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Sandman" et moi, c’est une longue
romcom. Vous savez , ces films dans lesquels un homme et une femme se rencontrent, ne s’aiment vraiment pas, se rencontrent encore plusieurs fois, ne s’aiment toujours pas, puis finissent presque magiquement par comprendre qu’ils sont faits l’un pour l’autre. "
Sandman" et moi, c’est pareil. Des années que ces comics sont en vente, des années qu’un ami m’intime de les lire, des années que je me refuse à eux car je n’aime pas le dessin. Il a fallu que le tome 1 de l’Intégrale, publiée par
Urban Comics et traduite par Patrick Marcel, me soit offert pour que je découvre enfin ses charmes cachés.
Volume imposant rassemblant les 16 premiers numéros de la série, écrits il y a plus de vingt ans, le volume 1 propose au lecteur les deux arcs «
Préludes et Nocturnes » et «
La maison de poupée », le prologue «
Contes dans le sable », ainsi que de nombreux et riches bonus, longue interview de Neil Gaiman à propos des récits, biographie des personnages, projet initial, etc.
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Sandman", scénarisé par Neil Gaiman, c’est l’histoire du Roi des Rêves, l'un des Infinis, quasi-dieu immortel, comme ses collatéraux, Mort, Destin, Désir, etc. Régnant sur le Monde des Rêves, il est le maitre des songes paisibles et des cauchemars. Froid, sérieux, sévère, le Rêve n’est pas un personnage convivial. Sa responsabilité est énorme, il la prend à cœur, elle ne lui laisse pas le temps de se divertir.
Dans «
Préludes et Nocturnes », premier arc de la série, le lecteur fait la connaissance de Dream. Et le malheureux n’y est d'abord guère à son avantage. Invoqué puis emprisonné pendant soixante-dix ans par un occultiste anglais peu doué rêvant de surpasser Aleister Crowley, le Rêve doit, dans cet arc, réparer les dégâts causés par sa longue absence, remettre de l’ordre dans son royaume, et retrouver les objets sacrés de son pouvoir.
«
La maison de poupée », après un prologue en forme de conte africain imaginaire plus vrai que nature, raconte l’histoire d’une des victimes collatérales du long emprisonnement du Rêve. Truffé de personnages plus délirants les uns que les autres et déroulant les situations qui ne le sont pas moins, l’arc décrit la quête du Rêve pour éviter qu’un vortex de rêve, incarné dans une jeune fille, ne détruise le monde.
Dit comme ça, "
Sandman" est un comic fantastique parmi d’autres, pas spécialement beau graphiquement en plus. Et pourtant il y a indéniablement quelque chose, une grâce que Gaiman insuffle à son œuvre. Sans se mettre aucune limite, Gaiman convoque les gloires de la maison DC dans son comic. On y croise donc le
Martian Manhunter,
Docteur Destiny, les trois Sorcières et les frères
Abel et Caïn des défuntes séries d’horreur
House of Mystery et
House of Secrets (qui connurent leur heure de gloire en France sous les titres
Minuit l’heure des sorcières et le
Manoir des fantômes),
John Constantine ou encore son ancêtre Lady Constantine. On y visite aussi l’
Arkham Asylum que fréquente Batman.
Mais il n’y a pas que ça. Gaiman invente une légende africaine crédible mettant en scène le Rêve. Il écrit un épisode dantesque narrant un massacre en temps réel dans un diner américain. Il fait visiter les enfers à son héros pour y vaincre un démon grâce à sa seule intelligence. Il décrit à la perfection une convention de fans, ici des tueurs en série, avec vieux amis, discussions, bar, goodies, et tables rondes, qui parlera à tous ceux qui ont fréquenté les
Utopiales. Il invoque les mânes du
Juif errant dans une histoire d’immortels traversant les époques. Il montre au lecteur le travail paisible et équitable de la Mort. Il rend hommage à
Little Nemo. Il met en scène un sale Ken et une naïve Barbie. Et j’en passe. Tant d’idées que je ne peux les mettre toutes ici, sans compter celles à côté desquels je suis passé s’en m’en apercevoir.
Gaiman sait intriguer, effrayer, émouvoir, et surtout concerner son lecteur. Jamais l’intérêt ne faiblit au long de la lecture des centaines de pages, en dépit des changements fréquents d’histoire, de style narratif, de découpage. Puisant dans les mythologies du monde ancien, dans celles, modernes, des super-héros, qu’il explorera dans son roman
American Gods, créant même ex nihilo celles qui lui manquent pour servir son propos.
Graphiquement, le comic prête à controverse. De fait, le premier arc m’a plutôt plu. Il a ce style caractéristique très encré des
House of Mystery. Au fil des changements de dessinateur et de coloriste, mon opinion évolue et je trouve le deuxième arc moins agréable à l’œil, un peu trop bordélique pour moi, en dépit de quelques belles trouvailles (le retournement des planches pendants les rêves, l’évolution de l’apparence du Rêve au fil des siècles par exemple). En l’occurrence peu importe, l’histoire est grandiose. Un monde vit dans Gaiman, les pépites qui s’en échappent sont très précieuses.
Disons pour finir que le livre fabriqué par
Urban Comics est de fort belle facture, ce qui ne gâche rien et change agréablement des comics en vilaine quadrichromie imprimés sur papier bible.
Sandman, L’Intégrale tome 1, Neil Gaiman
Commentaires
Pour le dessin j'ai toujours passer outre sans trop de mal.
C'est souvent moche mais je trouve que la façon dont la narration est structurée est vraiment intéressante (en tout cas c'est le premier comic qui m'a fait y prêter attention alors que je suis une très mauvaise lectrice de BD). Et dans les derniers tomes c'est bien meilleur (voir carrément superbe pour le dernier arc).
Et puis l'histoire... :D
Et si tu dis que ça va en s'améliorant, tous les espoirs nous sont permis ;)
Je ne pense pas que Gaiman est en tout cas jamais fait mieux que Sandman.
C'est même d'une richesse assez inouïe, comme tu le soulignes !
C'est dense, c'est intelligent, c'est bien construit, et bien raconté (cet épisode dans le resto, énorme !), c'est vraiment très bon !
Bref, vite, il faut que je trouve un peu d'argent pour acheter la deuxième intégrale !
Un titre qui me fait de l'oeil depuis bieeeen longtemps, depuis que j'ai découvert Gaiman en fait. Un investissement certes, mais qui doit valoir le coup comme pas permis !