A l’occasion de la sortie de l’intégrale d’Omale (romans et nouvelles), en deux gros (et beaux) volumes, chez Lunes d’encre, plongée dans un monde étrange et fascinant où, pour le lecteur, tout est à découvrir.
L’énormité du voyage et la nécessité de régénérer mes batteries fictionnelles m’imposent une lecture par étapes : "
Omale" maintenant, sous peu « Les conquérants d’Omale », puis « La muraille Sainte d’Omale », pour terminer par les nouvelles. Je ferai donc quatre rapports d’étape au fur de ma progression dans la connaissance de la très étrangère Omale.
«
A beginning is a very delicate time », pose comme une évidence la princesse Irulan au début du Dune de David Lynch. Le premier roman du cycle d’Omale, simplement intitulé "
Omale", le démontre sans équivoque.
"
Omale" est donc le roman fondateur du cycle. Le lecteur y pénètre dans un monde inconnu de lui, Omale, qui est une
sphère de Dyson. Sur (dans ?) Omale cohabitent trois races humanoïdes : humains, chiles, hodgqins. Comment sont-elles arrivés là, quand exactement, pourquoi ? Nul ne s’en souvient plus. Nul d’ailleurs ne sait même où il se trouve en réalité. Les omaliens ignorent qu’ils vivent à l’intérieur d’une sphère, pensent que leur monde est une terre plate, possiblement infinie, et n’ont plus aucune souvenir de l’existence d’un univers à l’extérieur d’une sphère dont ils ignorent jusqu’à l’existence.
La coexistence entre les races est pacifique depuis quelques décennies seulement, grâce à la signature du traité de Loplad qui a instauré une paix fragile entrer les trois peuples, assortie de quelques règles simples telles que l’interdiction pour une race d’utiliser des esclaves issus d’une autre race (car les sociétés qui peuplent la Grande Aire d’Omale sont esclavagistes). Mais méfiance, incompréhension, et vieilles haines subsistent entre des peuples qui tentent de sortir de 1500 ans de guerre.
En bon planet-opera, Omale promène le lecteur dans un écosystème étranger, lui faisant découvrir une écologie environnementale au sens strict, mais également une Histoire dont les traits se dessinent au fil des pages et des récits, ainsi que les systèmes politiques, philosophiques, scientifiques ou religieux qui donnent sens à la vie des êtres peuplant Omale. Et là, Laurent Genefort fait le boulot.
La monde d’Omale est foisonnant de trouvailles. Animaux et végétaux étrangers, technologie en forme de chimère composée d’apports de chacune des trois races et du résultat de la dégénérescence technique et scientifique causée par des siècles d’isolation. Le monde d’Omale est un patchwork qui mélange sans solution de continuité des éléments qu’on pourrait rattacher à la fantasy, d’autres à la SF, d’autres encore au steampunk, d’autres enfin au post-ap. Entre ordinateurs dodécaédriques (quoi que ce puisse être), ballons dirigeables géants, mousquets et armes blanches, les habitants d’Omale utilisent toutes les technologies distinctes qu’ils ont apportées avec eux, dans les limites de ce qu’ils savent, ou peuvent encore, construire ou maitriser, et de manière non globalisée, chaque race n’ayant pas accès à l’ensemble de la technologie disponible sur Omale.
Mais c’est surtout dans les domaines liés aux sciences humaines que le roman dépayse. Trois races, trois perceptions du monde, trois systèmes de pensée. Incompréhension et méfiance viennent de différences culturelles ou politiques qui trouvent leur source dans des différences biologiques. Seuls quelques parias sont à même (souvent à leur corps défendant) de franchir le gouffre entre les civilisations, le plus souvent au détriment de leur identité d’origine. Si les royaumes sont séparés et si, même dans les villes cosmopolites, les quartiers sont séparés, c’est que les mondes intellectuels ne parviennent pas, physiquement, à se rejoindre.
Science et connaissance perdues dans les profondeurs d’un passé immémorial, ce sont des systèmes religieux qui donnent sens, absurde, au monde. Contre les dogmes s’élèvent de rares libres-penseurs qui refusent l’oppression des lois religieuses (parfois au péril de leur vie) ou qui cherchent une vérité qui sortirait d’une expérience et non d’un acte de foi. La posture des (encore rares) habitants d’Omale qui remettent en cause les dogmes est à situer entre le combat pour la liberté des Lumières et la méthode expérimentale d’Aristote. Omale est donc un monde dont seule une très petite fraction des habitants cherche à s’affranchir de l’arbitraire des normes ou à découvrir une vérité scientifique (au point que certains mouvements y sont qualifiés de sectaires, on se rappellera
la secte des mathématiciens).
Pour entrainer le lecteur à la découverte de ce monde et de son secret, l’auteur suit six personnages, issus des trois races de la Grande Aire, convoqués mystérieusement pour un voyage vers un lieu lointain. Entre L’anneau-Monde (pour l’exploration d’un monde artificiel centré sur une étoile) et Hypérion (pour la narration autobiographique de chaque personnage), Genefort livre un roman d’aventure palpitant qui culmine dans une explication qui pose au moins autant de questions qu’elle n’en résout.
On pourra néanmoins regretter que le fil rouge que suit le lecteur ait l’air un peu trop artificiel. Les personnages semblent répondre trop facilement à des convocations pour le moins cryptiques, l’organisation de toute la complexe affaire paraît un peu trop facile et les coïncidences heureuses qui permettent au fil de se dérouler trop nombreuses, la fin paraît enfin un peu précipitée, d’autant plus qu’elle met en scène une rébellion dont l’utilité narrative ne m’a pas convaincu.
Il y a donc un grand potentiel dans le monde d’Omale entre
terra incognita à explorer et passé oublié à redécouvrir. Genefort sait y placer des personnages riches et des oppositions politiques et philosophiques intéressantes. Reste à trouver une manière d’entrainer le lecteur qui paraisse plus naturelle. Un commencement est donc vraiment un moment délicat. Celui-ci, en dépit de ses défauts, a su me séduire. Je poursuivrai donc pour en savoir plus, en espérant simplement un enchaînement plus rationnel des circonstances.
Omale, Laurent Genefort
Commentaires
Tant mieux si le contenu est à la hauteur du contenant !