Publié par
Gromovar
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Jake Marlowe est un loup-garou, le dernier sans doute, depuis presque deux siècles ; et c’est trop long. Alors, lorsqu’il apprend que le plus fanatique des tueurs de lycanthropes l’a mis sur sa liste, il n’est finalement pas mécontent. Mais rien ne se passe jamais comme prévu, car « dès qu’il se passe quelque chose, il se passe autre chose ».
Jake Marlowe est donc vieux, sûrement trop vieux pour son propre bien. Il est fatigué de vivre, désabusé, cynique, terriblement blasé. En 200 ans il a presque tout vu (seul les vampires ont tout vu) et tout expérimenté. Passé le choc de l’agression, l’horreur de l’acceptation d’une vérité qu’aucun arrangement facile ne peut dissimuler, le choc de la violation de toute les contraintes morales, l’effroi de la réalisation du plaisir qu’on prend à tuer sous forme lupine, il a eu des décennies, de nombreuses décennies durant lesquelles faire la paix avec le loup en lui et accepter sa nature. Marlowe évoque le « Dieu est mort » de Nietzsche à tout bout de champ (et le « Tout est permis » qu’y ajoute Dostoïevsky lui permet sûrement de survivre à son propre dégout) mais c’est beaucoup plus au « Deviens ce que tu es » du Maitre allemand que sa biographie ramène. Marlowe a appris a accepter le Loup. Se transformer une fois par lunaison, tuer, dévorer. On ne peut faire que ce qu’on doit. La biologie n’a aucune morale. Et on veut vivre, la volonté de vivre est plus forte que tout ; avec le détachement comme solution à la souffrance du déterminisme, ainsi que l’a montré Schopenhauer. Tout juste fait-il dans l’humanitaire avec son immense fortune, en sachant que si ça compense, ça n’efface pas.
Mais Marlowe est vraiment trop fatigué. Presque deux mille victimes, dont les mémoires hantent physiquement son corps, il pourrait supporter ; mais la lycanthropie c’est aussi deux cent ans de fuite, de dissimulation, de faux-semblants, d’adresses secrètes, d’identités qui ne le sont pas moins, pour échapper à la Chasse, une organisation secrète, affiliée au Vatican, qui traque les créatures surnaturelles. La fortune, les vieux single malt (j’approuve), la culture, le monde, la curiosité, le sexe, même son seul ami humain qu’il a sauvé d’une bastonnade homophobe ne suffisent plus à le distraire de son colossal ennui. Faim et libido, baiser, tuer, manger, baiser ensuite. Alimentation et sexe sont tellement proches. Pénétrer, faire pénétrer, tout ceci revient à supprimer la barrière de la peau. Ne dit-on pas d’une belle personne qu’elle est à croquer ? Et au final, l’objet est le même, se soumettre à la volonté impérieuse des gênes égoïstes de se reproduire et de se disperser. Mais Marlowe n’aime personne et les loup-garous ne peuvent se reproduire. Post coïtus, animal triste. Jusqu’à ce qu’il trouve une raison de vivre…
"Le dernier loup-garou", s'il n'est pas parfait, est une belle réussite. Dans un genre dont j’ai déjà dit à quel point il avait été galvaudé par les ordures Twilight et bit-lit, Duncan, après Caussarieu, remet de la monstruosité dans le monstre. Il était temps. Et de ce côté, rien a redire. Marlowe est un monstre, il le sait, l’assume, le vit de manière presque paisible. Ne subsiste qu’un dégout résiduel, dont il peut s’accommoder. Gibran l’écrit dans le Prophète « De même que le saint et le juste ne peuvent s'élever au-dessus de ce qu'il y a de plus élevé en chacun d'entre nous, De même, le malin et le faible ne peuvent sombrer aussi bas que ce qu'il y a aussi en nous de plus vil. ». Marlowe le pose : Le Bien , le Mal, il faut avoir le choix. Pas moyen d’aller contre sa nature, vain de s’en torturer.
Jouisseur compulsif qui a presque tout expérimenté, Marlowe pose sur le monde et sa frénésie son regard d’un détachement extrême, coloré par la philosophie qu’il cite comme d’autres des proverbes, et trompe son ennui entre call-girls et vieux whiskys.
Nick Cave a adoré, moi aussi.
Le dernier loup-garou, Glen Duncan
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Commentaires
En tout cas, un titre à retenir.
A.C.
@ AC : Tu as raison, je fais pareil avant lecture. A+ alors.
A.C.
Cette fois je ne regrette pas de t'avoir suivi.