The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Pourrissement

"Je suis la reine" est un recueil de nouvelles fantastique d’Anna Starobinets, récemment traduit en français et précédé d’une belle réputation.
Fantastique n’est d’ailleurs pas le mot juste. C’est de Weird dont il est question ici. Et c’est de très bon Weird dont il s’agit. C’est donc étrange, dérangeant, déstabilisant pour le lecteur, tant ce à quoi il assiste, mais aussi et surtout le cadre de l’interaction, est en décalage avec la normalité. Et on se souviendra que, comme l’affirmait Lovecraft par exemple, c’est moins dans l’action que dans l’ambiance que se niche le Weird.

Guidée par Starobinets, le lecteur plongera au cœur de familles dysfonctionnelles, au cœur même de personnes dysfonctionnelles. Si, dans les familles que décrit l’auteur, les relations sont viciées, c’est d’abord parce que ceux qui les entretiennent sont viciés eux-mêmes. Mentalement, physiquement même parfois.
Comble du bizarre, l’anormalité substantielle des protagonistes des récits de Starobinets se voit à l’œil nu. Elle est sur les corps, obèses, disgracieux, monstrueux, et déborde, suinte de leur corps dans les maisons, décrépies, ou les décors naturels, sauvages et effrayants.
Le monde de l’auteur est glauque, morne, sinistre. S’y agitent des acteurs bien peu ragoutants ; leurs corps sont laids, leurs esprits malades, et leur chair est triste.

Dans un univers qui évoque autant le Kafka de la Métamorphose que le David Lynch d’Eraserhead ou le Friedkin de Bug, Starobinets (pourquoi un nom aussi long à taper ?) raconte la folie, l’enfermement, la schizophrénie, l’horreur d’une banalité crasse que souille une pollution intime, mais aussi la douleur de la séparation ou l’inéluctabilité de l’échec personnel.

Les règles entraine le lecteur à la suite d’un enfant atteint de TOCs. La folie guette, avant une apparente rémission qui laisse présager un dénouement bien pire, quand la soupape finira par sauter.

Dans La famille, un homme oscille entre deux familles sans pouvoir déterminer avec certitude laquelle est la bonne, glisse de l’une à l’autre sans pouvoir contrôler la glissade. Choisir, subir, peu de chemins sont vraiment choisis, il en est de même des entourages, « on choisit ses amis, rarement sa famille ».

J’attends, très courte, nous raconte la folie dans son apparence la plus sordide. Puante, putrescente, fétichiste de l’abjection. Quand un tas organique en putréfaction est le seul ami d’un homme décidément bien seul. Une forme déviante et répugnante de syndrome de Diogène.

Je suis la reine, la nouvelle titre, la plus longue, est une histoire effrayante et poignante. Contée à plusieurs voix, dont une - la seule qui sait - est véritablement terrifiante, Je suis la reine fait du lecteur le spectateur mal à l'aise de l’évolution ou bien plutôt la dégénérescence d’un jeune garçon qui passe, de mal en pis, puis en bien pis, de l’enfance à l’adolescence.
Symbiose ou parasitisme maléfique entrainant la perte d’un garçon et de toute sa famille. Angoisse véritable cultivée par le déroulé du récit. Écœurement face au spectacle de la déliquescence de son héros malheureux. Désarroi lié à la chute simultanée de toutes les victimes collatérales familiales vers la mort ou la folie. Un bijou Weird, difficile à oublier.

L’agent est encore une histoire de folie, de schizophrénie, cruelle, finement construite, mais malheureusement un peu prévisible.

Enfin, L’éternité selon Yacha présente une version ironique, absurde, et finalement très triste de cet étrange cas de Mr Waldemar que décrivit Edgar Poe. Que faire quand on est mort sans cesser d’être mobile et conscient ? Assister à la mesquinerie de sa famille. Quitter un monde dans lequel on est devenu surnuméraire. Partir loin, errer, éternellement, tel un juif errant russe qui aurait été journaliste dans une vie précédente.

Avec "Je suis la reine", la russe Anna Starobinets invite le lecteur dans un monde étrange et inquiétant d’où il ressortira éprouvé, mais agréablement dérangé, satisfait d'être allé voir de l'autre côté du miroir terni.

Je suis la reine, Anna Starobinets

Commentaires

Lhisbei a dit…
(je l'avais dit)(que c'était bien)
(na!)
(tes captchas me rendent grumpy)
Gromovar a dit…
Mais je te croyais :)