Mélanie Fazi : Mes Utopiales de B à V

Comme chaque année, vers Samain, se sont tenues les Utopiales à Nantes. 153000 visiteurs cette année, et moi et moi et moi. Ne faisons pas durer le suspense, c'était vraiment bien !!! Genre grave bien !!!! Aux Utopiales il y a surtout des auteurs qu'on va retrouver jour après jour ci-dessous (ou dessus, ça dépend dans quel sens vous lisez) , sur plusieurs posts successifs (survivance d'un temps où on économisait la bande passante – « dis ton âge sans dire ton âge ») . Tous les présents aux Utos n'y sont pas, c'est au fil des rencontres que les photos sont faites, la vie n'est pas juste. AND NOW, LADIES AND GENTLEMEN, FOR YOUR PLEASURE AND EDIFICATION, THE ONE AND ONLY MELANIE FAZI

Aller et retour


Rassembler une équipe de héros, partir de chez soi , aller au loin accomplir une quête puis revenir à son point de départ, les grandes quêtes mythologiques sont aux principes de la fantasy. Et ce n’est pas un hobbit prénommé Bilbo qui me démentira.

Imaginaire antique et littérature contemporaine sont deux masques différents sur le corps unique du merveilleux. Silverberg le sait bien, et, à l’heure où Paul Veyne publie une nouvelle traduction de la grande saga héroïque qu’est l’Enéide, ActuSF s’offre le luxe de publier l’inédit "Dernier chant d’Orphée" de l’un de mes auteurs préférés.

Passionné d’histoire en général et d’histoire antique en particulier, Robert Silverberg s’est donc attaqué récemment à une réécriture courte du mythe d’Orphée ; le voici traduit par Jacqueline Callier et Florence Dolisi.

Joli texte qui nous remet en mémoire la vie du héros grec, son amour sans espoir pour Eurydice, sa quête de la Toison d’Or en compagnie du pusillanime Jason (et près de la terrible Médée), son expédition en compagnie d’Ulysse vers le bord du monde, puis sa mort atroce, nécessaire au rétablissement de l’harmonie cosmique.
Porteur et véhicule de l’harmonie des sphères, Orphée devra rassembler Dyonisos et Apollon, le créateur et l’organisateur, comme Elric de Melniboné rééquilibrant chaos et ordre et payant de sa vie le début d’un nouveau cycle cosmique.

Ballade résumée dans les longues années de la vie d’un Orphée qui vaut plus que son coup d’œil en arrière malheureux, on y voit le demi-dieu balloté au gré des désirs et des plans de dieux qui tiennent les hommes dans les rets d’un destin écrit pour eux de toute éternité. Cet heimarménè (fatum pour les latins), que les stoïciens ont tenté de réintégrer dans l’ordre des raisons naturelles , imprime ici la marque d’un ordre qui n’est pas gouverné par la raison mais par des décrets aussi incompréhensibles qu’irrésistibles ; décrets d’autant plus cruels qu’y obéir conduit souvent à enfreindre la loi divine et donc à être puni, de mort ou de malédiction, par ces dieux mêmes qui, l’ayant proscrit, rendirent ensuite l’acte inévitable. Antique double bind. Sous le regard souvent puéril des dieux, rois, héros, puissants et paysans souffrent des conséquences de décisions qui les dépassent et dont beaucoup n’ont même pas connaissance.

On est loin, dans la vision de Silverberg (il l’affirme même explicitement dans le texte), du libre-arbitre que professait Saint Augustin et qui est l’un des piliers de la pensée chrétienne (même si c’est un peu moins net chez les protestants). Le déterminisme est ici la règle, réglant l’opposition sociologique entre holistes et individualistes au profit des holistes. Il n’y a pas de grands hommes, il n’y a que les forces de l’Histoire (ou du Mythe). Hommes et dieux sont les notes de musique que le fatum pose sur une partition cosmique afin d'y transcrire une musique déjà écrite. Le monde est ici résolument présocratique ; Nietzsche aurait apprécié.

Et, pour Silverberg, peu importe le panthéon. Retrouvant ici encore des accents moorcockiens, il affirme plusieurs fois que les diverses divinités ne sont que des rôles endossés par ce qu’il nomme, sans le décrire, le Dieu unique, ce principe supérieur qui préside à la destinée des hommes. Comme il y a un multivers, il y a une multitude des peuples qui se tournent tous vers le même axe central, sans comprendre que, même si l’angle de vue change, ils observent en fait tous la même chose.

Le grand Bob sort de son style habituel avec ce chant mythologique. Cela peut étonner. Il prouve néanmoins une fois de plus qu’il est un auteur cultivé, intelligent et roué. C’est l’essentiel.

Le dernier chant d’Orphée, Robert Silverberg

Commentaires

Efelle a dit…
Intéressant.
Gromovar a dit…
Et satisfaisant.
Xapur a dit…
Un peu déçu pour ma part, j'attendais mieux de sa part (et je n'ai pas trouvé l'interview qui suit très brillante non plus).
Gromovar a dit…
C'est pas vraiment du Silverberg, je te l'accord volontiers. Après, j'ai trouvé ça pas mal foutu dans le genre, et j'ai été agréablement surpris par le fait qu'on y voit toute la vie d'Orphée et pas seulement l'épisode des enfers.

Pour l'itw, totalement d'accord, inutile et creuse (je n'en parle même pas dans la chro). Je crois qu'ils ont recyclé une interview datant de la parution de l'intégrale en 4 volumes (qui par ailleurs est à lire absolument).
Gromovar a dit…
J'oubliais. Si tu n'a jamais lu "Hanosz Prime s'en va sur Terre", fais-le. C'est le meilleur de la brillance de Silverberg.
lutin82 a dit…
Jamais lu encore un Silverberg. Va vraiment falloir que je m'y mette. Une recommandation pour un premier roman?
Guillmot a dit…
Je suis d'accord, l'ITW est inutile (pour ne pas dire pire parfois). La novella est intéressante mais je ne l'ai pas trouvé aussi "profonde" que toi. En plus, je me suis surtout intéressé dans ma chro à ses divergences avec les auteurs grecs.
Gromovar a dit…
@ lutin82 : Premier roman. On te dira le plus souvent "L'oreille interne", j'ai une préférence pour "Le livre des morts". "Les monades urbaines" est une très bonne dystopie aussi. Les plus faciles à trouver sont les Valentin de Majipoor que je trouve pas fameux. Sinon l'intégrale des nouvelles en 4 tomes te donne une 'longue) mais bonen idée du travail du gars et de son évolution.

@ Guillaume : J'ai vu oui. Ya tellement de versions de ces textes. Il fallait bien qu'il apporte un petit quelque chose. O ny sent bien il me semble le concept grec d'ananké comem moteur de la tragédie. Pour Nietzsche c'est d'ailleurs de la réunion d'Apollon et de Dyonisos que nait la tragédie. C'et ce que réalise Orphée dans la nouvelle. Si je pouvais l'interviewer, c'est ce que je lui demanderais.
Lorhkan a dit…
Un mythe grec revisité (et pas par n'importe qui !), ça me tente bien je dois dire...
Alors même s'il ne semble pas faire l'unanimité, pour quoi pas !
Gromovar a dit…
L'investissement en temps n'est pas énorme.
Dis donc, tu écris tellement bien dessus que ça donne envie. Reste que je ne connais rien en mythes grecs quasi...
Gromovar a dit…
Un beau récit mythologique, même si ce n'est pas un "vrai" Silverberg.