, mais elle sont toutes fondamentalement identiques. Cela signifie qu’il n’y a pas besoin de signe « moins » quand le temps entre en jeu : le théorème de Pythagore marche dans le quatre dimensions sans aucun changement de formule. Alors, un voyage à travers l’espace sera plus long pour les voyageurs que pour les gens qu’ils laissent derrière eux.

J’ai choisi d’écrire une trilogie dans un tel univers parce que c’est le changement à la fois le plus simple et le plus radical qu’on puisse appliquer aux lois de la physique. Changer la géométrie de l’espace-temps pour qu’il fonctionne comme un espace à quatre dimensions affecte absolument tout : la nature de la lumière, les relations entre mouvement et énergie, l’attraction et la répulsion des charges électriques, les types possibles de matière… jusqu’à la chimie et la biologie. Un univers entier, consistant, résulte donc de ce changement, siège de nouveaux phénomènes qui se déduisent du changement initial.

Comme si cet univers stupéfiant n’était pas suffisant, tes personnages sont d’une espèce, métamorphique entre autres, dont la biologie est très particulière. D’où vient l’idée de cette espèce ?

La plupart des organismes de notre planète sont des microbes qui se reproduisent par fission. Alors que la vie multicellulaire sur Terre a trouvé des moyens de survivre à la reproduction, il m’a semblé qu’une espèce consciente dans laquelle la création de descendants provoque la mort illustrerait bien la fausseté de l'idée naturaliste selon laquelle l’ordre naturel créé par la biologie serait « moralement bon ». Pour nous humains, la perspective de voir chaque mère mourir en donnant la vie est terrifiante. Pour ces aliens, c’est l’ordre naturel des choses, et ils ne connaissent aucun moyen de le changer – même s’ils ne pensent certainement pas tous que c’est « moralement bon ».

Physique alternative, biologie alternative, descriptions très réalistes de travaux de recherche, n’as-tu pas craint que les lecteurs trouvent la trilogie trop ardue ?

Il y a toujours quelqu’un qui ne comprend pas immédiatement ce que vous écrivez. Quand, enfant, je lisais de la SF, il y avait beaucoup de choses que je ne comprenais pas, mais ça m’a encouragé à apprendre plus. Les lecteurs réellement curieux qui ne comprendraient pas la physique d’Orthogonal réaliseront qu’il y a des choses qu’ils doivent apprendre s’ils veulent comprendre leur propre univers. Les seuls qui ne gagneront rien à l’expérience sont ceux qui ont décidé de laisser leur cerveau s’ossifier et se sont jurés d’aller à leur tombe en ne sachant pas plus sur le monde que ce qu’ils savaient déjà à l’âge de douze ans.

Pourquoi as-tu décidé d’embrouiller autant les questions de reproduction et de genre ? Y a-t-il une leçon pour notre monde à tirer de ces aspects ?

Je pense qu’il est utile d’imaginer ce que seraient les relations sociales et politiques de sexe si les rôles reproductifs imposés par la biologie étaient radicalement différents. Il n’y a pas de « leçon pour notre monde »  - la mort des femmes par fission n’est pas une sorte de métaphore lourde applicable aux femmes humaines. C’est une biologie différente et une histoire différente ; il y a quelques parallèles avec les nôtres, mais beaucoup d’aspects n’ont pas d’équivalents humains, et c’est intéressant en soi. Le vrai pouvoir de la SF vient de ce qu’elle n’a pas à parler tout le temps de nous.

Peux-tu décrire Yalda, la belle personne, l’héroïne initiale qui met l’histoire en mouvement ?

Dans le monde du roman, la plupart des femmes donnent naissance en se divisant en quatre enfants : deux males, deux femelles. Les membres de cheque paire male/femelle sont connus comme étant des « co’s », et quand la femelle deviendra adulte et connaîtra elle-même la fission, son mâle s’occupera de ses enfants. Mais Yalda est une solo, née sans « co ». Cela présente quelques avantages car elle ne subit par la pression sociale à la reproduction précoce, mais elle est aussi soumise à une discrimination.

Yalda commence sa vie dans une petite ferme, mais son père l’envoie à l’école, où elle brille intellectuellement. Elle finit par devenir scientifique et conduit de modestes expériences d’optique qui conduisent à une révolution en physique.

Dans le monde de Yalda, il y a des sagas mais pas de véritable religion. Comment une société décentralisée comme celle de Yalda peut-elle être cohésive en l’absence de religion commune ?

Par la migration. Il n’y a pas d’océan sur ce monde – de fait, il n’y pas de liquide stable du tout dans cet univers – et, pour des raisons biologiques, certains membres de chaque famille migrent loin de l’habitat de leurs ancêtres. Pour parler simplement, on peut dire que ça se passe pour des raisons de « diversité génétique », bien que la biologie réelle mette en œuvre des choses plus étranges que des gênes.

Alors, les gens parlent à peu près partout la même langue, et, bien qu’existe une certaine dose de bigoterie parochiale, il n’y a rien qui approche la notion humaine de « races ». Bien sûr, cette culture n’est pas homogène –Yalda et Eusebio reçoivent des réactions variées à leur proposition de voyage (à bord du Peerless) suivant les cités visitées – mais suffisamment de mixité est assurée par les gens qui se déplacent de lieu en lieu pour que la culture soit bien plus cosmopolite que ne l’était celle de la Terre au même stade de développement.

Le peuple de Yalda est-il, dans ton esprit, et pour ce qui concerne science et société, similaire à celui de Roi, le peuple agraire et insectoïde d’ « Incandescence » ?

Les aliens d’ « Incandescence » ont été conçus génétiquement pour être majoritairement dociles et non curieux, ce qui leur permet de survivre dans un environnement très contraint sans s’y ennuyer. Seuls quelques-uns d’entre eux agissent comme des « sentinelles » au cas où il serait nécessaire de réagir rapidement à un changement imprévu. La culture dans « Orthogonal » est bien plus intellectuelle, mais, si elle a atteint un point où elle peut comprendre le péril qui la menace, elle n’a pas encore les moyens de le prendre en charge.

Le feeling du premier roman est résolument mécanique (il s’agit bien en effet d’une « fusée mécanique »), très Verne-like. Jules Verne a-t-il été une source d’inspiration ?

Ca fait plus de quarante ans que j’ai lu Jules Verne, aussi je ne peux pas te dire s’il y a beaucoup de points communs entre le Peerless et ses fusées. Ce qui est certain c’est que les différences dans les lois physiques de l’univers et dans la biologie des voyageurs conduisent à des problèmes très différents de ceux que Verne avait à adresser.

As-tu décidé consciemment, comme un challenge, d’inventer un voyage dans l’espace profond à l’aide d’une fusée mécanique, the Peerless, sans ordinateur ni électricité ? Penses-tu qu’une chose ressemblant au Peerless pourrait fonctionner dans notre univers ?

Pour de nombreuses raisons, un Peerless serait complètement impossible pour nous. Qu’une montagne entière puisse rester intacte dans de telles conditions de stress dépend de propriétés matérielles et de détails géologiques qui ne font sens que dans l’univers d’Orthogonal, et l’idée qu’une montagne puisse atteindre des vitesses relativistes en brûlant quoi que ce soit y serait absurde.

Ceci dit, je suspecte que des systèmes purement mécaniques pourraient stabiliser une fusée ordinaire pendant le lancement et se charger de la plupart des tâches de navigation sans nécessiter d’électronique ni d’ordinateur.

Quel genre de motivation faut-il pour quitter son monde natal, sans espoir de retour, dans le but de le sauver – comme le font Yalda et ses partenaires ?

Chacun a ses propres raisons. Mais, comme le remarque Yalda lorsqu’elle tente de recruter pour la mission, chacun d’eux doit croire que sa propre contribution peut faire pencher la balance – que s’il joue personnel et reste en arrière, la planète risque d’être détruite.

Dans « The eternal flame », le second roman, seules les femmes paient le prix de la maitrise démographique. Est-ce une allégorie sur la situation des femmes dans notre monde ?

Non. Comme je l’ai déjà dit, il y a des parallèles et des différences dans la politique et la biologie des genres entre notre monde et le leur, mais ceux-ci résultent des situations concrètes du roman. Suppose que quelqu’un écrive un roman historique sur la dynastie Ming. Préfèrerais-tu une version dans laquelle ce sujet est exploré honnêtement, dans ses propres termes, ou la version Disney dans laquelle tout doit être une parabole sur la vie des teenagers middle class américains de 21ème siècle ? La SF se gâche quand elle est utilisée comme un théâtre de marionnettes et ne propose que des versions légèrement camouflées de nos propres problèmes. La meilleure SF n’est pas parochiale : elle prend ses prémisses au sérieux, et en déduit ce qui s’ensuit, que cela ait ou pas des aspects communs avec l’humanité contemporaine.

Dans l’exemple que tu mentionnes, les femmes s’affament pour maitriser la démographie car, se reproduisant par fission, il fait sens de penser que leur poids corporel est le facteur déterminant du nombre d’enfants qu’elle vont produire. En fait ce n’est pas le seul, et les biologistes mâles qui n’ont pas cherché plus loin ont sans doute souffert d’une cécité bien pratique sur le sujet. Mais tout ceci découle de l’historie et de la biologie de ces aliens. Ce n’est pas un message codé pour notre société.

La possibilité de contrôler la reproduction amène de violents troubles dans le Peerless, certains hommes n’acceptant pas la nouvelle situation créée. Est-ce toujours une conséquence de la prise en charge de leur reproduction par les femmes ?

La découverte qui cause le trouble dans le Peerles ne promet pas seulement un contrôle effectif des naissances, elle soulève aussi la possibilité d’éradiquer complètement l’un des sexes. Rien dans notre histoire ne peut se comparer à ça : la pilule peut avoir ennuyé l’Eglise Catholique, mais elle ne rend pas les hommes obsolètes.

Le contrôle de la reproduction a permis l’émergence d’une sexualité pour elle-même sur le Peerless. Dans « Why is sex fun ? », Jared Diamond écrit que le plaisir sexuel est LA condition de la reproduction humaine. Dans le monde de Yalda, ce n’est pas le cas. Que penses-tu de l’affirmation de Diamond ?

Je n’ai pas lu le livre de Diamond, alors il m’est difficile de me prononcer. Les aliens d’ « Orthogonal » trouvent la reproduction agréable – même pour les femmes dont ça termine la vie – mais pour la plus grande partie de leur histoire ce n’est pas un plaisir aussi simple que ça peut l’être pour les humains.

Parlant de plaisir, pas de gastronomie dans le monde de Yalda ?

Yalda et Eusebio participent à un banquet énorme et varié à la table d’un homme d’affaires des Red Towers. Mais la plupart des gens ne sont pas aussi riches, et ils doivent se contenter de quelques épices et noix pour varier les plaisirs.

A la toute fin du troisième roman, les problèmes de genre et de parenté sont résolus de manière élégante. Crois-tu que, dans quelques temps, l’humanité surmontera les différences de genre et connaitra l’égalité des sexes ?

Des gens écrivent des livres entiers pour répondre à cette question.

Comment a-t-il été possible pour les générations médianes, nées et destinées à mourir à bord d’un (grand) canot de sauvetage, d’éviter le désespoir et de continuer à avancer ? D’où tirent-ils leur fortitude ?

De nouveau, il faudrait un livre entier pour répondre, et les différents personnages ont différentes philosophies. Agata, dans « The arrows of time », a une conscience élevée de sa mission et une forte connexion avec les ancêtres, mais d’autres sont plus pragmatiques et tentent de tirer le meilleur de la situation dans laquelle ils se trouvent.

La capacité de « prévoir » le futur fut presque fatale au Peerless, déchiré entre ceux qui acceptent et ceux qui refusent cette technologie, le débat étant : « avons-nous encore un libre arbitre si nous connaissons le futur ? ». Quelle est ta position sur ce sujet ?

Je pense que l’un des aspects du libre arbitre – le fait que nos actions sont corrélées à nos souhaits – peut survivre à la connaissance du futur. Ce que nous apprenons du futur doit être cohérent avec notre nature, ça ne peut pas nous forcer à faire un choix qui irait contre nos propres désirs. Mais je pense qu’il serait insupportable pour des humains, de fait pour toute créature qui a évolué en ne connaissant que le passé, de se trouver dans une situation où l’issue de chaque choix serait connue à l’avance. Un des personnages du roman décrit la situation comme un « aplatissement » : nous finirions par faire des choses logiquement acceptables, peut-être au prix d’autres choses plus compliquées ou intéressantes.

Déterminisme, chance, libre arbitre, nous marchons à l’intérieur de ces balises. Einstein a dit que Dieu ne jouait pas aux dés avec le monde, tu sembles dire, dans Isolation ou Arrows of Time, que nous pouvons truquer le dé. Le penses-tu vraiment ? Et comment y parvenir ?

Dans Isolation, il y a un moyen de manipuler les probabilités quantiques. Je ne la crois pas du tout réaliste, c’est juste une prémisse amusante pour le roman. Dans « The Arrows of Time » la mécanique quantique n’est peut-être pas complètement probabiliste, car certains arguments contre le déterminisme en mécanique quantique reposent sur le postulat que les signaux ne peuvent voyager vers le passé – or ils peuvent le faire dans l’univers d’ « Orthogonal ». Mais même si notre univers se révélait déterministe jusqu’à son niveau le plus micro, je ne suis pas sûr que ça aurait des conséquences pratiques, un avantage quelconque à en tirer à travers une technologie. Ca serait certainement intéressant, en revanche, d’avoir trouvé une réponse définitive à cette question.

Dans la trilogie, le gouvernement du Peerless devient de plus en plus institutionnalisé. La quasi anarchie initiale (ou, au moins, la démocratie directe) ne pouvait-elle pas survivre à long terme ? La « loi d’airain de l’oligarchie » finit-elle toujours pas s’appliquer ?

Chaque situation est différente, et je ne crois pas à des lois universelles de la politique. Mais bien que les gouvernants du Peerless aient utilisé la surveillance et l’emprisonnement pour contrôler la dissension et affermir leur pouvoir, leur oligarchie non plus n’a pas survécu.

Les scientifiques du Peerless doivent convaincre les dirigeants qu’il est raisonnable d’utiliser des ressources de valeur  pour mener à bien leur recherche. A notre époque de ralentissement économique, as-tu le sentiment que le politique est plus difficile à convaincre de l’utilité de la recherche scientifique ?

Je ne suis pas impliqué dans ce processus moi-même, je ne peux donc pas le commenter.

Ta trilogie est un magnifique hommage à la recherche scientifique. Tu es un scientifique toi-même. Les étudiants en science sont chaque année moins nombreux en France. Comment décrirais-tu le travail d’un scientifique à des jeunes gens se demandant si ça pourrait être leur carrière ? Comment les motiver en ce sens ?

Je ne suis pas un scientifique. J’ai une licence de mathématiques, j’ai collaboré sur quelques problèmes de physique théorique avec des universitaires, mais ce n’est pas comme ça que je gagne ma vie, il m’est donc difficile d’offrir des conseils sur la science comme carrière.

Mais, quiconque éprouve une sincère curiosité pour le monde voudra sans cesse apprendre plus à son propos, et pour certains ça signifiera apprendre des choses que personne ne savait auparavant. Je pense que le meilleur moyen de motiver des gens à entamer ce voyage est de leur exposer simplement un peu de la richesse et de la complexité de ce qu’il y a encore à découvrir – leur montrer un peu de cette grande et belle cité de connaissance, de sorte que s’ils ne peuvent pas immédiatement la cartographier, et encore moins y construire quelque chose de neuf, ils sachent au moins qu’elle est là, et qu’elle les attend.

Je te remercie beaucoup d'avoir pris le temps de répondre, et attends avec impatience ton prochain roman, le plus tôt sera le mieux.

Merci, ce fut un plaisir.

Commentaires

Escrocgriffe a dit…
C'était absolument passionnant... Un immense merci à tous les deux !
Gromovar a dit…
Merci, et de rien :)

Le plaisir était pour moi.
Lorhkan a dit…
Je garde ça sous le coude pour le lire à tête reposée, parce que là... pfiouuuu !

Bravo et merci pour cet article en tout cas !
Bidibulle a dit…
Je suis jaloux... Mais c'est une excellente interview!
Anonyme a dit…
Merci mille fois pour cette interview et pour les trois chroniques sur Orthogonal.
Maintenant il me faut VRAIMENT une traduction du Belial pour ces romans...sinon je retiens ma respiration !
Gromovar a dit…
Je crois qu'il ne faudra plus attendre trop longtemps.
Anonyme a dit…
Ah tu as des infos secrètes ?
Gromovar a dit…
Non, mais le projet existe.
YR a dit…
Joli titre de billet, sur ce qui est une vraie force de la SF en effet (et la sienne en particulier). Qu'il puisse y avoir encore beaucoup à moudre...
Espase a dit…
Interview d'autant plus passionnante qu'Egan s'apparente à un Kubrick ou un Pynchon par la rareté de ses interventions publiques !

Egan semble avoir les qualités et les défauts de ses oeuvres : culture scientifique de haut vol, grande honnêteté intellectuelle et terminologique, mais aussi une certaine sécheresse autistique et un mépris visible pour les individus ne partageant pas sa passion des questions scientifiques (voir notamment le passage sur "ceux qui ont décidé de laisser leur cerveau s’ossifier" !).

Reste qu'Egan est sans doute l'auteur de science-fiction le plus stimulant intellectuellement et, contrairement à certaines caricatures, aussi un véritable écrivain soignant l'aspect narratif de ses écrits.

Félicitation aussi à l'interviewer, les questions étaient bien choisies.
Gromovar a dit…
Merci pour lui, et merci pour moi. Et je suis assez d'accord avec ton impression.
Unknown a dit…
Je suis en plein dans la trilogie Orthogonal après avoir enchaîné Diaspora, Schild's Ladder et Incandescence. Je trouve que plus on avance dans l'oeuvre d'Egan et moins les personnages se réduisent à des noms. C'est particulièrement flagrant dans une nouvelle récente (Uncanny Vallet). Egan se bonifie aussi beaucoup en mettant assez régulièrement depuis Diaspora ses personnages dans des situations où leur survie est conditionnée par leur recherche, et où la recherche devient ce biais par lequel le lecteur découvre progressivement avec les personnages un univers. A ce titre, A Clockwork Rocket fait mieux qu'Incandescence : beaucoup plus de background sur la société et les croyances des protagonistes. Bref, de plus en plus enchanté par cet auteur exigeant et sobre !
Gromovar a dit…
Tout à fait d'accord.
Egan est impressionnant et il se bonifie.
C'est vrai encore plus dans la récente novella Phoresis.
The Nearest en revanche est un peu trop grand public pour être convaincante.
Unknown a dit…
The Nearest pourrait être sympathique, mais quiconque a déjà entendu parler des syndromes de Fregoli et Capgras se doute déjà du dénouement arrivé au quart de la nouvelle, ce qui gâche un peu le plaisir et laisse un sentiment de dénûment... Phoresis ne m'a pas épaté plus que ça, on est toujours dans l'optique "comprendre la physique de l'univers pour s'en sortir", mais la novella ne laisse pas suffisamment de place au développement de l'univers, contrairement à Incandescence et surtout Orthogonal. Néanmoins, ça s'adapterait très très bien au cinéma (rien que pour la tour-Yggdrasil et les trois générations qui pourraient donner lieu à un très beau montage).

Néanmoins, sur les nouvelles récentes, gros coup de coeur pour Uncanny Valley et The Discrete Charm of the Turing Machine, où Egan se renouvelle et se révèle d'une très grande pertinence. Je n'ai pas encore lu 3-adica, faut que j'investisse dans le Asimov's Science Fiction de septembre-octobre 2018 et finisse The Arrows of Time ;-)
Gromovar a dit…
Les deux nouvelles sont très sympas, oui. Pas encore eu le temps de m'intéresser à 3-adica non plus.
Erwannn a dit…
3-adica est la 2e partie d'une trilogie de novellas/novelettes, introduite par Bit Players — une femme se réveille dans une caverne, se découvre amnésique et comprend qu'il y a un truc qui ne va pas du côté de la réalité dans laquelle elle évolue. Difficile d'en dire plus sans spoiler.
3-adica poursuit l'aventure, avec une excursion finale et déroutante dans un monde basé sur les nombres p-adiques. Instantiation (in Asimov's de mars/avril 2019 conclut l'arc narratif.
(The Discrete Charm of the Turing Machine est très bien, on est d'accord.)
Anonyme a dit…
Philip K. Dick à propos d'un psychiatre qui avait jadis balayé d'un revers de main ses doutes métaphysiques d'enfant à problèmes : "I mean his brain was dead as far as I could determine. Somewhere along his life-track, his brain had ossified". Les grands esprits se rencontrent.