The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Encore un effort


Guillaume Stellaire m’a taggé hier au sujet de la rentrée littéraire. Le billet qui suit est le fruit du hasard (le tag) mais aussi de la nécessité qu’amène la dite rentrée (on comprendra pourquoi).

Pour faire court, la rentrée littéraire est le dernier de mes soucis. D’abord, cela concerne essentiellement la blanche, et il y a bien longtemps que je n’en lis presque plus pour maintes raisons déjà évoquées chez mes amis Hugin et Munin. Ensuite, la profusion même des romans publiés à chaque nouvelle rentrée récente dit bien à quel point leur qualité moyenne est une asymptote de zéro, car ce n’est pas parce que plus de livres sont publiés que plus de bons livres le sont (ou alors ça signifierait que durant des décennies les éditeurs furent des incompétents qui rataient les perles évidentes que leurs successeurs dénichent aujourd’hui. Peu crédible). Enfin, cette profusion est le fruit monstrueux de trois soucis : saturer l’espace visuel des étalages comme on occupe des têtes de gondole avec des marques différentes, posséder un « catalogue » (au sens marketing du terme), c’est à dire un peu de chaque style susceptible d’être vendu à un type de client donné (en marketing on dit segment), comme ça se pratique dans l’automobile généraliste par exemple, faire de la trésorerie pour le système grâce aux avances des libraires. Tout ceci m’écœure un peu à vrai dire, je n’ai donc guère envie d’en être. Je peux comprendre intellectuellement que le monde de l’édition ait peut-être besoin de ça pour survivre dans une France qui ne lit plus, mais je n’ai pas envie d’être présent au moment où il mange le cadavre avec les doigts pour y parvenir. Néanmoins je suis faible, et tout le buzz journalistique autour de la rentrée fait que chaque année, ou presque, je m’envoie un roman de blanche, ou plus précisément un roman un peu borderline écrit par un gars qui écrit de la blanche. J’en sors toujours déçu (un chien apprendrait plus vite) et c’est assez logique, ce n’est pas parce qu’un met un faux nez pointu à une jeune femme qu’elle est vraiment une sorcière pour autant. Donc, cette année, "La nuit a dévoré le monde" de Pit Agarmen.

Pigalle, début mars. Une invasion zombie advient ; on ne sait ni pourquoi ni comment, ce n’est pas le point. Cuvant son whisky dans la pièce du fond de l’appartement où il participait sans grande conviction à une soirée branchée, le narrateur échappe de ce fait au début de l’événement. Il se réveille au matin dans un appartement vide et maculé de sang. Par la fenêtre, il voit le désastre, qu’il comprend au premier coup d’œil. L’invasion zombie a commencé, les humains, de moins en moins nombreux, résistent ou tentent de fuir, jusqu’à leur disparition en tant qu’espèce organisée. Pourquoi a-t-on survécu ? Que faire dans un monde devenu vide ? Comment vivre sans contact humain ? Ce sont les questions centrales de "La nuit a dévoré le monde".

Lu en deux heures, ce roman, de 208 pages imprimées en caractères dont la taille m’a évité d’avoir à chausser mes lunettes (c’est donc bien un roman français contemporain), a été écrit sous pseudo par un auteur de blanche (même si celui-ci aime bien l’absurde dans le reste de sa production et ne peut pas être classé dans la catégorie trop répandue des enculeurs de mouche) comme le précise la 4ème de couverture. On y parle de zombies ; il y a plus inattendu ces jours-ci comme sujet de déambulation off limit.

Journal à la première personne, sur quelques mois, du survivant calfeutré dans son appartement à Pigalle, "La nuit a dévoré le monde" est une réflexion sur la solitude, l’ennui, et l’humanité. Face à l’inimaginable, le narrateur commence par plonger dans l’animalité de l’abandon de tous les codes sociaux de ce qu’on nommera, par facilité, la bienséance corporelle et domestique, puis il découvrira que ce ne sont que ces codes qui en font un humain et qu’il faut donc les préserver, même si leur fonction communicationnelle a disparu (c’est pour cela que la bourgeoisie traditionnelle ne pratiquait pas la différence entre un paraître public et un relâchement privé, élégance et tenue étaient aussi nécessaires dans le cadre privé que dans l'espace public). Il remplira son temps de routines afin de vaincre l’impression de vacuité qu’engendre un agenda désespérément vide. Il construira un cadre de vie qu’il contrôle et sur lequel il a une maîtrise. Il se trouvera heureux d’être débarrassé de tous les fâcheux qu’il méprisait ou haïssait, et regrettera seulement les quelques humains qui formaient son tissu relationnel et donc psychique. Il ne regrettera pas une société qu’il méprisait, même si sa disparition rend plus difficile certains aspects pratiques de la vie. Il luttera contre la solitude en s’attachant aux formes de vie qui restent (oiseaux, plantes), et même à la présence pourtant inquiétante des zombies.

Tout ceci est intéressant et, je le pense vraiment, souvent bien vu. Mais ça ne suffit pas.

D’une part, dans un roman qui rappelle furieusement Je suis une légende, il manque la tension et l’urgence qui emplissaient son glorieux prédécesseur. Pas d’enjeu évident, pas d’inquiétude vitale, pas de révélation en attente, le roman se lit très vite parce qu’il est court, pas parce qu’il captive. En effet, "La nuit a dévoré le monde" est d’abord un roman de l’introspection, typique en cela d’une littérature française dont l’auteur semblait pourtant vouloir se démarquer.

Conséquence de l’absence de tension, les réflexions viennent au narrateur au fil d’un long vagabondage intellectuel, puis sont assénées au lecteur comme des évidences reconquises grâce au contexte mais sans interaction agissante avec lui. Tout est trop rapide. Rien ne vient de loin, rien ne va bien loin, rien n’est très développé.

Pourtant, faisant de son narrateur un écrivain de romans à l’eau de rose, l’auteur en profite pour distiller quelques réflexions sur le statut du roman de genre, avec lesquelles je ne peux qu’être d’accord. Il pose le roman de genre comme un moyen subtil de développer des idées et de les faire passer discrètement au lecteur. Il dit le mépris injuste des autres littérateurs pour ceux qui se commettent dans ce type de littérature.

Mais cette déclaration d’amour en forme de réhabilitation semble cosmétique car son roman n’est pas un roman de genre. « Agarmen » lorgne vers le genre, il en dit le bien qu’il en pense sans doute vraiment au vu du reste de sa production, mais il n’a pas le courage de franchir le pas et de résister à la tentation de prouver qu’on peut écrire un roman sur les zombies sans cesser d’être un Ecrivain, un vrai. D’abord, c’est un roman très (trop) écrit. Au delà du style, impeccable, certaines réflexions du narrateur sentent bon l’aphorisme définitif, loin d'une pensée qui semblerait couler naturellement d'un esprit ; et dans le même ordre d’idées, toutes les évolutions du narrateur sont trop rapides, comme si elles n’étaient que les illustrations des réflexions de l’auteur plutôt que les réactions vitales du personnage à un environnement hostile. Ensuite, en faisant de son héros un écrivain, même marginal, en situant son aventure à Paris, en écrivant 200 pages d’introspection immobile, l’auteur fait ce que font tous les auteurs français contemporains de blanche, même et surtout lorsqu’ils ne parlent pas de zombies. Enfin, l’apparition tardive de La Femme qui, en permettant Le Couple, rend possible le dépassement de la stase et la projection dans l’avenir, est aussi assez caractéristique de la centralité que la littérature française accorde aux relations entre les sexes (et surtout au Couple, vu comme entité dynamique imprimant sa dynamique au monde) comme moteur de l’histoire, voire de l’Histoire (la fin l’implique). Pas de genre ici, plutôt un roman de blanche qui parle de zombies.

"La nuit a dévoré le monde" n’est pas un roman déplaisant. Sa lecture, surtout grâce à la bonne tenue de son style, procure un moment de distraction agréable, assorti de quelques réflexions bien vues, même si elles sont toujours prêtes d’être avortées. Néanmoins il ressemble trop à un exercice de style pour satisfaire les lecteurs de genre. Il est donc, à mon sens, dispensable, au moins pour les lecteurs habituels de ce blog. « Agarmen », à partir d’une bonne intention je crois, n’a pas voulu ? pu ? su ? choisir entre deux mondes, et la chimère qui en résulte, trop tiède et déclamative, peut flatter le goût de l’exotisme des lecteurs généralistes, mais sans doute pas exciter mes frères en lecture.

La nuit a dévoré le monde, Pit Agarmen

Commentaires

SBM a dit…
Côté rentrée littéraire, je dois avoir lu jusqu'à présent une douzaine de titres, la majorité en littérature blanche, comme on dit. C'est là que mon goût pour la littérature trouve de quoi se satisfaire, car il faut bien dire que peu d'auteurs, et en particulier d'auteurs français, sont de grands stylistes en matière de littérature de l'Imaginaire. L'accens y est plutôt mis sur l'incroyable, le rocambolesque, l'aventure, c'est selon. Je n'en fais pas une loi, bien sûr, ni une généralité car il y a des auteurs de SFF qui ont du style, mais bon, c'est vraiment rare.
Alors ce Pit Agarmen, j'ai été contente de le lire, je n'ai pas trouvé ça trop écrit, bien au contraire : on peut écrire une histoire de zombies comme ça, sans scène gore, sans combats grotesques ni mauvaises odeurs.
Je suis d'accord avec toi, l'aventure n'est pas au coin de la rue, au point que la scène du chaton fait figure d'événement. Mais cette veine attentiste et réflexive me plait. Comme la rentre littéraire d'ailleurs, j'aime cette période où presque tout le monde ce tourne vers les livres. J'essaie pour ma part de ne pas me tourner vers les mêmes que les autres (pas de Laurent Binet, Christine Angot ni d'Oliver Adam pour moi, merci).
Gromovar a dit…
J'aurais voulu.

Il y a quand même quelques stylistes en imaginaire français (Jaworski, Bousquet, Calvo, entre autres).

Mon problème principal, comme je l'écrit dans le post, a été la placidité d'un récit qui ne se passe presque que dans la tête du narrateur et qui, de fait, aurait pu être un essai sur "Que fait-on quand on se retrouve seul dans une ville désertée par toute vie humaine et envahie par une race ennemie ?".

Pour ce qui est de la réflexion, j'en attendais beaucoup mais il m'aurait semblé moins artificiel qu'elle découle de l'action et des expériences du narrateur plutôt que de ce qui m'a souvent semblé être un dialogue interne.
Tigger Lilly a dit…
Je n'éprouve absolument aucun intérêt pour la rentrée littéraire. J'en n'ai jamais eu, même quand je lisais plus de blanche que de SF. Jamais très bien compris le concept. Je sens que le tag de Guillaume va se transformer en playdoyer anti-rentrée littéraire :D
Lhisbei a dit…
et si, comme le prétendent certains éditeurs, la blanche doit sauver la SFFF on dirait bien qu'on n'est plus près de l'euthanasie du genre qu'autre chose avec ce titre ...
Endea a dit…
Pour ma part, rentrée littéraire, rentrée cinématographique, rentrée télévisuelle, le mot même me fait horreur comme si la France entière ne vivait qu'à l'heure de cette sacro rentrée (dont évidement celle scolaire sont on nous rabâche les oreilles histoire de dire, ah oui les profs enfin après leurs millions de jours de vacances, vont enfin travailler, ces fainéants) après avoir été en vacances tout l'été. Cela m'énerve à un point !!
Gromovar a dit…
D'accord avec toi Endéa. Si on donnait à la rentrée son vrai nom qui est "fin des vacances", plus aucune tante, voisine, boulangère, copine n'oserait te dire : "Alors, bientôt la rentrée. Content ?"

Et ça m'a gonflé toute ma vie. Je n'aimais pas plus ça quand j'étais enfant, et, non, je n'étais pas "content de retrouver mes copains", j'étais gonflé d'arrêter mes activités de prédilection pour passer à des activités contraintes.
Efelle a dit…
+1 avec Endea.

Guillmot a dit…
Le problème de la rentrée littéraire c'est en effet la quantité. La "sur-quantité" même. J'ai eu quelques belles découvertes en littérature générale ou étrangère grâce à ces rentrées littéraires. L'évènement est intéressant mais hélas trop d'abus de la part d'éditeurs et de gros vendeurs nuisent au final à la fête annoncée.
Gromovar a dit…
Après, le côté Almanach du laboureur de "la fête de ceci" ou la "rentrée de cela" est typiquement le genre de choses qui me font fuir.
Guillmot a dit…
Je ne sais que te dire. Je suis le premier étonné par certaines réactions franchement hostiles envers ce tag... Je ne pensais pas déclencher un début de polémique.
Gromovar a dit…
Héhé. L'hostilité sur Internet est presque gratuite en terme de risque physique et de coût psychologique. C'est sans doute pour ça qu'elle y est si répandue.
Guillmot a dit…
En conclusion je ferme ce tag. Merci d'y avoir répondu dans un billet franchement intéressant, sisi.
Gromovar a dit…
You're welcome :)
Blop a dit…
Belle réponse au tag, et surtout, merci pour la chronique : je ne savais pas trop comment considérer ce roman aperçu au détour d'un rayon, me voilà mieux renseignée.