The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Le grand bond en arrière


Je ne suis pas belge (comme le dit fort à propos Osgood Fielding III : « Nobody’s perfect »). Je connais un peu l’histoire de la Belgique. Je suis de loin, et parfois avec effarement, son évolution nécrotique récente, mais je ne les vis pas, ni ne les ressens personnellement. Quoique… J’ai le souvenir d’une charge antiwallone très violente dans la bouche d’une amie flamande, juriste, cultivée, et habituellement plutôt gentille, qui m’avait laissé sans voix.

Sans rentrer le moins du monde dans les détails, disons que la Belgique abrite aujourd’hui, à côté d’une majorité de citoyens belges qui se sentent partie de l’entité politique belge, une minorité de moins en moins négligeable de personnes se réclamant d’un nationalisme flamand ou d’un nationalisme wallon. Si les braillards du Vlaams Belang sont plus connus en France, il n’en reste pas moins qu’un wallon sur huit environ est partisan d’une indépendance de la Wallonie selon un sondage récent.
C’est à cette réalité qu’ont voulu s’attaquer Michel Constant et Jean-Luc Cornette ; ils y réussissent en partie.

Futur proche. La Belgique a explosé. La Wallonie est devenue la République Démocratique de Wallonie ; elle est gouvernée par le populiste Capitaine Delcominette. Y vivent Ludmilla, une jeune membre des « Fauves de Hesbaye », organisation de jeunesse fascisante, et Antoine Wauthier, étudiant contestataire mou qui n’aime guère le nouveau régime. Ces deux jeunes que tout oppose vont être confrontés, opposés, puis rapprochés par d’obscures manigances dont ils sont les pions involontaires et inconscients.

Le background que décrit Cornette est incontestablement de type fascisant, voire pré-totalitaire. Organisations de jeunesse, culte de la personnalité, couteuses opérations de prestige, contrôle social intensif y compris au sein des familles, appareil parallèle des groupes paramilitaires, perversion d’une langue dans laquelle les mots prennent un autre sens, cérémonie de triomphe nocturne à la Nuremberg, dégradation insidieuse des libertés publiques, tout y est. Gouvernée autoritairement et refermée frileusement sur elle-même, la RDW se coupe du monde tant culturellement (dialogues savoureux d’inculture et de mépris sur l’Asie, et références multiples à la culture populaire wallonne) qu’économiquement, avec comme conséquence une tiers-mondisation de la zone. Plus « populiste dure à la berlusconienne » que totalitaire, la RDW est gouvernée par des hommes écœurants de cynisme qui, sous couvert de position morale élevée, mentent effrontément et abusent à loisir de leur position. N’est pas Robespierre qui veut.

Dans ce cadre rieur, une machination complexe est orchestrée par un responsable de la police qui veut trouver des terroristes ; peu importe que ceux-ci existent ou pas. Elle broiera plusieurs vies sans changer grand chose à la réalité politique.

Rapide, rythmée, l’histoire est très agréable à lire. En 70 pages, elle est suffisamment complexe et les personnages ont le temps de s’y développer. Elle agrippe le lecteur par son humour décalé et absurde, avant de l’obliger à rire jaune.

Les dessins à la ligne claire font ancien, impression renforcée par les couleurs choisies. On a l’impression de lire une BD des années 50, ce qui rapproche temporellement des totalitarismes suggérés par les auteurs. Cet effet est incontestablement réussi.

Néanmoins, si l’histoire est vraiment plaisante, la politique fiction est un peu décevante. Car si Cornette a la bonne idée de décrire une république indépendante wallonne et pas flamande - afin de montrer que les abrutis sont partout - et un dirigeant qui admire Mao au point d'acheter sa momie - signifiant par là même que tous les nationalistes belges dangereux ne font pas référence au rexisme - le background du récit n’est malheureusement que ça, et l’histoire est celle d’une manipulation policière complexe mais assez classique.
Parce que le policier manipulateur agit seul, on a plus l’impression d’avoir affaire à un soldat perdu qu’au produit inévitable d’un système qui dépasse les hommes, à un excité trop zélé qu’à un rouage du NKVD par exemple. Le système mis en place n’est jamais clairement vu - sauf au ras du sol des Fauves - et on sort de l’album trop peu renseigné sur le pouvoir, les structures, la généalogie de la RDW, pas plus que sur le reste de la Belgique et ses rapports avec la Wallonie indépendante, ni sur ce qu’en fait le reste du monde. On ne sait donc pas, à la fin, ce que serait en profondeur un Etat autoritaire populiste wallon. Dommage. On était un peu venu pour ça.

Le sourire de Mao, Cornette, Constant

Commentaires

Tigger Lilly a dit…
Houlà je devrais lire cette BD. Je me la note.
Gromovar a dit…
Oui. Ca le ferai.