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Compagnie K" est un roman écrit en 1933 par William March. C’est l’un des rares romans écrits par un Américain sur la Grande Guerre. Classique anglo-saxon non contesté, il n’est traduit qu’aujourd’hui en français, 80 ans après sa parution américaine. Il était temps.
Engagé en 1917 dans les Marines, March, comme beaucoup d’autres jeunes américains aux motivations diverses, est venu combattre en France, dans une guerre qui ne concernait que peu les Etats-Unis si l’on excepte la guerre sous-marine allemande et la tentative d’alliance germano-mexicaine. March en reviendra vivant, intact, et largement décoré (
Croix de Guerre, Distinguished Service Cross et Navy Cross). Mais le conflit le marquera au point qu’il ne s’en libèrera qu’en écrivant, quinze ans plus tard ce "
Compagnie K" que les Français peuvent maintenant découvrir grâce à Gallmeister.
Pour raconter « sa » guerre, March utilise plus de cent vignettes très courtes (parfois une seule page). Dans chacune, un soldat de la compagnie raconte un moment de sa guerre, et livre au lecteur sa perception de ce moment. C’est la voix des
boys qui s’exprime dans "
Compagnie K", dans un style, l’interview non montée de soldat, que Kubrick utilisa aussi dans
Full Metal Jacket. Il en ressort un tableau pointilliste, et souvent sans affect, des misères que connurent tous les participants au conflit.
Le lecteur y voit tout ce qui fut cette guerre. La croyance de certains dans la grandeur de la chose, l’obéissance élevée en règle de vie, la propagande, l’absurdité d’ordres suicidaires ou criminels, la peur de mourir, le désir de mourir et d’en finir, l’appel à Dieu, la mise en question de Dieu, les visions et hallucinations, la mort des copains, les corps qui tombent autour de soi et qui ne se relèvent pas, les ennemis qu’on abat sans trop savoir pourquoi, les ennemis qu’on abat de loin comme un pur exercice d’adresse, les tripes pendantes, les doigts arrachés, les gaz, les poux, les filles (laissée à la maison, rêvées, ou visitées dans les maisons de passe), les étreintes accordées par des inconnues à ceux qui vont mourir, la rapacité de ceux qui détroussent les cadavres, les « fines blessures », les désertions volontaires ou fortuites, les tribunaux militaires, l’hôpital militaire où on voit son voisin agoniser, où des infirmières serrent longtemps la main pour consoler, où manque la morphine sauf pour les officiers, les Français étranges et méfiants, la mesquinerie de certains car à la guerre tout devient permis, la mesquinerie d’autres qui était déjà mesquins en temps de paix, la grandeur d’âme d’autres encore, le retour au pays jamais facile, les espoirs déçus, le supplice éternel des gueules cassées ou des infirmes.
Le tout organisé comme crescendo/decrescendo autour du moment signifiant pour March, l’exécution (autant dire l’assassinat) d’un groupe de prisonniers allemands trop nombreux pour être déplacés, abattus au fusil avant de se remettre en marche. Une abjection, mais surtout un crime de guerre selon toutes les conventions internationales. Pertes et profits.
Le tableau est terrifiant et humain, trop humain. A la fois. Toutes les facettes de l’humanité s’y expriment, mises à nu par l’épreuve du feu. Même les morts ont la parole ; certains soldats, s’adressant au lecteur depuis la tombe, décrivent froidement leur mort, comme un moment de la guerre, guère différent des autres.
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Compagnie K" est donc un très bon roman sur la Grande Guerre, d’autant plus qu’il offre la vision, plus distanciée, d’un Américain. Le seul bémol que je vois, pour ceux des lecteurs qui, comme moi, ont beaucoup lu sur cette période, est l’impression tenace d’avoir déjà lu ces histoires sous la plume d’autres auteurs, d’avoir entendu d’autres bouches les raconter. Mais qu’importe.
Et si on a aimé "
Compagnie K", on lira avec profit, outre tous les grand romans que tout le monde connaît, l’excellent et rare «
De la gloire dans de la boue », de Léon Groc.
Compagnie K, William March
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