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De la gloire dans de la boue" est un objet à la naissance miraculeuse. Lors d’une interview de la fille cadette de Léon Groc, un auteur populaire du début du XXème siècle, Raphaël Colson et André-François Ruaud, deux
Moutons électriques, se sont vus remettre par elle une série de 32 courtes nouvelles, écrites par son père pendant la Grande Guerre et publiées à l’époque dans les journaux comme historiettes de guerre. La publication d’un recueil les rassemblant toutes était prévue une fois le conflit terminé, une préface avait même été écrite par un auteur du moment, Pierre Valdagne. Cela ne se fit jamais et les textes restèrent pour des décennies dans une chemise. Ils retrouvent aujourd’hui la lumière, et leur publication (agrémentés d'une très bonne introduction de Raphaël Colson), en fac similé (
en tirage numéroté à 99 exemplaires), par Les moutons Electriques, est un bel hommage rendus à ces hommes, nombreux, qui écrivirent au front ou le racontèrent à l’écrit peu de temps après. Certains sont passés à la postérité (ou s’y trouvaient déjà), par exemple Barbusse, Junger, Genevoix, entre nombreux autres, d’autres comme Groc furent oubliés, certains enfin restèrent pour toujours anonymes, rédacteurs des petits journaux de tranchées qui pullulèrent pendant le conflit.
32 nouvelles donc dans lesquelles on trouve les thèmes de la guerre dans le ton patriotique de l’époque. C’est parfois (toujours ?) forcé. Ca paraît sûrement désuet et absolument manichéen aux hommes de notre temps. Mais ca témoigne du moment. Du besoin de raconter, de créer du lien entre l’avant et l’arrière, de galvaniser pour un conflit que le patriotisme du moment rendait « sacré » comme
la voie qui approvisionnât Verdun pendant l’année 1916. N’oublions pas aujourd'hui que de nombreux pacifistes y allèrent, par solidarité, que de nombreux réformés s’engagèrent, que l’effort et le sacrifice furent envisagés comme collectif.
Alors bien sûr on sait bien maintenant que tout fut très loin d’être idyllique et héroïque, que la guerre fut une atrocité cynique, une guère d’attrition parfaitement résumée dans la formule «
Je les grignote » de Joffre et dans les innombrables offensives « décisives » décidées par des généraux dont il semble souvent qu’ils considéraient que des pertes énormes étaient acceptables si elles se traduisaient par des pertes supérieures pour l’ennemi. On sait que ce fut une guerre menée par des officiers dont beaucoup (pas tous) étaient pleins de morgue aristocratique pour les hommes qu’ils commandaient, une guerre dans laquelle l’arrière se détacha progressivement du front qui le défendait, au point qu’une incommunicabilité se fit après le conflit, et que beaucoup des poilus ne parlèrent pas de leur expérience, tant ils savaient qu’elle était essentiellement indicible et que seul un autre poilu pouvaient les comprendre, une guerre enfin qui fit un nombre jamais vu encore de veuves, d’orphelins, de familles touchées par le deuil, à tel point qu’il y a dans chaque village de France un monument aux morts bien rempli avec les noms des victimes locales du conflit.
Tout ceci est vrai, bel et bon. Mais…
Groc veut parler au nom des poilus, aux poilus, mais aussi à l’arrière ; il veut renforcer la cohésion du groupe (y compris national) dans un moment de péril où elle est plus que jamais nécessaire. Sans travestir la réalité (on meurt, on est blessé, on souffre dans ses textes), il cherche à l’embellir, à donner chair à la réalité de la guerre et à exalter le courage de combattant qui auraient sûrement, après l’enthousiasme naïf de 14, préféré être ailleurs, mais qui considérèrent souvent qu’ils ne pouvaient fuir en abandonnant leurs camarades. Il veut dire la grandeur d’âme de rester et de continuer malgré l’adversité, par devoir et fraternité.
Dans ces nouvelles on parle donc du courage qu’il y a à vaincre la peur, du soutien et de l’admiration que l’arrière devrait éprouver pour les poilus, des moments difficiles de la vie de tranchées, des rats, des bestioles, de toutes les manières « bêtes » de mourir alors qu’on aurait du passer au travers, de la camaraderie qu’engendre le danger, de l’héroïsme qui nait de l’instant (même chez ceux qui n’y étaient pas prédestinés), du soutien des infirmières (dont beaucoup périrent au front), des marraines de guerre qui donnèrent un peu d’espoir et d’amitié aux poilus.
Je le répète. C’est souvent manichéen, mais c’est ce qu’il fallait à ce moment précis. Et plus le temps passe, plus je me demande si la déconstruction de masse auquel tout sentiment de cohésion et tout rite collectif sont soumis depuis quelques décennies est une chose positive. Toute société a besoin de mystère pour fonctionner, de croyance, d’idéaux partagés et spécifiques (c’est à dire non universels). Toute société a besoin d’émotions communes ; l’analyse strictement intellectuelle des rapports sociaux me paraît, à l’usage, bien incapable de créer du lien social. Au contraire.
De la Gloire dans de la Boue, Léon Groc
Commentaires
Après, le fait d'être sensible à l'époque ne gâche rien.