Li Kunwu est un auteur chinois de bande dessinée connu pour ses nombreux ouvrages qui peignent une fresque de la Chine vue à travers son histoire et ses traditions. On lui doit aujourd’hui "
La voie ferrée au-dessus des nuages" qui raconte, mais pas uniquement, la construction du
Chemin de Fer du Yunnan, voie spectaculaire qui serpente sur 855 kilomètres entre Hai Phong au Vietnam et Kunming dans la province chinoise du Yunnan, en traversant les montagnes.
Ouvrage titanesque culminant à 2000 m d’altitude et comprenant des dénivelés prodigieux (jusqu’à 1200 m en 44 km), elle abrite plusieurs centaines d’ouvrages d’art, certains titanesques, dont le plus célèbre est sûrement le
Pont des Arbalétriers.
60000 ouvriers travaillèrent sur ce chantier. 12000 y trouvèrent la mort. Par moments, on utilisa même des forçats. Dans un climat éprouvant, au milieu des bêtes sauvages et des bandits de toutes sortes, des éboulements et des glissements de terrain, les matériels, construits à l’étranger, grimpaient péniblement, à dos de petits chevaux chinois et parfois d’hommes, le long des pentes vers les endroits où ils devaient être utilisés. Là,
les ingénieurs centraliens français déployaient des trésors d’ingéniosité pour les employer dans l’un des environnements les plus difficiles qu’on puisse imaginer.
Partant d’une interrogation sur un mystérieux « cimetière des étrangers » découvert au hasard d’un ballade dans la ville de Kunming, et alors que la voie qui y aboutit, trop archaïque, se meurt, Li mène une enquête qui le conduit à découvrir l’histoire de l’ouvrage et des hommes qui la construisirent, parfois au prix de leur vie.
On y voit la mise à jour par Li d’une collection de photographies prises à l’époque par Georges Auguste Marbotte, comptable et photographe amateur, qui réalisa le plus grand reportage existant sur le chantier et le transmis à ses descendants, jusqu’à son petit-fils Pierre Marbotte qui en fera un livre,
Un chemin de fer au Yunnan.
On y voit la rudesse des travaux, la dureté parfois impitoyable exercée à l’encontre des ouvriers chinois, le plus souvent par leur contremaitres asiatiques.
On y voit, au travers de ses lettres, l’amour véritable que Marbotte éprouve pour la Chine, pour ses paysages, sa cuisine, sa culture, ses habitants, le plaisir qu’il ressent à se trouver sur les terres chinoises, au point d’y faire venir sa famille en dépit des préventions très « coloniales » de sa femme.
On y voit donc l’ambigüité d’une aventure qu’on pourrait par facilité qualifier de coloniale, en oubliant qu’elle fut menée sur le terrain par des hommes qui aimaient la Chine ou goutaient le défi que le chantier présentait, loin de toute considération politique ou stratégique.
Pour ce qui est de temps présent, on voit une Chine qui s’est ouverte, qui n’a plus la singularité qui était la sienne, une Chine de magasins, de restaurants, de salons de coiffure, d’interprètes multilingues, qui répond à la Chine pré industrielle du début du XXème siècle.
On y voit aussi comment, dans une Chine en croissance rapide, le passé est largement oublié, disparu des mémoires et enfoui sous les nouvelles constructions de béton, en dépit des efforts de quelques-uns pour faire classer ou, au moins, entretenir la ligne. Le passé, fondement essentiel de la culture chinoise, se meurt en Chine sous les assauts d’une modernité frénétique et mondialisée. L’une des scènes du livre se passe dans un KFC. Est-il nécessaire d'en dire plus ?
Doté d’un dessin plutôt fruste, sauf lorsque sont reproduites les photographies d’époque, l’album est très émouvant pour qui aime l’Histoire. Au prix d’un travail de recherche qu’on sent très important, c’est d’Histoire et de Mémoire dont nous parle Li, des efforts d’un chinois pour que ne tombe pas dans l’oubli le souvenir d’une réalisation prométhéenne et des souffrances qui la payèrent, chinois aidé à travers le temps dans sa « mission » par un français qui assista, par amour, à l’accouchement de l’une des lignes de chemin de fer les plus incroyables du monde.
Li Kunwu, La voie ferrée au-dessus des nuages
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