The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Dans le monde fou du demiurge


"Mysterium" est l’un des tous premiers romans de RC Wilson. On y sent déjà tout ce qui fera le « style » Wilson, tout en collision de grandes questions et de pratiques concrètes, à son meilleur dans Spin et présent dans l’ensemble de son œuvre, quel que soit le thème qu’il traite. On dira sans peine que « Dans Mysterium, déjà,  RC Wilson perçait sous Robert Charles ».

Two Rivers, une ville moyenne américaine atrocement banale, si ce n’est qu’elle se trouve à proximité du centre de recherche militaire ultra sécurisé dans lequel travaille le brillantissime et très mystique prix Nobel de physique Alan Stern. Un accident se produit. Two Rivers disparaît de la surface de la Terre et réapparait ailleurs, dans une Amérique différente, sous le joug d’une théocratie autoritaire.
"Mysterium" raconte donc, ça n’étonnera pas les habitués de l’auteur, l’histoire d’une communauté qui se retrouve isolée d’un monde qui était le sien et qu’elle considérait, à juste titre jusque là, comme continument accessible.

Au croisement de l’uchronie, de l’histoire de mondes parallèles, et du post-apo (pour cette dernière catégorie, qui étonnera peut-être les lecteurs du roman, je me fonde notamment sur les éléments qui rappellent vivement comment, dans notre économie à division du travail très étendue, la simple isolation des centres de production habituels suffit à mettre en danger une population, ainsi qu’on le comprend dans En panne sèche et qu’on y assiste dans Une seconde après, et comment la coupure d’avec l’omniprésence médiatique plonge dans une isolation qui semble préindustrielle, on pourra voir à ce propos le monologue introductif du narrateur dans la nouvelle de Stephen King intitulée « The Man in the Black Suit »), Wilson livre un roman aux personnages finalement peu nombreux mais détaillés. On se croirait sans difficulté dans du bon Stephen King (justement !). Wilson réalise une description fine des personnages dans tous les petits moments de leur vie quotidienne (et dans cette Amérique semi-rurale dans laquelle commencent par exemple Le Fléau ou Simetierre, toujours du même), il replace les évènements dans la trajectoire personnelle de chacun, montrant comment de nouveaux faits amènent un réarrangement personnel, il montre les contradictions, les conflits de loyauté, la complexité de la psyché des hommes et l’imprévisibilité qui en résulte. Et, s’il étudie les réactions de la théocratie américaine à l’arrivée inopinée et inquiétante de la ville en exil, il ne s’attarde guère sur les caractéristiques de la société totalitaire dans laquelle débarquent, pour leur malheur, les habitants de Two Rivers. Ce n’est pas son point. Les thèmes que traitent Wilson sont autres.

Comment réagir à une situation nouvelle et inquiétante ? Comment s’adapter à une baisse drastique du standard de vie ? A quelles compromissions est-on mené ? Une résistance est-elle possible ?
L’illusion de la normalité est entretenue un moment puis, absurde, abandonnée. La maigre résistance initiale est étouffée dans l’œuf grâce à quelques exécutions publiques. Certaines femmes de Two Rivers font le choix de ces femmes qui, en temps de guerre, pactisent de leur corps avec l’ennemi afin de pouvoir manger plus ou juste de pouvoir manger, voire vivre, même mal, un jour de plus. La vie continue, plus dure, moins libre, largement oisive (le ravitaillement, rationné, est apporté de l’extérieur par les militaires), bien plus morne, mais néanmoins elle continue. Chacun se fixe de petit objectifs pour garder le sentiment illusoire d’avoir un contrôle sur sa vie. Il faudra que se produise un événement grave, insupportable par la dureté impitoyable dont il est le signe, pour secouer la torpeur et qu’une réaction advienne, bien trop limitée et tardive. Tant pis pour Two Rivers.

Mais même ces questions ne sont pas le point principal me semble-t-il. La question que pose Wilson est celle de la Création. Ce n’est pas par hasard qu’il a choisi de faire de sa théocratie une société gnostique (tant la question de la Création est centrale dans ces interrogations), dans un système uchronique qui n’aurait pas connu la normalisation de Saint Irénée (dans son ouvrage Contre les hérésies qui réfuta les thèses gnostiques et assura ainsi la primauté et l’unicité de l’interprétation officielle des Evangiles, donnant à la jeune Eglise chrétienne une doctrine simple et transportable) et la christianisation de l’Empire Romain. Qui ou quoi est à l’origine de l’Univers ? Y a-t-il un commencement descriptible ? Quelle est la nature du monde, et de l’homme ? La matière est-elle d’abord une création de l’esprit ? Y a-t-il des mondes dans les mondes ?

A ces deux dernières questions, Wilson semble répondre « Oui » à la fin de son roman ; Alan Stern le pensait, Howard Poole, son courageux neveu, le prouve.

Ainsi donc, comme toujours chez Wilson, il y a plus dans le roman que ce qu’on s’attendait à y trouver. C’est une grande qualité, Mr Wilson, d’arriver à surprendre, au bon sens du terme, même des lecteurs qui connaissent bien votre œuvre, et de le faire avec la précision du regard qui vous caractérise.

PS : Ce n’est pas le lieu ici de développer longuement les – bien étranges imho - thèses gnostiques. Que ceux que ça intéresserait sachent néanmoins que les écrits gnostiques sont disponibles à la Pléiade. Qu’on sache aussi que ces thèses sont centrales dans le très bon recueil de nouvelles « Divinations of the Deep » de Cardin, ainsi que dans le « Conspiracy against the human race » de Ligotti, entre autres textes qui peuvent complaire aux lecteurs de ce blog.

A noter enfin qu'existe une grosse édition Lunes d'Encre de Mysterium, qui comprend d'autres textes de l'auteur en supplément, notamment son premier roman, La cabane de l'Aiguilleur.

Mysterium, RC Wilson

L'avis du Traqueur Stellaire, d'Efelle, et de Lorhkan

Ce livre participe, un peu abusivement peut-être, au Challenge Winter Time Travel.

Commentaires

Efelle a dit…
Sympathique, ma propre chronique :
http://efelle.canalblog.com/archives/2008/05/18/9224512.html
Gromovar a dit…
Je l'avais pas trouvée. désolé. Je te linke.
Notons également que les différentes doctrines gnostiques réapparaissent sous forme de résurgences dans les nombreux courants mystico-religieux qui composent les nouvelles spiritualités.
Il est extrêmement difficile de lire les gnostiques. Leurs écrits ressemblent en effet à des délires de drogués. Cependant, si le lecteur acharné arrive à passer l'obstacle de la forme, il peut y trouver de quoi comprendre les nouvelles formes de croyances qui apparaissent autours de lui et qui succèdent aux religions mourantes. Donc, oui, il est bon de se pencher sur le cas des gnostiques.
Gromovar a dit…
Héhéhé.

Je n'aurais pas résumé les gnostiques comme ça, mais pourquoi pas en effet...
Guillmot a dit…
Un très bon bouquin en effet
Gromovar a dit…
Ouais, c'est du bon. Et c'est fou ce que ça ressemble à du King.
Lorhkan a dit…
Yep, j'approuve, je n'ai pas (encore) lu beaucoup de Wilson, mais celui-ci m'avait clairement donné envie d'aller plus loin.
Gromovar a dit…
Il faut aller plus loin. C'est un fait ;)